Voici un quart de siècle, le départ des Casques bleus du Rwanda, qui rendit possible le génocide, représenta pour les Nations unies un échec absolu, dont bien des leçons ont été tirées.
Depuis lors cependant, les missions de paix se sont multipliées, au nombre de 13 au total, dont 7 en Afrique, parmi les plus difficiles comme la Minusma (Mission des Nations unies au Mali) ou la plus ancienne, la Monusco en République démocratique du Congo. Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce qu’un exercice d’évaluation de ces missions soit mené à New York ou dans un pays du Nord, contributeur financier aux opérations de paix, c’est un « think thank marocain, l’OCP Policy center, basé à Rabat, qui a pris l’initiative de rassembler durant deux jours plus de 150 personnalités qui se sont livrées à des débats d’une grande franchise. Ont ainsi dialogué d’anciens ministres des affaires étrangères, de hauts fonctionnaires de l’ONU, des représentants des organisations régionales mais surtout une impressionnante brochettes de militaires haut gradés, anciens commandants des forces onusiennes et africaines et tous, à condition de ne pas être nommément cités, ont fait preuve d’une grande lucidité.
Les chiffres d’abord : les opérations de maintien de la paix, de plus en plus nombreuses, coûtent au total entre 6, 2 et 7 milliards de dollars par an. Cette somme est certainement inférieure au coût du seul engagement américain en Irak, mais au vu des résultats, elle représente cependant un montant élevé, que certains pays contributeurs, comme les Etats Unis de Donald Trump, commencent à remettre en question. C’est que le concept même de «maintien de la paix » est ambigu : il suppose que les forces onusiennes ont pour mission de garantir une paix qui aurait été conclue entre les parties belligérantes, ce qui est de moins en moins souvent le cas. En outre la « communauté internationale » présente différents niveaux d’implication : les pays du Nord assurent la plus grande partie des financements (quoique la Chine soit devenue le deuxième contributeur) mais ce sont les pays du Sud qui envoient des hommes sur le terrain, parmi lesquels l’Ethiopie, le Bangla desh, l’Inde, le Pakistan, qui y trouvent un avantage économique certain, tandis que le Rwanda, la Tanzanie, le Malawi se montrent désireux d’éteindre le feu qui brûle chez leurs voisins. Si les contributions diffèrent, les voix au chapitre ne sont pas les mêmes elles non plus : les pays qui décident réellement sont les cinq membres du Conseil de sécurité, ainsi que les pays qui occupent un siège non permanent (comme la Belgique en ce moment). Même si sept opérations se déroulent sur le continent, l’Afrique est loin de figurer dans le groupe des décideurs, car même lorsque des Etats africains occupent des sièges temporaires ils négligent d’envoyer des diplomates de poids porter leur parole. Sur le terrain non plus, il n’y a pas d’égalité entre les nations engagées : dans des situations dangereuses comme le Mali ou l’Est du Congo, troupes et officiers européens sont cantonnés dans les bureaux, dans des tâches de planification loin du front, tandis que les soldats venus du Sud sont placés en première ligne et font face aux situations les plus dangereuses. Quant aux Français, ils opèrent avec autorisation du Conseil de sécurité mais de manière autonome. Cette disparité est frappante au Mali, où les Casques bleus ne sont pas des forces d’interposition, mais des cibles délibérément visées par les groupes terroristes, ce qui explique qu’il y ait déjà eu 200 morts au sein de la mission, un nombre particulièrement élevé. C’est que là aussi il y a division des tâches ; les militaires français de l’opération Barkhane font directement la guerre aux terroristes et ils agissent en coordination avec la Minusma mais sans dépendre d’elle, tandis que des embuscades meurtrières sont régulièrement tendues aux forces onusiennes « c’est le maillon faible que l’on vise à faire sauter » commente un officier de terrain. En outre, au Mali comme en Centrafrique, voire en RDC, des forces onusiennes souvent déployées loin de leurs bases ont bien du mal à ne pas être soupçonnées de sympathie pour l’une ou l’autre faction belligérante, surtout lorsqu’elles partagent la même religion, musulmane en l’occurrence…Dans les missions de maintien de la paix comme dans d’autres initiatives de l’Onu, constatent des participants, il y a trop de centralisation, de bureaucratie, on ne fait pas assez confiance aux commandants déployés sur le terrain dont la capacité d’initiative est trop réduite. Ce qui mène à des guerres totalement asymétriques entre d’un côté des Casques bleus peu soucieux de risquer leur vie et paralysés par les règles d’engagement souvent très rigides et, en face d’eux, des groupes armés très mobiles, qui ne respectent pas les lois de la guerre et se confondent volontiers avec les populations civiles.
Ces réalités dérangeantes, soulignées par les militaires venus du terrain, ont contrasté, tout au long du colloque, avec les discours des personnalités civiles, représentant des organisations internationales ou des think thank. Ainsi par exemple ces dernières ont-elles longuement souligné la nécessité de coopérer avec la « société civile » et les organisations qui se présentent en son nom. Mais en Afrique, chacun sait que cette « société civile » évoluant dans le sillage des opérations onusiennes a souvent peu d’impact sur le terrain, étant plus habile à répercuter vers la base les « mantras » venus de New York ou d’ailleurs qu’à faire remonter les attentes réelles des populations concernées. Il est vrai aussi que la langue contribue à creuser le fossé : si les notables, les personnes influentes ou âgées qui suscitent le respect au sein des populations et même des combattants s’expriment dans les langues locales, la société civile, elle, maîtrise le français ou l’anglais et apparaît ainsi comme un interlocuteur plus facile. La dualité français-anglais représente elle aussi un problème : il arrive que des contingents francophones soient écartés, alors qu’ils pourraient être déployés dans un pays francophone comme le Congo ou la RCA, pour la simple raison que leurs chefs ne pourraient communiquer en anglais avec la hiérarchie à New York ou dans la capitale du pays…
L’appui d’organisations régionales, comme l’Union africaine, ou de groupes ad hoc comme le G5 Sahel pourrait alléger le fardeau des missions onusiennes, à condition que soient respectées des règles d’engagement communes et qu’une meilleure coordination soit mise au point.
A cet égard tous les participants ont souligné la nécessité de préserver une sorte de mémoire institutionnelle, c’est-à-dire les archives et les bilans des opérations de paix, qu’elles aient été ou non des réussites, et de conceptualiser davantage les méthodes mises en œuvre. « Après tant d’années, il serait temps de cesser de naviguer à vue » devait conclure un chef d’état major, plaidant en faveur d’une « école africaine de gestion des crises »…

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Posté le 21/06/2018 par rwandaises.com