Pour bien comprendre l’importance des terminologies sur le Génocide contre les Tutsis et leurs évolutions, objet de notre propos, nous pouvons évoquer la cérémonie traditionnelle de « kwita izina » : une huitaine de jours après la naissance de l’enfant, l’enfant est sorti de la maison et le père le « nomme ». Et ce en présence des enfants du voisinage, qui sont conviés à un repas spécial fait de grains de sorgho et de maïs_ les deux principales céréales du pays de Gihanga _ repas appelé « ubunnyano », substantif dérivé de « kunnya » (faire caca). Ce faisant le père reconnaît sa paternité.Officiellement.

Mieux que la simple déclaration à l’état civil ? Là l’enfant a déjà un nom et c’est un nom de famille, qui ne lui est pas propre. Et il y a aussi kwita nabi (« mal nommer ») : comme dit un dicton kinyarwanda, « so ntakwanga akwita nabi » : « en nommant son l’enfant Kajangwe, Musega, Senturo et autres noms d’animaux sauvages, il le protège de la Mort : c’est comme s’il n’existait pas.

Le rite de « kwita izina » illustre bien une chose : la façon de nommer traduit la façon d’appréhender ce que l’on nomme. Nommer, c’est faire exister. C’est reconnaître (officiellement). Bien nommer, c’est faire exister pleinement. Refuser de nommer ou mal nommer, c’est dénier l’existence. En ce qui concerne le génocide, c’est du négationnisme.

Le 26 janvier 2018, l’Assemblée générale des Nations unies a nommé ce qui s’est passé au Rwanda, il y a 24 ans :« le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda ». Presqu’un quart de siècle après les faits, le groupe victime du génocide était enfin désigné : elle modifiait l’ancienne terminologie « Génocide de 1994 au Rwanda » datant de 2003.

I-De la résolution (A/RES/58/234) du 23 Décembre 2003 à la résolution A/72/L.31 du 26 Janvier 2018
Il n’y a pas de séance de l’ONU « reconnaissant  » tel ou tel génocide. En revanche, des massacres de masse ont été évoqués comme génocide dans le cadre des travaux d’un des principaux organes.

La Résolution A/RES/58/234 a été le premier texte officiel de l’organe suprême de la « Communauté internationale » à utiliser le mot « génocide » pour nommer ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 : cette résolution a instituée le 7 avril comme « Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda ». C’était le 23 décembre 2003, il y a plus de 14 ans, à la veille de la dixième commémoration.

Et le 26 janvier 2018, par sa Résolution A/72/L.31, la même institution a adopté, à l’unanimité, une décision par laquelle elle change le nom du 7 avril qui, de « Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda », créée en décembre 2003, en « Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda ».

Autre nouveauté : dans un second paragraphe, un petit « b », l’instance suprême des Nations Unies, rappelle que, « pendant le génocide de 1994 contre les Tutsis, des Hutus et d’autres qui s’y sont opposés ont également été tués ». Ainsi, il n’est plus question de « Hutus modérés » : comment peut-on traiter de « modérés » et (donc) de « tièdes » des hommes et des femmes qui ont payé de leur vie leur combat de l’idéologie génocidaire ?! Et surtout il n’est pas question de parler de « Journée internationale de réflexion sur le Génocide des Tutsis et des Hutus modérés ». Comme certains États membres avaient osé le suggérer.

Une modification « essentielle »
Même si elle ne porte que sur le titre et certains termes du dispositif de la résolution de 2003, la modification est essentielle : comme le rappelait la Représentante du Rwanda, à l’origine de la décision, il fallait « capturer sans ambiguïté les faits historiques de ce qui s’est passé en 1994 et qui est bien un génocide contre les Tutsis au Rwanda » : l’exactitude historique et la précision des mots sont « essentielles » surtout lorsqu’on parle du génocide. La Résolution fait plus que confirmer, dans les mêmes termes, la résolution 2150 (2014) du Conseil de sécurité, et ses 15 membres : elle est d’autant plus importante qu’elle émane de l’assemblée générale et ces 193 membres. Lesquels s’engagent et engagent à célébrer, tous les 7 avril, la journée de réflexion sur le génocide contre les Tutsis.

Questions : Même si elle est essentielle, la toute nouvelle terminologie est-elle totalement exacte ? Avec elle, est-ce vraiment enfin la fin des ambiguïtés terminologiques ? Sinon quelle est la terminologie qui capture(rait) avec le plus d’exactitude les faits historiques ? Et qu’en est-t-il de l’actuelle terminologie officielle au Rwanda, qui date de la Révision constitutionnelle de 2008 ? La résolution 2150 (2014) du Conseil de sécurité n’avait pas mis fin à l’usage des ambiguïtés terminologiques : la résolution A/72/L.31 restera-t-elle, elle aussi, sans effet ?

Mais avant de répondre à toutes ces questions, il nous faut répondre à une autre qui s’impose d’emblée : pourquoi les instances des Nations Unies ont reporté si longtemps la reconnaissance internationale officielle de ce qui, pour citer un texte du TPIR de 2006, était « de notoriété publique » ?! En effet, contrairement au génocide juif ou surtout au Génocide arménien, le dernier génocide du 20ème siècle a été très, trop médiatisé. Même si la réponse à la dernière semble évidente, il faut les étayer en revisitant les six résolutions onusiennes sur le sujet.

En effet, un bref retour sur les résolutions onusiennes sur le sujet suffit à montrer qu’il ne s’agissait ni d’une erreur ni d’un oubli, mais d’un refus délibéré de nommer ou, en langage non diplomatique, d’un négationnisme d’État, de certains membres permanents du Conseil de sécurité.

II- Une reconnaissance toujours reportée : Du déni à la reconnaissance

De juin 1994 à janvier 2018, les deux principaux organes des Nations Unies ont voté six (6) résolutions sur le génocide contre les Tutsis : une moyenne générale d’une résolution tous les quatre (4) ans mais trois (3) de juin à novembre 1994.
1994
Dans la résolution S/RES/929 (1994) du 22 juin 1994, le Conseil de sécurité décide d’une mise en place d’une opération à des fins « strictement humanitaires »(?!), la future Opération Turquoise. Le génocide, en cours depuis le 07 avril, n’est même pas évoqué.

Dans la foulée, pour éviter de nommer le Mal par son nom, par la résolution S/RES/935 (1994) du 01 juillet 1994 , le même Conseil de sécurité décide de constituer une commission « impartiale » d’experts chargés de rédiger un …rapport. Manifestement, le Conseil n’avait pas confiance en Degni-Segui, le Rapporteur spécial de la Commission de l’homme , présent sur les lieux du 9 au 20 juin en vertu de la Résolution 1994 S-3/1 du 25 mai 1994 du Conseil économique et social (un autre organe des Nations unies).

Le Rapport Degni-Segui ne sera déposé que le 13 octobre 1994. Le rapport final S/1994/1405 du 05 décembre 1994 des experts, bouclé le 01 octobre mais transmis que 09 décembre (2 mois après). Et, contrairement au Rapport Degni-Segui, il n’utilise pas le mot « génocide » : il conclut qu’il existe « des preuves accablantes attestant que des actes de génocide ont été commis à l’encontre du groupe tutsi par des éléments hutus agissant de manière concertée, planifiée, systématique et méthodique ».

Et pourtant, dans la résolution S/RES/955 (1994) du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité créant le Tribunal criminel international pour le Rwanda (TPIR), il est toujours question d’actes de génocide sans que, dans le texte même, ni les victimes de ces actes ni ses auteurs ne soient désignés.

2003

À la veille de la dixième commémoration, en rappelant entre autres, « le rapport contenant les conclusions et les recommandations du Groupe international d’éminentes personnalités chargé par l’ex-Organisation de l’unité africaine d’enquêter sur le génocide au Rwanda et les événements connexes, intitulé “ Rwanda – le génocide évitable” » et déposé le 29 mai 2000, l’Assemblée Générale vote la résolution A/RES/58/234 du le 23 décembre 2003 proclamant le 7 avril 2004 « Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda ».

2006

Le 16 juin 2006, douze(12) après les faits et sa création , le TPIR, dans le constat judiciaire [ICTR-98-44- AR73(C)], conclut à « un fait de notoriété publique qu’entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique tutsi ».

2014
Ce n’est que, huit ans après le constat judiciaire du TPIR et vingt (20) ans après les faits, par sa résolution 2150 (2014) du 16 avril 2014, le Conseil de sécurité finit par entériner la conclusion du TPIR en soulignant « qu’il importe de tirer les leçons du génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis au Rwanda, au cours duquel des Hutus et d’autres personnes opposées au génocide ont également été tués ».

2018
Enfin, ce n’est donc que le 26 janvier 2018, vingt-quatre (24) ans après faits, que par la Résolution A/72/L.31, l’Assemblée générale des Nations Unies entérine enfin, à son tour, la conclusion du TPIR dans exactement les mêmes termes que le Conseil de sécurité en 2014 !

Le projet de résolution a été adopté, comme souvent lors de sessions de l’Assemblée Générale, sans mise aux voix mais avec des réserves du camp occidental :
- La représentante des États-Unis n’a pas caché ses réserves quant à l’idée de revenir sur des textes précédents, sans pour autant s’opposer au texte adopté ;
- L’Union européenne s’est félicitée de la décision adoptée mais a profondément regretté que le consensus n’ait pas été possible sur le fait que la Journée devrait aussi inviter à réfléchir sur le sort des autres victimes, les non-Tutsis qui s’étaient opposés au génocide.

Ces réserves sont significatives : elles confirment la volonté des États membres permanents de ne pas nommer pleinement ce qui s’est passé au Rwanda et, encore une fois, qui est bel et bien un génocide contre les Tutsis.

À qui profite le crime ?
Le négationnisme n’est pas une opinion : c’est crime et un crime contre l’humanité. Et à qui profite ce crime ? À ceux qui n’ont jamais été au clair avec le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda pour la simple qu’ils y ont été impliqués, par action ou par omission c’est-à-dire par complicité active ou par complicité passive, dans un génocide qui pouvait et surtout devait être évité. Un génocide que la « Communauté internationale », via les membres permanents, avait la responsabilité de prévenir et d’empêcher. En vertu de la Convention internationale sur la prévention et la répression du génocide de 1948.

Les mêmes qui, lors de la création du TPIR, avaient voté une clause de « compétence temporelle » en limitant, dans la Résolution S/RES/955 (1994) du 8 novembre 1994, le mandat « entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ». Une disposition combattue par le Rwanda mais soutenue et finalement imposée par la France, membre permanent disposant du droit de veto. Et pour cause : les années 1991-1993 sont celles de la préparation immédiate et du début de l’exécution du plan génocidaire. Ce sont celles de la présence active et officielle de la France aux côtés des génocidaires et de leur armée.
Et pourquoi continuer à parler de ces coupables complicités ?
Il faut en parler surtout dans le cadre des commémorations, dans le cadre de kwibibuka ( se rappeler comment le monde a abandonné les Tutsis alors que tout le monde savait) twiyubaka (tout en construisant notre avenir) : ne jamais oublier que « akimuhana kaza imvura ihise » (Litt. l’aide d’autrui arrive toujours après la pluie). Mais, sans pour autant, oublier que des marges d’action, dans le cade de la « Communauté internationale », existent : les instances de l’État mais aussi la société civile doivent les exploiter.
Et, en termes de terminologies, on peut et l’on doit aller plus loin. On peut s’interroger sur d’autres terminologies ambiguës. L’on peut aussi interroger l’évolution des terminologies officielles au Rwanda.

III- Terminologies ambiguës

Si la terminologie de 2003 était inadéquate et inexacte, d’autres sont ambiguës.
« Génocide rwandais »
L’expression « génocide rwandais » pose en axiome le relativisme et la banalisation de ce génocide, agglomérant, au lieu de les identifier nommément, victimes et génocidaires. Or, seuls les Tutsis étaient visés par l’extermination systématique : des Hutus n’ont été tués que parce qu’ils s’étaient désolidarisés de leur groupe et avaient donc « pactisé avec le diable ». Et il faut leur rendre l’hommage qui leur est dû. Mais le génocide vise « la disparition d’un groupe en tant que tel », femmes et enfants compris. Il ne serait donc être question de « génocide des Tutsis et des Hutus modérés(!) »

« Génocide des Tutsis »
La terminologie « génocide des Tutsis » reste ambiguë même si c’est dans une moindre mesure : génitif objectif ou génocide subjectif ? En effet, eu égard à la théorie du « double génocide », il pourrait être interprété comme le génocide commis par les Tutsis contre les Hutus. On peut dire, et l’on dit, « génocide juif » et « génocide des Juifs ». Ou encore « génocide arménien » et « génocide des Arméniens ». Puisque, dans les deux cas, il n’a jamais question de double génocide.

C’est, d’ailleurs, pour lever toute ambiguïté que, depuis la Réforme constitutionnelle de 2008, il n’est plus question ni de « génocide des Tutsis » ni surtout de « génocide rwandais » : il est désormais question de « Génocide perpétré contre les Tutsis ». En kinyarwanda : « Jenoside yakorewe Abatutsi ».
A propos de l’actuelle terminologie officielle , il est intéressant d’évoquer son évolution.

IV.Evolution des terminologies officielles au Rwanda

Un peu comme ce qui s’est passé avec Juifs dans l’utilisation d’une terminologie en hébreu avec les termes « hollocauste » (sacrifice) et surtout « Shoah » (catastrophe), on a d’abord eu, en Kinyarwanda, des terminologies comme : « itsembatsemba » ( extermination) / »itsembabwoko » (extermination d’un groupe). Le terme « jenoside » apparaîtra dans la Constitution de 2003. En anglais et en français, les terminologies alors utilisées de « Rwandan Genocide »/« Génocide rwandais », tout comme celle d’itsembabwoko, ne souffraient d’aucune ambiguïté : le groupe visé par l’extermination était de « notoriété publique ».

Ce n’est que face à la montée du négationnisme et de la théorie du « double génocide »_ le Rapport Bruguière est de 2006 et le Rapport du Projet Mapping est en gestation à la même époque _ qu’il fut nécessaire d’abandonner la terminologie de « génocide rwandais »/ »Rwadan genocide »et de celle de « itsembabwoko ». Il fallait sortir de toute ambiguïté en nommant clairement le groupe-victime : groupe« religieux, ethnique ou national ». Mais il peut être aussi un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire : au Rwanda, dans le tristement célèbre recensement de 1933, le critère retenu pour a été le nombre de vaches. Un critère socio-économique pour déterminé l’appartenance « raciale » et, plus tard, ethnique !?
C’est donc, en tenant compte de cela, que la réforme constitutionnelle de 2008 établit l’actuelle terminologie. Une terminologie traduite dans des consignes par la Commission nationale de lutte contre le génocide(CNLG) : « ntibavuga itsembabwoko… » bavuga « jenoside yakorewe abatutsi »…(On ne dit pas « l’extermination d’une ethnie »…On dit « génocide perpétré contre les Tutsis »).
Mais cette terminologie est-elle la seule exacte et sans ambiguïté ? Et d’abord qu’en est-il de celle de la Résolution A/72/L.31 du 26 janvier 2018 ?


« GÉNOCIDE CONTRE LES TUTSIS », LA SEULE TERMINOLOGIE SANS AMBIGUÏTÉ

La terminologie « génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda » de la Résolution du 26 janvier 2018 constitue sans aucun doute une avancée « essentielle ». Toutefois, elle ne couvre pas totalement l’exactitude les faits historiques. En plus d’être trop longue. En effet, elle limite le génocide contre les Tutsis à la seule année 1994 et elle entérine ainsi la clause de « compétence temporelle » (« entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ») imposée par la France dans la Résolution du Conseil de Sécurité du 08 novembre 1994 créant le TPIR. Et pour les raisons évoquées ci-dessus et que l’on sait !
Limiter ainsi le génocide contre les Tutsis à la seule année 1994, c’est comme limiter le génocide des Juifs à l’année 1942 ou même aux années 1942-1945 et à la seule « solution finale ». Alors qu’il commence au moins la « Nuit de cristal »(du 09 au 10 novembre 1938). Pour ce qui est des massacres. L’idéologie, elle, remonte à l’année 1933 et les lois de Nuremberg, qui codifient le Racisme d’État.
Or, c’est l’idéologie génocidaire, l’intention et le planification qui est au cœur du génocide. Et elle est l’oeuvre d’un État. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’expression de « génocide de proximité », fort usitée pour parler du génocide contre les Tutsis, est un raccourci plus que malheureux : seuls les massacres ont été, dans la plupart des cas, perpétrés par les voisins. Pas le plan génocidaire.

Et, au Rwanda, le plan génocidaire, en gestation dès le début de la Première République, a été réactivé dès fin 1990 : les dix commandements des Bahutu, la Bible des génocidaires, ont été publiés en décembre 1990. Les persécutions se sont intensifiées avec les rafles au lendemain de la tristement célèbre Nuit du 04 au 05 octobre 1990, très comparable à la Nuit de cristal du 09 au 10 novembre 1938, qui marque le début des massacres des Juifs. Des massacres des Tutsis n’ont pas tardé à suivre : les massacres des Bagogwe commencent en janvier 1991, ceux des Tutsis du Bugesera suivront.

Rappelons ici ce qu’est le génocide tel que définit dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 09 décembre 1948 :
« Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial, ethnique ou religieux, comme tel :
a) meurtres des membres d’un groupe b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe c)soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction totale ou partielle des membres..
C’est nous qui soulignons.

Et ces actes ont été tous commis bien avant 1994 et très gravement à partir de début 1991. C’est le nier que de limiter le génocide contre les Tutsis à la seule année 1994.
Moins grave mais posant aussi un problème, sa limitation dans l’espace. En effet, si seuls des Tutsis qui étaient au Rwanda ont été massacrés pour la plupart, le génocide, tel que défini ci-dessus, visait les Tutsis comme groupe. Dire « Génocide contre les Tutsis au Rwanda », c’est comme si l’on disait Génocide des Juifs en Europe ». En lieu et place de « Génocide des Juifs » (en général). Ou encore comme si l’on disait « Génocide des Arméniens en Turquie » au lieu de génocide des Arméniens ». La délimitation explicite dans le temps et/ou dans l’espace fausse la réalité du génocide.

C’est pourquoi l’actuelle terminologie officielle au Rwanda est la plus exacte. À deux petits détails près : « génocide contre les Tutsis » ( sans le participe passé « perpétré », qui est inclus dans « contre ») et Tutsis, avec le -s du pluriel, aussi bien en anglais qu’en français.

En effet, le diable se nichant dans les détails, après avoir enfin obtenu, pour l’essentiel, la levée internationale des ambiguïtés ou inexactitudes sémantiques et terminologiques, l’on peut s’autoriser à lever certaines incohérences grammaticales et orthographiques.

V-TUTSIS AVEC OU SANS-S:NÉCESSAIRE HARMONISATION GRAMMATICALE ET ORTHOGRAPHIQUE

L’on dit bien et l’on écrit  » Génocide des Juifs » (« Gencocide of the Jews », en anglais) ou « Génocide des Arméniens » (« Genocide of Armenians, en anglais). Et pourtant , pour ce qui s’est passé au Rwanda entre 1990 et 1994, en anglais, langue des versions officielles des textes de l’Assemblée générale des Nations unies, « Tutsi » est toujours sans –s ! (« The Genocide against the Tutsi »). Par contre, dans les versions, non officielles, en français, on trouve « Tutsi » avec -s. Mais uniquement quand il s’agit du nom : « Génocide des Tutsis » (sic), mais « victimes tutsi ». Pour la CNLG : absence de -s, aussi bien en anglais qu’en français (« Genocide against the Tutsi », « Génocide perpétré contre les Tutsi »). Quant aux écrits non officiels, on y trouve « Tutsi » avec ou sans -s. Et quelquefois dans le même texte.

L’harmonisation est d’autant plus nécessaire que l’absence du -s est liée à une des traditions des africanistes occidentaux qui, considérant les langues africaines comme des langues « exotiques », se sont ingéniés à les traiter différemment des autres langues du monde « civilisé » : grammaire rwanda, rundi, swahili, haoussa, peul etc. À comparer à : grammaire française, anglaise… Or, en matière de francisation ou d’anglicisation, les règles grammaticales et/ou orthographiques sont simples : il suffit de les appliquer avec toute la cohérence qui s’impose. Rappelons-les brièvement.

En kinyarwanda, langue « à classes », le passage du singulier au pluriel correspond à un changement de classe et donc de « préfixe nominal » et de la voyelle initiale : le mot « umututsi » donne « abatutsi » au pluriel. « Tutsi », francisation ou une anglicisation du kinyarwanda « umututsi », qui donne au pluriel « Abatutsi » ; d’où, l’autre francisation en « les Batutsi », pluriel de « le Mututsi », qui préserve le préfixe nominal du pluriel sans la voyelle initiale.

En anglais, la marque du pluriel (à l’oral comme à l’écrit) n’est portée que par le nom. En français, elle est portée, à l’écrit, et par le nom et par l’article. Dès lors, l’orthographe correcte doit être ou « Génocide contre les Batutsi » ou « Génocide contre les Tutsis ». Et, en anglais, ou « Genocide against the Batutsi » ou alors « Genocide against the Tutsis » :« Genocide against the Tutsi » signifie « Génocide contre le Tutsi », ce qui constitue un non-sens absolu.

Enfin, « Tutsi » peut être aussi adjectivé. En kinyarwanda, l’adjectif ou le complément nominal s’accorde en classe ave le nom. Et, s’il reste invariable en anglais, il doit s’accorder, en genre et nombre, en français : on aura par exemple le groupe « tutsi » mais les victimes « tutsies ». Et ce qui est valable pour « tutsi » l’est aussi, évidemment, pour « hutu » ou pour « twa ». Comme nom ou comme adjectif. Avec une restriction pour « twa », qui ne s’accorde pas en genre, comme tous les adjectifs en -a.

CONCLUSION GÉNÉRALE : RÉSOLUTION A/72/L.31 ET LUTTE CONTRE LE NÉGATIONNISME

La Résolution 2150 (2014) du Conseil de sécurité n’a pas mis fin à l’usage des ambiguïtés terminologiques. La Résolution A/72/L.31 restera-t-elle, elle aussi, sans effet ? L’on peut et l’on doit espérer que non. En effet, comme cela a été le cas avec la Résolution A/RES/58/234 de 2003, qui consacra la terminologie « génocide de 1994 au Rwanda », elle encourage non seulement les États Membres (193 pays), les organismes des Nations Unies et les autres organisations internationales compétentes mais aussi les organisations de la société civile à observer la Journée internationale, « notamment en organisant des cérémonies spéciales et des activités à la mémoire des victimes du génocide au Rwanda ».C’est ainsi que la terminologie de 2003 a fini par s’imposer.

Enfin, la Résolution du 26 janvier 2018, même si elle est imparfaite, doit servir dans le combat contre le négationnisme. Un négationnisme « ordinaire » et rampant, que véhicule une terminologie comme « génocide rwandais » qui cache mal le négationnisme affiché. Négationnisme affiché auxquels sont confrontées en permanence les Diasporas rwandaises notamment en France, le berceau de la « théorie du double génocide ». Rappelez-vous la réponse de François Mitterrand à une question sur le « génocide rwandais » : « le Génocide rwandais ! Lequel ? ». Ou tout dernièrement des propos de Natacha Polony, une starlette du paysage audio-visuel français (PAF), sur ce qui s’est passé au Rwanda dans les des années 1990-1994 : c’est une affaire de « salauds contre d’autres salauds ». Tous « dans le même sac ». Ceux qui ont perpétré le génocide et ceux qui ont mis fin au génocide.
Dans la lutte contre le négationnisme, la Diaspora rwandaise en France oeuvre dans le cadre trois(3) associations :

- Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda ou CPCR(2001), qui comme son nom l’indique, lutte pour faire juger les responsables du génocide. Et lutter pour la justice, c’est lutter contre le négationnisme
- Ibuka-France (2002). À son actif, on compte, outre les Commémorations annuelles, sept (7)lieux de mémoire :
*six (6) stèles commémoratives érigées entre 2011 et 2016 , le premier en 2011 en Cluny(Bourgogne) et 5 autres (Dieulefit et Bègles en 2013, Chalettes-Sur-Long, Toulouse et Paris en 2014) ;
* un jardin de la Mémoire, dans le Parc de Choisy (13ème arrondissement de la Capitale française) en 2016
- La Communauté Rwandaise de France ou CRF(octobre 1990) : outre le fait qu’elle a assuré les rôles du CPCR jusqu’en 2001 et d’Ibuka-France jusqu’en 2002, elle participe pleinement à la lutte contre le négationnisme dans les médias. Telle a été le cas tout dernièrement avec « l’affaire Polony ».

L’on peut terminer en évoquant ici sa plus belle victoire. Grâce à la Communauté Rwandaise de France (CRF), depuis le 29 janvier 2017, la pénalisation du négationnisme du génocide contre les Tutsis ou de sa banalisation sont inscrites dans la Constitution française.

Tout avait commencé par la diffusion, en décembre 2013, d’un sketch sur Canal+, la principale chaîne cryptée en France, qui tournait en dérision le génocide contre les Tutsis : ainsi un des personnages chantait « Fais dodo, car Maman est en haut, coupée en morceaux/Papa est en bas, il lui manque un bras … ». La chaîne cryptée n’ayant pas voulu déprogrammer la rediffusion du scandaleux sketch et ayant refusé de présenter de véritables excuses, l’avocat de la CRF, Maître Richard GISAGARA, engagea une bataille juridique. Une bataille qui alla jusqu’à la Cour de cassation.

La Communauté rwandaise de France a obtenu gain de cause et acquis le droit de porter une « question prioritaire de constitutionnalité(QPC) » et put plaider devant la Cour constitutionnelle, au nom de l’égalité devant la loi, que la loi pénalisant le négationnisme du génocide juif (La loi Gayssot du 13 juillet 1990) soit étendue au négationnisme du Génocide contre les Tutsis. Désormais quiconque journaliste ou non, est coupable du négationnisme ou de banalisation de tout génocide sanctionné par un tribunal français ou un tribunal international est passible d’un an de prison et d’une amende de 45.000 euros (Article 24 bis sur la loi de la presse) : une véritable arme de dissuasion dont il ne faut pas abuser. C’est grâce à elle que la pression combinée de la Communauté rwandaise de France et d’Ibuka-France sur France-Inter a obligé Natacha Polony à expurger de ces propos tout ce qui est passible de poursuite pour négationnisme. Une victoire même si elle ne s’est excusée que du bout des lèvres.

L’auteur de cet article est un Africaniste et président d’honneur de la Communauté Rwandaise de France.

Redigé par André TWAHIRWA

Le 30 mai 2018 à 09:51
http://fr.igihe.com/politique/de-l-importance-de-bien-nommer-enfin-la-fin-du.html
Posté le 10/06/2018 par rwandaises.com