- Se poser pour le dominé c’est s’opposer au dominant
Une des caractéristiques de la séquence historique présente est l’irruption de la question des dits « racismes intercommunautaires » dans le débat militant des populations issues de la colonisation et plus largement des populations racisées mais également dans le paysage médiatique et politique global. La force et la rapidité de cette irruption est, selon nous, issus d’une dualité de motivations pour poser cette question nécessaire et incontournable. Une première motivation vient de notre camp, celui des dominés qui ont un intérêt objectif à débusquer tous les facteurs de divisions. Une autre motivation vient de nos adversaires qui tentent d’instrumentaliser cette exigence légitime afin de neutraliser les prises de conscience du caractère systémique du racisme et de son lien avec les processus de production et de reproduction du capitalisme d’une part et de son extension internationale par l’impérialisme et le néocolonialisme d’autre part.
Les postures de réponse à cette question nécessaire et incontournable auront des conséquences importantes en termes d’unification ou au contraire de divisions de nos combats présents et futurs. Soulignons d’emblée trois postures déjà rencontrées dans l’histoire de nos lutte au niveau international (dans le mouvement de libération nationale des décennies 50 et 60 de Bandung à la Tricontinentale ou dans la question du rapport entre les communautés noires et latinos aux Etats-Unis) ou au niveau français depuis la marche pour l’égalité de 1983 :
La posture du déni: Elle consiste à nier l’existence même du problème ou de la question. Celui-ci et/ou celle-ci ne serait qu’un débat imposé à des fins de division. Il et elle ne correspondrait à aucune réalité matérielle et sociale. Nos « communautés » seraient immunisées par on ne sait quel miracle de tout préjugés, de toute démarche hiérarchisante et de toute chosification de l’autre. Cette posture idéaliste reconstruit un sujet « pur » qui serait par essence vacciné par son origine contre le racisme. Elle occulte la nécessaire médiation par la conscientisation politique pour qu’émerge un tel sujet.
La posture de l’équivalence: Cette seconde posture est l’exact inverse de la précédente. Elle consiste à mettre sur le même plan ces racismes dits « intercommunautaires » et le rapport social raciste dominant. Ce faisant ce qui est nié c’est que les premiers sont surdéterminés par le second. Ce faisant ce qui est occulté c’est la dimension systémique du racisme. Ce faisant ce qui est brouillé c’est l’image même du dominant. Frantz Fanon nous avertissait pourtant déjà en 1956 dans « racisme et culture » en disant que : « « Le racisme n’est pas un tout mais l’élément le plus visible, le plus quotidien pour tout dire, à certains moments le plus grossier d’une structure donnée. » Comme pour d’autres oppressions nous payons dans cette posture la négation des dimensions systémiques qu’ont imposée les approches dites postmodernes. Pour paraphraser Marx nous pourrions énoncer : à qui profite le crime en dernière instance ?
La posture bisounours : Cette troisième posture consiste à reprendre les termes du débat imposé par l’agenda et l’intérêt des classes dominantes. Elle est issue d’une occultation ou d’une sous-estimation de la dimension de réaction idéologique néocoloniale de notre séquence historique. Cette réaction idéologique ne plane pas seule sur le plan des idées mais accompagne une réaction matérielle au plan international comme national. Sur le plan international la réaction idéologique accompagne et tente de légitimer depuis plusieurs décennies un nouveau cycle de guerre coloniale pour la maîtrise des matières-premières stratégiques et des hydrocarbures. Sur le plan national la réaction idéologique accompagne la tentative de museler les populations dominées et à entraver leur organisation. Il suffit de parcourir rapidement le net pour s’apercevoir que de nombreux sites de droites et d‘extrême-droite parlent abondamment de « racisme intercommunautaires » avec des logiques édifiantes comme : « ceux qui se plaignent de racisme sont eux-mêmes racistes » ; « ceux qui dénoncent la colonisation sont en train de nous coloniser » ;
Proposons deux premières conclusions :
- La question des racismes dits « intercommunautaires » doit impérativement être posée au sein de nos espaces militants sous peine de se voir imposer des termes du débat qui ne pourront que nous diviser ;
- La question des racismes dit « intercommunautaire » ne peut donc être posée au profit de l’égalité que par nous-même et dans nos propres espaces. Nous ne le posons pas pour les mêmes raisons et avec les mêmes objectifs que d’autres.
- La pyramide ou la structure binaire
Trop souvent les processus de dominations sont simplifiés et réduits à l’image d’une structure binaire. Si théoriquement le rapport social raciste relie bien des racistes et des victimes potentielles de ces racistes, une société raciste concrète à un moment historique donné n’est jamais réductible à ces deux entités. Nous pensons que l’image de la pyramide est mieux à même de restituer la dynamique concrète du racisme. C’est l’ensemble du corps social qui est mis en hiérarchie avec la norme de couleur dominante.
Ainsi en était-il à l’époque de l’esclavage où une extrême minutie était de mise pour signifier la distance avec la norme de couleur dominante : Noir, Mulâtre, Quarteron, Octavon, etc. Ainsi en était-il à l’époque coloniale où les différentes composantes de sociétés colonisées plurielles étaient mises en hiérarchie en raison de leurs proximités supposées ou de leurs distances tout aussi postulées avec le blanc.
- Un des exemples en est le décret Crémieux dans l’Algérie colonisée qui coupe la communauté juive de son peuple en décrétant autoritairement son appartenance à la nationalité française.
- Ainsi en est-il de la hiérarchisation des dites « ethnies » à l’ère coloniale. Au Rwanda par exemple le colonisateur pose les Tutsi comme une race supérieure aux Hutu et aux Twa.
- Ainsi en est-il aujourd’hui du traitement médiatique et politique des différentes communautés avec certaines posées comme « bien intégrée » et d’autres comme allergique à l’«intégration ».
Toute une histoire de ces classements racistes et de leurs évolutions seraient à produire afin de mettre en évidence les moments, les raisons et les conditions du « blanchiment » ou des tentatives de « blanchiment » de certaines communautés.
Bien entendu un système de domination ne peut produire ces classements hiérarchisant dont il a besoin ex-nihilo. L’efficacité concrète de son classement suppose qu’il s’appuie sur les préjugés hérités de l’histoire longue et/ou plus récente. Nul besoin pour comprendre ce recyclage des préjugés hérités de l’histoire de recourir à un quelconque complot mené par un groupe occulte qui tenterait de manipuler les regards des uns sur les autres. Il suffit pour cela d’organiser la concurrence de tous pour l’accès aux biens rares. Cette concurrence généralisée qui est le propre du capitalisme suscite spontanément des stratégies de distinction où chacun tente de mettre en avant ce qui le distingue des autres. Voici par exemple la stratégie de distinction que Frantz Fanon décrivait à propos des rapports entre les antillais et Africains :
« Chez tout Antillais, avant la guerre de 1939, il n’y avait pas seulement la certitude d’une supériorité sur l’Africain, mais celle d’une différence fondamentale. L’Africain était un nègre et l’Antillais un Européen. […] Le résultat sur lequel nous voulons attirer l’attention c’est que quel que fût le domaine considéré, l’Antillais était supérieur à l’Africain, d’une autre essence, assimilé au métropolitain. Mais comme à l’extérieur, il était un tout petit peu africain puisque ma foi, noir, il était obligé –réaction normale dans l’économie psychologique – de durcir ses frontières afin d’être à l’abri de toute méprise. […] Disons aussi que cette position de l’Antillais était authentifiée par l’Europe. L’Antillais n’était pas un nègre, c’était un Antillais, c’est-à-dire un quasi-métropolitain. Par cette attitude le blanc donnait raison à l’Antillais dans son mépris de l’Africain. » (« Antillais et Africains », revue Esprit, février 1955)
Fanon poursuit en soulignant les raisons de la crise de ce qui serait aujourd’hui appelé le racisme négrophobe antillais. Il évoque en particulier le rôle de conscientisation politique d’Aimé Césaire et de la négritude. Il fallait citer longuement pour Fanon pour plusieurs raisons :
- Parce que les propos de Fanon souligne que la question aujourd’hui appelé « racisme intercommunautaire » n’est pas nouvelle ;
- Parce qu’ils soulignent que nous ne sommes pas en présence de deux acteurs (les Antillais et les Africains) mais de trois avec une Europe « authentifiant » la hiérarchisation ;
- Parce qu’ils mettent l’accent à la fois sur l’existence réelle d’un mépris Antillais mais aussi sur les conditions pour y mettre fin, à savoir la conscientisation politique des différents rouages et instances du système de domination.
Comment ne pas penser en lisant le Fanon de 1955 à certains rapports contemporains entre noirs et arabes ou berbères de France, entre eux tous et les Rroms, etc. ? Hier comme aujourd’hui l’héritage de préjugés est présent. Hier comme aujourd’hui la mise en concurrence pour les biens rares incite à des stratégies de distinction s’appuyant sur ces préjugés qui sont dès lors revigorés. Hier comme aujourd’hui des procédures diverses d’authentification par le système de domination encourage les clivages. Hier comme aujourd’hui seule la conscientisation politique de la dimension systémique des dits « racismes intercommunautaires » permet de combattre ces préjugés tout en renforçant l’unification de nos rangs.
- Les ingrédients nourrissants les dits « racisme communautaire »
Sans être exhaustif rappelons certains de ces ingrédients de la fabrique des dits « racisme intercommunautaire » issus soit de l’histoire, soit du présent :
Les héritages de l’histoire :
- Un long passé esclavagiste arabo-berbère ayant inévitablement charrié des préjugés négrophobes ; Une partie du vocabulaire de désignation des noirs portent ainsi des dimensions de péjorations indéniables (Azi, abd, etc.) ; Certes il convient de souligner les différences avec la traite européenne dans ses dimensions constitutives de l’accumulation primitive du capitalisme puis du développement industriel européen donnant à la traite un caractère systémique, massif, industriel. Mais ces précisions ne peuvent pas conduire à la négation du fait que ce passé esclavagiste a imprégné, a informé profondément les sociétés civiles.
- L’utilisation coloniale de certaines communautés pour la répression anticoloniale :
Des maghrébins ont ainsi été utilisés au Vietnam pour combattre les indépendantistes et des tirailleurs d’Afrique de l’Ouest pour réprimer le peuple algérien. Rappelons ce que souligne Fanon sur cet aspect :
«Le Blanc, incapable de faire face à toutes les revendications, se décharge des responsabilités. Moi j’appelle ce processus : la répartition raciale de la culpabilité. Chaque fois qu’il y avait un mouvement insurrectionnel, l’autorité militaire ne mettait en ligne que des soldats de couleur. Ce sont des « peuples de couleur » qui réduisaient à néant les tentatives de libération d’autres « peuples de couleur » (Peau noire, masques blancs)
Les héritages négatifs ne sont pas des forces insurmontables devant lesquels nous serions impuissants. Au sortir de l’ère coloniale dans la décennie 60, l’espoir panafricain et la solidarité anticoloniale constituaient de réelles armes contre ces héritages racistes multiples. Autrement dit les tendances racistes héritées sont efficacement mis en échec par la conscience politique offensive. C’est d’ailleurs selon moi un des grands mérites de cette initiative. Le recul de ces idéaux a signifié dans le même mouvement le retour de ces préjugés historiques non déconstruits.
Des productions contemporaines
- Les stratégies de distinction systémiquement organisées que nous avons mentionnées plus haut conduisant par exemple à des préjugés puissants vis-à-vis de la population Rrom. Cette stratégie est encouragée par la théorie de la distance culturelle qui a longtemps était au cœur des politiques publiques concernant les migrants. Selon cette approche les différentes communautés sont inégalement « intégrables » en fonction de leur « distance culturelle » avec la « culture française ». Les cultures à intégrer comme la culture soi-disant intégratrice sont, bien sûr, appréhendées de manière essentialiste avec les composantes classiques de l’homogénéité, de la négation du contexte d’existence et d’a-historicité.
Quant à la place historique de cette approche postulant et imposant une hiérarchisation en fonction de l’appartenance culturelle, il suffit de rappeler la carrière d’un Georges Mauco. Il commence sa carrière comme secrétaire d’Etat à l’immigration, traversera la période pétainiste sans encombre et sera nommé en 1944 et jusqu’en 1970 secrétaire du Haut Comité de la Population et de la famille. Voici ce qu’il énonce sur l’intégrabilité des différentes immigrations : «parmi la diversité des races étrangères en France, il est des éléments pour lesquels l’assimilation n’est pas possible. Il y a aussi ceux appartenant à des races trop différentes : asiatiques, africains, levantins même, dont l’assimilation est impossible et, au surplus, très souvent physiquement et moralement indésirable. » (Conférence Permanente des Hautes Études Internationales, Xe session Paris, 28 juin 37 juillet 1937, SDN, avril 1937.)
Si le concept est moins usité aujourd’hui, la logique qui le porte est encore dominante. Une telle approche encourage les stratégies de distinctions individuelles et collectives. Les premières consistent à clamer son intégration par la distanciation avec son groupe d’appartenance d’origine. Les secondes consistent à affirmer son intégration collective en participant aux processus de dévalorisation d’un autre groupe minoritaire.
- La sous-traitance par l’Europe de la surveillance des frontières et de la politique répressive va susciter pour sa part des racismes d’Etat dans les trois pays du Maghreb. Bien sûr ces politiques de sous-traitance ne peuvent exister que parce qu’il existe un terreau préalable sur lequel se greffer. Les politiques migratoires européennes ne créent pas mais approfondissent des hiérarchisations déjà existantes. Comme ici la politique de répression des États produisent un encouragement au passage à l’acte négrophobe. Les rafles organisées par les États d’Afrique du Nord contre les sans-papiers venant d’Afrique subsaharienne suscitent les mêmes conséquences que celles de l’État français dans l’hexagone : elles désignent un « bouc émissaire » et étendent le racisme.
- Les instrumentalisations
S’il y a instrumentalisation de la question des dits « racismes intercommunautaires » c’est que ceux-ci sont une réalité. L’instrumentalisation est justement l’opération théorique, politique, et idéologique visant à présenter une réalité sociale de telle sorte à la mettre au service d’un objectif précis ayant peu de lien avec la réalité en question. Il s’agit donc de formuler une histoire en amplifiant des faits, en dramatisant des situations, en apportant des grilles explicatives simplistes, en inversant les causes et les conséquences, etc.
Si l’instrumentalisation d’une réalité ne peut pas conduire à la négation de cette réalité, cela ne veut pas dire qu’elle doit être considérée comme peu importante. Sans être exhaustif rappelons le contexte qui voit se développer rapidement une dénonciation des dits « racismes intercommunautaires » c’est-à-dire l’histoire dominante produite pour en rendre compte :
- C’est une histoire crisique : Nous serions en présence d’une dégradation brusque des « tensions communautaires » avec des élèves utilisant des insultes racistes à longueur de journée, des groupes minoritaires se confrontant violemment de plus en plus fréquemment, des processus de repli de chacun sur son groupe minoritaire. La dramatisation de la situation constitue ici un appel à la fermeté face à une jeunesse devenue incontrôlable. Le discours dominants sur les dits « racismes intercommunautaires » porte en implicite une demande de surveillance étatique des quartiers populaires en général, de leur jeunesse en particulier ;
- C’est une histoire doublement amalgamante : La question du dit « racisme intercommunautaire » est la plupart du temps évoquée en lien avec une autre, celle du supposé développement d’un « racisme anti-blanc ». Celui-ci se banaliserait dangereusement et nécessiterait en conséquence de nouveau surveillance et fermeté. Le transfert en contrebande du « racisme anti-blanc » n’est pas le seul. Évoquer la hausse des « tensions intercommunautaires » permet également de légitimer l’idée d’un nouvel antisémitisme porté par les musulmans des quartiers populaires.
- C’est une histoire structurellement culturaliste : Une grille de lecture éthnicisée des réalités sociales est diffusée à longueur de livres et de journaux, de campagnes électorales et de discours politique pour ensuite être appliquée à tous les faits sociaux dans lesquels des racisés sont présents. Les dites « tensions intercommunautaires » sont dès lors déconnectées du contexte économique, politique et social qui les produit ou les encourage pour n’être abordé que sous l’angle d’une causalité culturelle.
- C’est une histoire articulée à d’autres histoires : Importation du dit « conflit israélo-palestinien » pour les maghrébins ; Concurrence victimaire conduisant à la négation de la Shoah pour les noirs ; Nomadisme des Rroms empêchant toute intégration pour reprendre les propos de Valls. Toutes ces histoires ont un point commun : mettre en avant la culture comme seule causalité. Les questions des inégalités et des discriminations, des politiques scolaires et de logement productrices de ghettoïsation géographique économique et sociale, celles des politiques sécuritaires de surveillance des quartiers populaires, etc., sont ainsi évacuées des causalités explicatives de la dégradation des rapports sociaux de proximité. Le culturalisme n’est pas qu’une erreur de pensée mais une opération idéologique visant la question des conditions de l’égalité.
- C’est une histoire qui a un air de famille avec les discours sur l’Afrique : Des processus discursifs similaires sont en œuvre pour expliquer les conflits sociaux, la multiplication des conflits armés et le maintien et/ou développement selon les endroits de la misère. Conflits interethniques nous dit-on ici ; conflits tribaux complètent-on là ; rivalités entre musulmans et chrétiens affirment-on ailleurs ; opposition ancestrale entre Targui et noirs, entre berbères et arabes, etc.
Autant l’existence de préjugés dans les relations entre les groupes minoritaires de la société française est indéniable, autant la tentative de les instrumentaliser l’est également. Ecoutons le président de la LICRA pour saisir de manière compacte cette histoire dominante :
« Mais il est aussi de nouveaux phénomènes dont il faut mesurer la gravité et la dangerosité. Sur fond de communautarisme, d’islamisme, de conflit israélo-palestinien et de concurrence mémorielle, se sont développés dans nos villes et nos cités, mais également sur Internet, un racisme intercommunautaire et un antisémitisme virulent qui bouleversent les fondamentaux de notre combat antiraciste, selon lesquels l’immigré, le noir, l’arabe, le juif, sont consubstantiellement des victimes et le raciste nécessairement blanc, chrétien et de droite. Il existe des endroits en France où l’on désigne à de jeunes désœuvrés qui se sentent, à tort ou à raison, laissés pour compte de la société ceux qui seraient les responsables de leurs malheurs. Ces responsables, ce seraient les « Français », les « blancs », les « fromages », cibles de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le racisme anti-blanc. […] Mais les vrais responsables du malheur des jeunes embrigadés du djihad, ce seraient surtout les « feujs », les « juifs », les « sionistes », ceux qui auraient le pouvoir, l’argent et le monopole de la souffrance, ceux qui – par extension – massacreraient les enfants palestiniens… ».
Tout y est : tout le monde est à la fois victime et bourreau ; la notion de « racisme anti-blanc » est validée ; les exigences d’une histoire décolonisée deviennent une « concurrence victimaire » ; l’antisionisme est amalgamé avec l’antisémitisme ; les causalités avancées sont le communautarisme, l’islamisme, le conflit israélo-palestinien et la concurrence mémorielle c’est-à-dire des conséquences présentées comme causes.
Devant de telles instrumentalisations la réponse ne peut pas être la négation des préjugés et parfois passage à l’acte agissant dans les relations entre les groupes communautaires. Au contraire la construction d’une alliance entre groupes minoritaires suppose :
- La dénonciation et la déconstruction de ces préjugés sans aucune euphémisation ou justification. Nous ne pouvons pas avoir autant progressé ces dernières années dans la capacité à formuler nous-mêmes les questions, d’avancer nos termes pour analyser ces questions, de poser les choses à leurs racines c’est-à-dire radicalement, etc., et ne pas être sans concession dans le combat contre les préjugés et le dit « racisme intercommunautaire » qui divise notre camp.
- L’analyse par nous-mêmes, selon notre propre agenda et avec nos propres objectifs de ces questions afin de se détacher de la dérive culturaliste négatrice des déterminations systémiques et contextuelles ;
- Ne jamais oublier la question du pouvoir
Depuis le début de mon exposé mon approche des termes a été prudente. Faut-il parler de « racisme intercommunautaire » pour désigner les préjugés et leurs effets racistes dans les relations entre groupes minoritaires ? Pour moi la question reste ouverte et doit être approfondie dans nos propres espaces.
La difficulté est que le même terme de racisme désigne trois niveaux de réalité. Le premier est celui d’une idéologie de hiérarchisation de l’humanité pour justifier d’un traitement inégal. Le second est celui des préjugés infériorisant ou chosifiant l’autre sur tel ou tel aspect, dans tel ou tel domaine. Le troisième est celui des faits c’est-à-dire des passages à l’acte c’est- à-dire des discriminations. Hors si le dit « racisme intercommunautaire » porte à l’évidence des préjugés issus de l’histoire qu’il serait suicidaire de nier et de ne pas combattre, il est rarement jusqu’à aujourd’hui porté par une idéologie de hiérarchisation. Il est tout aussi rarement traduit dans des discriminations, celles-ci supposant d’être en situation de pouvoir ce qui est aujourd’hui rarement le cas pour les communautés dont nous parlons.
Cela étant posé, peu importe comment nous l’appelleront une réalité reste indéniable : ces dits « racismes intercommunautaires » existent, sont à combattre collectivement mais en refusant les instrumentalisations au service de la reproduction du système de domination.
En conclusion je voudrais en appeler à une triple vigilance :
- La nécessité à rompre avec la posture de déni sur nos propres contradictions et les dits « racismes intercommunautaires » en font parties ;
- La nécessité de démasquer et de contrecarrer les instrumentalisations de nos contradictions.
- La nécessité de la construction d’une solidarité sans faille ce qui suppose de ne rien nier du réel.
Pour ce faire nous devons nous relier :
- historiquement parce que les générations antérieures de militants ont été confrontées aux mêmes questions ;
- Géographiquement parce que ces questions sont présentes ici mais aussi ailleurs ;
- Politiquement parce que le rapport de forces nécessaire contre le système de domination commun suppose l’unification des dominés ;
- Philosophiquement parce qu’il n’y aura pas éradication du racisme sans destruction du capitalisme qui l’enfante pour se construire dans l’accumulation primitive puis le reproduit pour se reproduire.
C’était déjà ce que proposait Fanon en disant dans les damnés de la terre en 1961 : « Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout ou elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde ».
L’Europe dont parle Fanon n’est bien sûr pas un lieu géographique mais désigne un système social qui domine le monde.
Qu’est-ce que le racisme d’État ?
Posté le 08/05/2018 par rwandaises.com