Un bout de trottoir, sur le périmètre de Bruxelles ville, au bord d’un tunnel, au pied de hautes tours venteuses, à côté d’une station de métro… A première vue, la « place Lumumba » que la ville de Bruxelles a accordé au héros de l’indépendance congolaise est dérisoire. Et cependant, la cérémonie d’inauguration, le dévoilement d’une modeste plaque bleue portant le nom célèbre, fut un grand moment d’émotion. Pour des dizaines de Congolais, vivant en Belgique depuis longtemps et souvent actifs dans la vie politique de l’ancienne métropole, ce retour de Lumumba était, comme devait le rappeler l’une des oratrices, l’aboutissement d’une longue lutte. Quinze années de manifestations, de pétitions, de sit in… Tant d’efforts pour finalement se heurter à l’indifférence de la commune d’Ixelles qui voulait même débaptiser Matonge et pour finalement réussir à convaincre le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, au nom de la diversité, de céder quelques mètres de territoire…Pour les quatre associations porteuses du projet, dont « Mémoire coloniale » et « Change », il s’agissait d’un combat essentiel : non seulement perpétuer le souvenir du héros de l’indépendance, mais transmettre son idéal, aux jeunes générations. Même si avenue de la Toison d’Or, à quelques mètres de là, des descendants d’anciens dignitaires mobutistes assuraient, en sirotant leur bière, qu’ils ne s’étaient même pas levés, la foule, elle était bien présente devant le podium où, pour clôturer la cérémonie, Blancs et Noirs entonnèrent d’une même voix et sans reprendre haleine, les deux hymnes nationaux, « Debout Congolais » et aussi cette Brabançonne dont les joueurs du Mundial ignorent les paroles mais que les Congolais d’ici chantent avec cœur, sans rater une strophe ou une note !
Devant Roland Lumumba, fils de Patrice, Jacqueline Mpolo, fille du ministre de la Défense en 1960 et compagnon de la première heure, devant le fils d’Okito, le troisième des suppliciés du Katanga, l’historien Elikia M’Bokolo devait précisément rappeler que Patrice Lumumba n’est pas seulement le produit d’une lutte ponctuelle, destinée à conquérir l’indépendance, à mettre fin à l’occupation coloniale : il s’inscrit dans l’ « histoire longue » de l’Afrique victime depuis le 15 e siècle de la traite esclavagiste, du vol de ses ressources, de l’accaparement de ses terres, une Afrique qui a tenté de résister à la cupidité des envahisseurs et des conquérants, qui n’a jamais accepté de baisser les bras. Résistant, réfractaire à un ordre injuste qu’il dénonça dans son discours du 30 juin, Patrice Lumumba s’inscrit dans lignée des héros oubliés du Congo et d’ailleurs, Kimpa Vita et surtout Simon Kimbangu, le prophète, adepte de la non violence, auquel les Belges infligèrent une déportation de 32 ans, plus longue que celle de Nelson Mandela lui-même.
L’historien Ludo de Witte, auteur des meilleurs ouvrages sur l’assassinat de Lumumba et la prise de pouvoir de Mobutu tint lui aussi à replacer le combat dans une perspective historique, mais en démontrant à quel point la pensée de l’ancien premier ministre est toujours d’ actualité : plus que jamais elle dérange l’ordre injuste du monde, plus que jamais le Congo est mis en coupe, pillé par les corrompus et les corrupteurs..Pessimiste, M’Bokolo qui enseigne désormais plusieurs mois par an à Kinshasa, a semblé ignorer les courants de fond qui traversent la société congolaise . C’est ainsi qu’évoquant une sorte d’ « esclavage mental » il a dénoncé la passivité et l’ignorance de ses jeunes élèves qui respectent Léopold II, déplorent, comme leurs parents avant eux, le départ précipité des Belges et critiquent le discours dans lequel Lumumba aurait « insulté » le roi Baudouin. Les jeunes qui ont pris la parole lors de la cérémonie solennelle à l’hôtel de Ville de Bruxelles, ceux qui ont organisé la cérémonie de samedi, offrent précisément la démonstration du contraire : pour eux, la pensée de Lumumba est bien vivante, le héros demeure toujours une référence et des centaines d’associations d’entr’ aide, de mobilisation politique à travers tout le Congo et dans la diaspora démontrent, cette année plus que jamais, à quel point le peuple est debout, mobilisé.
Alors qu’il avait initialement refusé que Ludo de Witte prenne la parole à la cérémonie, le bourgmestre Philippe Close, fut le premier à reconnaître son erreur et à saluer le travail de fond mené par l’historien, un geste qui contribua à rasséréner l’atmosphère. Sous un soleil de plomb, digne de la canicule kinoise, tous les échevins de la Ville de Bruxelles avaient tenu à être présents samedi lors du dévoilement de la plaque et l’on vit même l’omniprésent Jean Louis Bouchez (MR) se faire photographier aux côtés du milliardaire Sindica NDokolo, beau fils de l’ex président angolais dos Santos et probable candidat à la présidence…Malgré les tensions et les incertitudes de l’heure, la politique ne tint cependant pas une grande place dans cette cérémonie d’hommage : ce qui comptait, c’était la mémoire du héros disparu, la volonté de poursuivre sa lutte pour la dignité et le développement du Congo, le message d’amitié à l’égard d’une Belgique désormais métissée, multiculturelle où la diaspora congolaise s’est taillée une place de choix…
Et durant le reste du week end, après le temps des souvenirs et de l’émotion, c’est l’âme congolaise elle-même qui déborda du modeste trottoir qui lui avait été assigné, qui envahit Matonge et le quartier saint Boniface, qui fit danser la ville au rythme de la rumba… « Indépendance cha cha », c’était hier, c’est aujourd’hui, ce sera demain…Tout oublier ? Tout pardonner ?
Bruxelles,plus que jamais, est restée l’ « autre » capitale du Congo…
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Posté le 03/07/2018 par rwandaises.com