Ces derniers mois, plus que jamais, on n’en a parlé, de l’absence de démocratie au Rwanda : il fallait absolument discréditer la rwandaise Louise Mushikiwabo en route vers “le trône de la Francophonie” ! Le gros de la tempête médiatique étant passé, si l’on en reparlait calmement, de la démocratie au Rwanda ? À l’adresse des hommes et des femmes de bonne volonté qui n’ont droit, sur la situation politique rwandaise, qu’au discours des droits-de-l’hommistes, relayé par les médias occidentaux.
En reparler pour rappeler d’abord que la Démocratie est universelle : elle n’a ni époque ni terre d’élection. En reparler pour réaffirmer que la « pire des dictatures »  est une démocratie (“pouvoir DU peuple-POUR le peuple-PAR le peuple”) cochant les trois cases et, de façon exemplaire, la case “PAR le peuple”. Mais elle est conforme aux valeurs rwandaises de partage et de dialogue loin des clivages idéologiques et des affrontements politiciens virulents, qui, imposés par l’Occident en 1993 pour la seconde fois après 1959, ont conduit au Génocide contre les [Ba] Tutsi. 

La démocratie n’est pas sortie toute armée de la cuisse de Jupiter, telle Athéna! Certes, le mot est grec _d’origine_ et la conceptualisation, occidentale. Mais la réalité est universelle parce qu’universellement nécessaire. En grec ancien, le mot «demos» signifie à la fois une portion de territoire et le peuple qui y vit. Et toute société a besoin d’organiser le vivre ensemble, d’instituer la solidarité (de solidaire, du latin juridique in solido «pour le tout; responsable de tout») au service du bien commun, de la «chose publique» (res publica), à distinguer de «la chose privée» (res privata). C’est l’athénien Aristote lui-même qui nous rappelle l’évidence: « Ce n’est pas seulement pour vivre ensemble, mais pour bien vivre en semble que l’on crée un État ». C’est là la substantifique moelle de la démocratie. Et c’est  en cela qu’elle est universelle : elle n’a pas de terre d’élection et elle demeure une invention continue, qui n’a ni commencement ni fin.

Pour reprendre une définition communément admise, la démocratie est “ le pouvoir DU peuple, POUR le peuple, PAR le peuple ”. La démocratie directe est la forme la plus fidèle aux origines du mot et du concept: le peuple exerce lui-même les pouvoirs sans la moindre délégation à des représentants. Tel a été, en ses débuts, le modèle athénien du VIème siècle av. J.-C. Il en a été de même  en Afrique (noire) précoloniale : dans un pays comme le Rwanda, il se pratiquait une démocratie directe.

Démocratie directe dans le Rwanda précolonial

Au Pays des mille collines, à côté des institutions du sommet de l’État, existaient quatre outils d’une démocratie de proximité comparables à celles d’Athènes : ABUNZI «Réconciliateurs» ; «médiateurs»; GACACA «Tribunaux traditionnels» (litt. clairière où les gens se réunissent) ; INGANDO «Camp de solidarité » (litt. campement pour plusieurs personnes) ; UBUDEHE «Développement communautaire» (litt. Ensemble de personnes cultivant ensemble; d’où, grand nombre de gens; réunion). Mutatis mutandis, l’Ingando et l’Ubudehe sont proches de la Boulè athénienne (Conseil délibératif), les Gacaca et les Abunzi de l’Héliée (Tribunal populaire).  Et,  c’est tout naturellement que les outils de démocratie de proximité ont été restaurés et enrichies pour (re)bâtir un modèle endogène  de démocratie.

De la mise en place des solutions endogènes et de la démocratie participative, du “pouvoir PAR le peuple”

Le recours aux «Solutions localement conçues»(SLC) est inscrit dans la Constitution (Article 11) et, en ce jour, 12 SLC ont été progressivement mises en place, recensées et sont décrites dans “Rwandapedia ”. Quatre seraient spécifiquement opérantes dans le domaine de la Réconciliation ou de la Justice: INGANDO ou Programme d’éducation pour la paix et l’unité, réintroduite en 1997; GACACA ou Tribunaux populaires, réintroduite en2002; ABUNZI ou Médiateurs, réintroduite en 2004; ITORERO ou Programme d’éducation civique, réintroduite en 2007. Six relèveraient de la participation du peuple dans le champ de la démocratie sociale et/ou économique: UMUGANDA ou Travaux communautaires, réintroduite en 1998; UBUDEHE ou Développement communautaire, réintroduite en 2001; IMIHIGO ou Contrats de performance, réintroduite en 2006; GIRINKA ou “vache par famille pauvre”, instaurée en 2006; UMUGANURA ou Festival des prémices, réintroduite en 2011; FONDS DE DÉVELOPPEMENT «AGACIRO», instaurée en  2012. S’agissant de la démocratie strictement politique, il en est deux qui permettent au peuple ou à une large partie de la société civile de participer directement au pouvoir: UMUSHYIKIRANO ou Conseil de dialogue national, instaurée en 2003; UMWIHERERO ou Retraite nationale sur le leadership, instaurée en 2004.
Mais cette classification reste discutable: toutes les SLC, progressivement réintroduites ou instaurées, structurent en profondeur toute la vie politique rwandaise : elles constituent «l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision et dans leur réalisation» qui caractérisent la démocratie (à dominante) participative. C’est le “par le peuple” qui différencie les différentes formes de démocratie (“pouvoir du peuple, pour le peuple et  PAR le peuple”). Le Pays des mille collines est celui qui pratique le plus la démocratie participative et il est sans doute le seul à l’inscrire dans sa (Article 48).

Hérité de la colonisation, le modèle institutionnel occidental à dominante représentative (Parlement, gouvernement, multipartisme…),  propre à une société centrée sur l’individu, n’est pas transposable tel quel dans une société du NOUS : le Rwanda l’a ainsi repris mais l’a naturellement organisé dans le cadre du “partage du pouvoir”, destiné à mobiliser toutes les composantes de la nation POUR le bien commun (la res publica) et  qui est inscrit dans la Constitution de l’après-Génocide.

Institutionnalisation du consensus, du dialogue national et du partage du pouvoir “POUR le peuple”

La seule interdiction qui frappe les formations politiques est celle de s’identifier à une race, une ethnie, une tribu, un clan, une région, un sexe, une religion ou à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination (Article 57, Constitution de 2003, révisée en 2015). Et pour cause. Aujourd’hui, au Rwanda, dans le cadre républicain, le “partage équitable du pouvoir” entre toutes les formations politiques, dans le cadre du “Forum national de Concertation des Formations Politiques”, est gravé dans la Constitution (article 59) : à l’instar de ce qui s’est passé en France avec l’élection d’Emmanuel Macron, chacune des formations  apporte sa sensibilité spécifique liée à son Histoire et à ses racines plus ou moins lointaines. C’est le cas notamment pour le Mouvement démocratique rwandais (MDR) de l’actuel Président du Sénat ou du Parti libéral (PL) de la Présidente actuelle de l’Assemblée nationale. Mais Il s’agit d’un partage et non d’un simple départage. Partage d’un projet commun.

Le projet commun porte le nom de “Vision 2020”, résultat d’un long processus de consultations nationales qui ont été initiées en 1997 et qui ont duré plus d’une année (mars1998-mai1999).
Plus de la moitié des 11 partis participant au Forum_ 6 aux dernières élections _ sont représentés au Parlement. Par ailleurs si, aujourd’hui, le Front patriotique est majoritaire, c’est de par son rôle dans l’Histoire récente du pays et du charisme de son président ; mais, aucune formation ne peut détenir plus de 50% des portefeuilles ministériels. C’est ce partage du pouvoir autour d’un projet commun, cette union nationale pérennisée, cette démocratie apaisée qui a facilité la mise en place et la réalisation de politiques à long terme : la « Vision 2020  et, bientôt, la « Vision 2050 », en gestation depuis du Dialogue national (Umushyikirano) de  décembre 2015.

Une démocratie apaisée

Démocratie “aseptisée”, pour les observateurs extérieurs bienveillants. “La pire des dictatures » pour les multinationales droits-de-l’hommistes, suivies par les médias et donc par l’opinion occidentale. Qui n’en demande pas mais. Sauf que, si cette forme de démocratie apaisée, loin des postures et affrontements politiciens, a porté ses fruits, c’est parce qu’elle est conforme aux valeurs de partage et de dialogue de la société rwandaise et parce qu’elle s’inscrit dans une continuité historique des pratiques politiques du Rwanda.

En effet, avant la colonisation, les trois pôles du pouvoir central étaient occupés par des clans différents (Bernardin Muzungu, Histoire du Rwanda Précolonial, l’Harmattan, 2003, pp 96-99). Quant à l’administration civile, elle était répartie entre les différentes catégories socioprofessionnelles : les chefs des pâturages (à dominante tutsie) et les chefs du sol (à dominante hutue). Et le rôle de la petite minorité sociale des Batwa ne se limitait pas au métier de potier et de fou du roi : avec les deux autres catégories sociales, les Batwa participaient pleinement à la défense du pays au sein d’une même armée nationale. Après le Génocide contre les [Ba] Tutsi, sortir vraiment de l’aliénation coloniale, aux origines de l’idéologie génocidaire, exigeait de renouer avec ses racines afin de renaître de ses cendres.

Renaître de ses cendres

En Europe, les surgeons de la démocratie directe d’Athènes _ devenue semi-directe sous l’archonte Clisthène (524-523)  puis représentative durant la République romaine_ avaient repoussé, après la Renaissance, pour, peu à peu, donner naissance à la démocratie (à dominante) représentative occidentale. Au Rwanda, la démocratie de proximité, associée au partage du pouvoir au sommet de l’État, a évolué vers la démocratie (à dominante) participative dans le cadre républicain de consensus et de partage du pouvoir au sein de l’exécutif et du législatif. Mais, pour renaître de ses cendres, aux facteurs historiques devait  s’ajoute un leadership fort, capable d’amener le peuple à reprendre en main son destin et mener à terme ce ré-enracinement : à circonstances exceptionnelles, solutions exceptionnelles et homme exceptionnel pour les porter et les incarner.

Nécessité d’un  leadership fort

Le Rwanda de l’après-1994 a effectué une révolution copernicienne  et, pour cela, il avait besoin d’un homme d’une grande autorité et d’un grand charisme. Qui n’a donc nul besoin d’être autoritaire. Un homme qui fait partie de cette espèce rare d’Hommes d’État visionnaires. “L’Homme de fer” veut d’ “un Rwanda qui n’a plus besoin d’être le bénéficiaire de la générosité d’autrui. [Il] souhaite que le Rwanda soit en mesure de donner plutôt que recevoir, qu’il puisse aider d’autres à devenir autonomes et à être les acteurs de leur prospérité. (L’Homme de fer, Conversations avec Paul Kagame, idm, 2015, p.117).
Avec des leaders de cette envergure_ il y en aurait un tous les 50 ans _ ce qui compte, ce n’est ni le nombre ni la durée des mandats exercés. Ce qui compte, c’est ce qu’ils en font.  Quitte à ce que l’on parle, à leur sujet, de “dictature”. C’est ce qu’un François Mitterrand, l’homme de la IVème République française, a fait à propos de Charles de Gaulle notamment dans son essai Coup d’État permanent,  publié en 1964, six ans après le retour aux affaires de l’homme qui a fondé la Vème République et qui a  redonné à la France son lustre d’antan.

Par André TWAHIDWA

Posté le 17/10/2018 par rwandaises.com