À la signature, fin mai, d’un contrat entre le Rwanda et l’équipe d’Arsenal, la seule question qu’il fallait (se) poser est celle de savoir si ledit contrat profite(rait) ou non au tourisme rwandais, un des secteurs-clé de l’économie nationale. Mais, pour les droit-de-l’hommistes ou droit-de-l’hommisants, cette signature a été un prétexte pour crier au scandale et instruire, pour la énième fois, un procès en dictature contre le Président Paul Kagame et dénoncer sa gouvernance.
L’article d’une certaine Dominique Müller, chercheure au GCSP (Geneva Center for Security Policy), est une parfaite illustration de cette réaction quasi-pavlovienne : l’auteure se demande ce qui se cache derrière ce contrat « impressionnant ». L’intérêt d’y répondre ? C’est une occasion de retordre le coup à tous les poncifs contre le Rwanda de l’après 1994, qu’elle ressort en guise de réponse à sa question déplacée. Par André Twahirwa*
« Rwanda : les stratégies qui menacent la liberté politique » : C’est ainsi que Dominique Müller résume son « opinion » sur le Rwanda de l’après-1994 (Le Temps, 5 juin 2018).
https://www.letemps.ch/opinions/rwa…
Sauf que, au contraire, toutes les « stratégies » mises en place au Pays de Gihanga, après 1994, sont des stratégies de reconstruction et de véritable libération nationale.
En effet, en 1994, le Rwanda a touché le fond. Pour remonter, il lui fallait tourner la page de la colonisation et renouer avec ses (propres) racines : comme le prévoit la Constitution dans son article 11 (Culture rwandaise comme source de solutions endogènes), le peuple rwandais a choisi de recourir aux « solutions localement conçues » en vue du développement national et de la promotion de la culture nationale. Mais la Renaissance, le retour aux sources, n’est pas un retour dans le passé. Michel-Ange, pour sculpter son David, n’a pas copié l’Adonis de l’Antiquité gréco-romaine : il s’en est inspiré pour faire du nouveau.
Et les succès de cette politique sont internationalement reconnus et unanimement salués. Comment peut-on penser qu’un tel « miracle » puisse se faire sans le leadership d’un grand homme d’Etat, sans l’adhésion du peuple, sans démocratie ? C’est pourtant le cas de notre chercheuse genevoise, manifestement trop jeune et peu ou mal informée sur le Rwanda de l’après-1994 et qui, à l’occasion, ressort tous les poncifs contre la gouvernance au Rwanda de l’après-Génocide.
Reprenons le fil de sa métaphore footballistique, qu’elle déroule en quatre temps.
« La mémoire : la passe décisive » ? La politique de mémoire politiquement instrumentalisée ?! Le programme « Ndi umunyarwanda » (« Je suis rwandais ») est, en effet, « une passe décisive ». Mais pas une passe contre son camp : il est au cœur même de cette volonté de reconstruction et de réconciliation nationale. Il s’agit non de gommer ou cacher les différences (hutu-tutsi-twa) mais de les désintoxiquer en les dépassant. Pour revenir à l’identité commune, une identité multiséculaire : « un même pays, une même langue, une même culture et une longue histoire commune qui doivent permettre d’avoir une vision commune de notre destin » (Préambule de la Constitution de 2003, révisée en 2015).
Dans ce cadre, les commémorations – une semaine au niveau national et le reste des 100 jours dans différents lieux du pays – constituent un moment intense du travail de mémoire : comment peut-on les juger « forcées » et comment l’auteure peut-elle accuser le FPR, qui a mis fin au génocide, de chercher, à travers elles, à « imposer sa version des faits », d’instrumentaliser le génocide à des fins politiciennes ?! Et, d’ailleurs, quelle serait « sa » version des faits ?!
« Les tactiques d’un businessman » ? Pour Dominique Müller, la signature du contrat entre le Rwanda et l’équipe d’Arsenal a été un prétexte pour se demander « ce qui se cache derrière cette réalité », derrière ce contrat « impressionnant » (sic). Et la réponse de la chercheuse genevoise est claire et clairement explicitée : rien d’autre qu’une « opération de PR du président Kagame qui dirige son pays comme si c’était son entreprise ». Sauf que la seule question qu’il fallait (se) poser est celle de savoir si ledit contrat profite(rait) ou non au tourisme rwandais, un des secteurs-clé de l’économie nationale. Et c’est seulement au Rwanda que revenait la réponse. En toute souveraineté. Et ses partenaires au développement approuvent son choix.
Ainsi, pour la Ministre néerlandaise du commerce extérieur et de la coopération au développement, « les Pays-Bas comprennent que le Rwanda dans le cadre d’une stratégie de développement plus large veuille développer davantage son industrie touristique et que la promotion et le marketing en font partie ». Et le Conseil fédéral suisse « salue la volonté du gouvernement rwandais de vouloir développer son potentiel touristique » (Le Matin, 6 juin 2018).
Quant au président Paul Kagame, il est, non « un businessman » ou le « PDG de l’entreprise Rwanda », mais un homme politique exceptionnel, un grand homme politique (« rencontre d’un homme et de l’Histoire »), c’est-à-dire tout simplement l’homme qu’il faut au moment où il faut et à la place qu’il faut. Un homme qui a su aider le Pays de Gihanga à se remettre sur ses rails et dans ses fondations multiséculaires. Il a su l’aider à retrouver toute sa profondeur historique et sa dignité, une dignité dont la propreté des rues peut être considérée comme une métaphore. Et, à partir des fondations solides retrouvées, proposer une vision et ouvrir des perspectives au peuple rwandais.
Pour ce qui est de l’économie, le Rwanda privilégie le partenariat public/privé. Et si le groupe Crystal Ventures en est effectivement un des acteurs majeurs, c’est que, au sortir du Génocide, les caisses de l’Etat étaient vides, l’économie exsangue et que rares étaient ceux qui voulaient investir. Le groupe Crystal Ventures a été fondé en 1995, sous le nom de « Tri-Star », pour relancer l’entreprise privée fortement délabrée et il a alors profité des opportunités de croissance dans un environnement vierge. Aujourd’hui, présent dans divers secteurs-clé de l’économie, il s’est diversifié dans son financement ainsi que dans ses activités et il constitue un de ces grands fonds d’investissement privés dont aucun pays ne peut se passer : c’est une des conditions nécessaires à l’autonomie économique.
« Les adversaires sur le banc de touche » ? La seule interdiction qui frappe les formations politiques est celle de s’identifier à une race, une ethnie, une tribu, un clan, une région, un sexe, une religion ou à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination (article 57). Et pour cause. La soi-disant « opposition en exil », qui a pignon sur rue en Occident, ne rêve que d’une chose : rétablir la démocratie « ethnique » et, pour la troisième fois – après 1959 et 1991 – le multipartisme d’affrontement, celui-là même qui a mené inéluctablement au Génocide et qui est, même dans les démocraties occidentales, en crise profonde.
Aujourd’hui, au Rwanda, dans le cadre républicain, le « partage équitable du pouvoir » entre toutes les formations politiques dans le cadre du « Forum national de Concertation des Formations Politiques » est gravé dans la Constitution (article 59 de la Constitution de 2003, révisée en 2015) : à l’instar de ce qui se passe en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron, chaque formation apporte sa sensibilité spécifique liée à son Histoire et à ses racines plus ou moins lointaines. C’est le cas notamment pour le Mouvement démocratique rwandais (MDR) de l’actuel Président du Sénat, pour le Parti social démocratique (PSD) de l’actuel Premier Ministre et pour le Parti libéral (PL) de la Présidente actuelle de l’Assemblée nationale. Les deux dernières formations avaient présenté des candidats aux Présidentielles 2010.
Et l’on peut parler de consensus institutionnalisé et de partage au sommet de l’État dans une démocratie (à dominante) participative, un système éminemment inclusif : à ce jour, une douzaine de solutions endogènes permettent de renforcer l’implication des citoyens – tous et toutes – dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision, leur rôle d’acteurs dans leur propre développement. De la même façon, dans une démocratie telle que la Suisse, baptisée « consociative » par d’aucuns, l’on peut parler de « Consociation » et de partage du pouvoir au plus haut niveau de l’État dans le cadre d’une démocratie (à dominante) directe. Dans les deux cas, la recherche du consensus est source d’une démocratie apaisée.
« Le temps additionnel ». Le président Paul Kagame joueraient « les prolongations » ? La limitation à deux mandats présidentiels serait une règle intangible, presque sacrée !? Et pourtant, aux Etats-Unis d’Amérique et en France, les plus anciennes démocraties occidentales à régime présidentiel ou semi-présidentiel, cette limitation n’a été constitutionnalisée qu’en 1947 et en… 2008, respectivement. Et, dans les deux cas, la modification de la durée et/ou du nombre de mandats présidentiels a été conditionnée par un contexte national particulier, un contexte de loin moins « urgent » et moins crucial que celui du Rwanda de l’après-1994, un pays qui renaît de ses cendres et qui est dans une dynamique de reconstruction exceptionnelle. Une reconstruction qui a besoin de continuité et de stabilité pour se consolider.
Il est surtout clair que ce qui compte, ce n’est ni le nombre ni la durée des mandats que ce soit dans un sens (pour les limiter) ou dans un autre (pour les augmenter). Ce qui compte, c’est que les modifications soient faites au nom de l’intérêt du peuple. Et non au profit d’un seul ou de quelques-uns. Ce qui compte, c’est la qualité des hommes ou des femmes et leur capacité à rendre compte de ce qu’ils font du pouvoir qui leur a été confié par leur peuple.
La question n’est donc pas le choix entre les « institutions fortes » et les « hommes forts » ; mais ce que les « hommes forts » font des « institutions fortes ». Franklin Roosevelt, élu quatre fois de suite, n’est pas son successeur Harry Truman, à qui les États-Unis doivent la limitation à de deux mandats présidentiels. Charles de Gaulle, le fondateur de la Vème République en France, n’est pas Nicolas Sarkozy, à qui l’on doit la limitation à deux mandats en France. Paul Kagame ne fait pas partie de la catégorie des présidents « technocrates » mais de celle des chefs d’État visionnaires. Le bilan de ses deux premiers mandats parle de lui-même. Sa projection dans le futur aussi : il rêve « d’un Rwanda réellement stable, sur tous les plans. Un Rwanda prospère, dont le niveau a rattrapé celui des pays qui le tiennent pour acquis. Un Rwanda qui n’a plus besoin d’être le bénéficiaire de la générosité d’autrui, [qui] soit en mesure de donner plutôt que recevoir, [qui] puisse aider d’autres à devenir autonomes et à être les acteurs de leur prospérité. […] des Rwandais heureux et fiers d’être Rwandais. » (L’Homme de fer, Conversations avec Paul Kagame, idm, 2015, p. 117). Un rêve dans lequel il est encore et toujours question de (stratégies de) libération nationale.
Et ce qu’il rêve pour le Rwanda, il le rêve aussi pour l’Afrique : il œuvre pour une Afrique vraiment indépendante et (donc) libre.
Redigé par André Twahirwa
*africaniste et président d’honneur de la Communauté rwandaise de France
http://fr.igihe.com/opinions-reactions/rwanda-des-strategies-de-liberation-nationale.html
Posté le 21/06/2018 par rwandaises.com