Si le Rwanda fait de la Francophonie ce que le Rwanda est devenu à force de travail, d’exigence, d’excellence, de solidarité et de vigilance pour la mémoire, alors la Francophonie prospérera et rayonnera comme il y a longtemps, très longtemps quand un illustre fils du Québec la gouvernait: Jean-Louis ROY.
Par Amadou Lamine Sall, Poète et Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
Et si nous goûtions le pays de Kagamé et son expérience réussi de développement global ! Pourquoi ne pas croire qu’un pays anglophone, hier membre de la famille francophone, peut donner une nouvelle vie à l’Organisation Internationale de la Francophonie ? Celle-ci n’est pas ce qu’elle devrait être. Elle n’a pas surtout besoin de renaître. Elle a besoin d’être réinventée.
Le Rwanda est devenu une référence en Afrique et dans le monde. Un pays qui comptait si peu et connu pour sa mémoire souffrante, est aujourd’hui respecté et loué sur la scène internationale pour ses réussites. On peut tout dire de Kagamé, sauf qu’il a réussi à faire d’un pays tragique, un pays solide, uni et retrouvé. Son patriotisme le sépare de nombre de chefs d’Etat africains. On raconte ses faits d’armes. On sait, par exemple, comment il a refusé à une grande firme automobile mondiale de s’installer chez lui, le temps d’envoyer à l’étranger, en formation, de jeunes Rwandais qui, devenus ingénieurs et hauts techniciens qualifiés, sont revenus au pays. Alors seulement, il a dit oui, vous pouvez maintenant venir vous installer chez nous, mais à la condition que certains secteurs de votre firme installée chez nous, soient confiés à des Rwandais qui en ont acquis la compétence.
Ce n’est pas autrement que certain pays, comme la Chine, ont agi avec des multinationales comparées à « Auchan » ou « Leclerc », en France, en leur imposant des conditionnalités: vous vous installez, mais à 50-50. Les décideurs chinois savaient que leur marché était fort convoité pour leur milliard de consommateur. A part égale 50-50, au bout de quelques années, les chinois avaient installé à côté des firmes étrangères, leur propre supermarché national et le tour était joué !
Après la Chine, deux seuls autres gros marchés mondiaux sont inscrits dans le futur pour les investisseurs et pour les multinationales: l’Afrique et l’Inde. L’Afrique ne peut plus continuer à subir la loi des marchés occidentaux et américains. Aux lendemains de la colonisation, le marché mondial était désorganisé, trafiqué, et l’Europe en a profité royalement, pendant des siècles. Aujourd’hui, le jour s’est levé et le monde est mieux structuré, mieux régi. On peut se défendre et être défendu.
Alors, que l’Afrique se réveille donc et qu’elle gère de très près ses ressources en négociant plus patriotiquement avec les pays développés et les firmes internationales et capitalistes. La Chine nous a montré le chemin. Le Rwanda n’a pas tardé à comprendre et à agir pour d’abord protéger ses intérêts. C’est cela le mérite de Paul Kagamé.
En définitive, si extraordinaire que cela puisse paraître, nos pays ont besoin d’autorité, d’ordre, de discipline, pour un certain temps, au moins. Kagamé n’est pas un tendre. Son pays est dans le rouge dans le domaine des droits de l’homme. Il est même dans la dictature. Mais certains se demandent si nous n’avons pas besoin de cette « dictature », sorte d’autorité disciplinaire, pour que nos pays s’alignent dans la rigueur de la gestion, la discipline des populations, le travail, le respect du bien public.
Quand j’observe mon pays au quotidien, citoyen dans la rue, je ne puis espérer son développement sans une autorité forte. Des compatriotes sont allés jusqu’à proposer des brigades en civil qui, mêlées aux populations et automobilistes, veilleraient sur la discipline, le respect, la bonne conduite. Faire et agir de sorte que la société soit la vigile d’elle-même. Que chaque citoyen égaré sache qu’il est regardé d’un œil moral. Ce n’est pas enfreindre la liberté d’autrui.
Ce qui se passe au Sénégal dépasse tout entendement. Le développement, ce n’est point le moi-moi, partout et toujours. L’éducation du citoyen compte. Un pays n’est pas une poubelle. Un trottoir n’est pas une boutique. Un rond-point n’est pas un marché. Une auto n’est pas un jouet. Un feu rouge n’est pas une entrée de bar. Le respect des règles d’une posture citoyenne, c’est comme à l’entrée d’une église, d’une mosquée. On s’y prépare. On rassemble sa foi avant d’en franchir la porte. Oui, la liberté n’est pas une loi individuelle imposée aux autres. Oui, la démocratie occidentale n’est pas imposable en tout chez nous.
Quelqu’un me disait que la chancelière allemande Angela Merkel était à son 5ème mandat et que personne ne ruait dans les brancards ! A chacun sa pratique de la démocratie ! Certes, mais il faut savoir raison garder ! Ce qu’il nous faut retenir en Afrique, c’est que les droits de l’homme commencent d’abord par le droit au développement, c’est à dire manger, se soigner, se loger, se vêtir, bénéficier de l’éducation, travailler. Ce que l’Occident nous a légué comme héritage politique et institutionnel, doit être repensé, adapté à nos réalités sociales et économiques. Ce qui compte, c’est de penser en Afrique au plus grand nombre qui ne mange pas à sa faim, ne travaille pas, ne va pas à l’école, n’a pas d’eau courante ni d’énergie pour s’éclairer, pas même de latrines.
Ce qui compte, ce sont des hôpitaux pour soigner les plus démunis qui meurent aux portes des urgences faute d’un ticket d’entrée, faute de quoi aller acheter l’ordonnance prescrite avec du coton, des seringues. Même le minimum sanitaire manque. Ce qui compte, c’est de construire des écoles et que l’école publique donne sa chance à tous et d’abord aux fils des paysans et des pauvres.
C’est l’État, et personne d’autre, d’abord, qui a cette charge ! Je me rappelle la grande peine du Président Senghor, quand retiré du pouvoir, il apprit que son successeur avait fait fermé les internats. Lui qui avait tant fait pour les fils des paysans qui se retrouvaient seuls dans les grandes villes, en était meurtri !
Par ailleurs, lisez bien dix fois ce qui suit, retenez-le, rappelez-vous en chaque matin. Écoutez ce qu’un brillant fils de l’Afrique, Ben Marc Diendéré, nous écrit: « La promesse de la nouvelle ère digitale n’aura pas lieu si les pays africains ne satisfont pas à la première condition de l’économie numérique qui est de reprendre le contrôle des fréquences de spectre du continent […] Elle devient impérative et doit être sans appel. Les réseaux de télécommunications sont à comparer à l’introduction du chemin de fer dans la révolution industrielle au début du siècle dernier.
On parle ici de la souveraineté des infrastructures de télécommunication (satellite, fibre optique, etc.). L’expérience accélérée du contrôle des infrastructures de télécommunications et de la manne qu’elles représentent pour des pays comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie, le Canada, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, le Brésil, le Venezuela, l’Inde et la Chine, n’est plus à démontrer. Ces infrastructures sont sources de revenus pour les États, d’accroissement de la compétitivité entre les entreprises et d’innovation pour les populations. Que ce soit dans la livraison des services aux citoyens ou le développement des entreprises, les infrastructures robustes et de plus en plus performantes sont la promesse d’un changement réel de paradigmes pour les citoyens et les entreprises au cœur de la création et la gestion de richesses.
À qui appartiennent les réseaux de télécommunications africains, qu’ils soient satellites ou par câblodistribution ? La question mérite d’être posée en ces temps de livraison de services mobiles et numériques douteux, d’infrastructures à rabais aux citoyens et entreprises du continent […]
Le continent a perdu la souveraineté de sa surface. Là aussi, une ébauche de carte nous laisserait sans voix. Et que dire des airs, c’est-à-dire tout ce qui est de l’ordre de l’aéronautique et de l’aviation commerciale? Un véritable désastre de transport. Il est plus difficile à un Africain de l’Ouest de se rendre à l’est du continent que de se rendre en Chine. Situation anormale s’il en est une. Ce que l’ère numérique implique, c’est la bataille du spectre et avec elle, les infrastructures de dernières générations.
Cette richesse invisible, tracée sans consultation des Africains, dans des codes immatériels, a aujourd’hui une valeur incommensurable. Celui qui contrôle son spectre, contrôlera son développement en éducation, en culture, en santé, en environnement et dans le domaine de la sécurité de ses citoyens. Reprendre le contrôle des fréquences de spectre a rapporté aux gouvernements américains, aux Européens, aux Asiatiques et aux Latino-américains des centaines de milliards de dollars. Des sommes pharaoniques qui ont servi à accroître la compétitivité et l’innovation des entreprises. Tous ces Mégahertz et leurs bandes de fréquence qui couvrent le ciel africain, ont besoin de retrouver leurs propriétaires: les Africains. Le spectre c’est comme le pétrole et l’or, ressources qui font courir le monde.
L’anarchie actuelle de la propriété, des redevances collectées ou non liées aux droits de licences, que ce soit dans le domaine de la mobilité ou dans l’omniprésence des radios et télévisions internationales sur le continent, combinée aux actions isolées des pays, laissent le terrain aux cupides et ouvrent la voie à un piège d’aliénation qui gardera les pays africains dans la spirale de dépendance financière, culturelle et donc d’une domination économique qui sera encore plus forte dans l’ère numérique.
Que l’Union africaine demande à chacun des pays de faire un état des lieux de son spectre et de le présenter à ses citoyens et à l’Union dans des délais immédiats. Que des enchères individuelles ou collectives se tiennent rapidement dans les pays, mais avec la particularité que des entreprises locales en consortiums ou en partenariats en soient les fiduciaires responsables et imputables. Les règles de propriétés étrangères en matière de télécommunications qui prévalent dans les pays occidentaux, doivent l’être aussi en Afrique. »
Dans une autre posture toute combinée à nos spectres, notre Président de la République, devrait faire étudier très vite comment créer un Fonds national dénommé « Fonds-Générations » directement géré par le ministère de l’Économie, des Finances et du Plan et qui bénéficierait d’un pourcentage conséquent, entre 2 à 3% des revenus tirés du pétrole et du gaz. Ce Fonds serait une sorte de trésor de guerre pour les générations futures. Le proverbe le dit: « C’est quand on est jeune que l’on va ramasser le bois pour se chauffer quand le grand âge arrive ». C’est à l’État d’anticiper et de protéger sa jeunesse pour aujourd’hui et demain, dans un monde improbable et incertain.
Nos hommes politiques doivent avoir cette vision de l’avenir. D’autres fonds de soutien pourraient être crées autour des gigantesques revenus générés par les grands groupes étrangers de télécommunications et de téléphonie mobile installés dans nos pays. Un Fond dit « Fond Grand-père », connu dans certains pays d’Amérique, devrait pouvoir être mis en place et définir ses cibles à soutenir et à protéger. Trop d’argent est gagné sans que l’on pense mettre en place des sortes de greniers, des « titres fonciers pour l’avenir » tirés des revenus des investisseurs et de nos partenariats au développement qui construisent autoroutes, routes et rails avec des clauses sur 30 à 40 ans.
Dans un autre domaine comme celui de l’agriculture, l’expérience québécoise est révélatrice d’une extraordinaire créativité et d’une solide vision. « Le modèle de la « Coop fédérée » est à étudier, révèle toujours Monsieur Ben Marc Diendéré, Vice-président de l’Organisation canadienne-québécoise d’agriculteurs fondée en 1922 et qui regroupe 100 000 membres et génère aujourd’hui 9 milliards de chiffre d’affaires. Il précise: « L’agriculture au Canada est structurée par région. Elle est au cœur de la vie des populations et en adéquation avec la politique agricole commune de proximité. Celle-ci permet une mutualisation tout en maintenant et en renforçant les capacités d’exploitation. C’est une économie de partage basée sur une économie sociale équitable. L’Afrique, avec ses atouts naturels, est à même de transposer ce modèle qui permettra de nourrir chacun de ses habitants à sa faim. ».
Mon séjour au Québec au nom de la poésie, m’a ouvert l’esprit sur d’autres sujets de partage dont l’Afrique a besoin d’entendre et ses leaders politiques, avec.
Pour conclure et revenir au sommet des 84 États membres de la Francophonie -on comptera plus tard le nombre de présents- qui se tient à Erevan, en Arménie, en ce jeudi 12 octobre 2018, la ministre des Affaires Étrangères du Rwanda anglophone et du charismatique Paul Kagamé, vont aisément vers une victoire, pour remplacer la Haïtienne, la Très Honorable ancienne Gouverneure du Canada devenue Secrétaire Générale de la Francophonie par une élection fort heurtée, il y a 4 ans, face à l’écrivain Henri Lopès du Congo.
Nous apprenons qu’en francophonie, « la population totale compte 900 millions de personnes, dont 284 millions de francophones ». Louise Mushikiwabo -il faudra apprendre désormais à prononcer ce nom chantonnant- occupera probablement le prochain fauteuil de notre maison qui a en partage la langue française. Seule la Francophonie pouvait nous offrir un tel scénario presque surréaliste: élire une anglophone à sa tête ! On ne trouvera pas meilleure concession en diplomatie, meilleur esprit de dépassement ! Les lois de la politique sont impénétrables et le Président français Emmanuel Macron qui a soutenu très tôt cette candidature, nous cache un secret ! Le Canada et le Québec quant à eux, par des communiqués maladroits et tardifs, ont déclaré ne plus soutenir leur candidate Michaëlle Jean, à quelques jours du Sommet. Glaciale, fébrile et inélégante démarche diplomatique ! Là aussi, se cache une manœuvre «secrète» !
Retenons l’essentiel, c’est à dire l’avenir de cette organisation dont on a du mal à mesurer la vraie visibilité et qui manque cruellement de moyens financiers pour remplir ses missions. «Jeune Afrique» nous apprend, avec le sourire, que «la somme due par le Rwanda à l’OIF à la date du 06 avril 2018 s’élevait à 110.088 euros, -soit près de 71 millions 557 mille 200 FCFA-. Ce montant correspondait à des versements non effectués au titre de la contribution statutaire du pays en 2014, 2015, 2017 et 2018. L’ensemble des sommes dues (arriérés et contribution de l’année 2018) a été réglé au mois de mai, au moment de l’officialisation de la candidature de Louise Mushikiwabo ». Jeune Afrique ajoute du piquant: « Le président Paul Kagamé ne parle pas le français, même s’il le lit et le comprend […]
Quant à Louise Mushikiwabo, elle est aussi à l’aise en français qu’en anglais […] La langue du travail, du management, est désormais sans discussion l’anglais. Maintenant quand les Rwandais veulent se dire les choses, ils le font en kinyarwanda ». Voilà la photo finale du pays qui arrive à la tête de la Francophonie. Mais n’est-ce pas vrai aussi que quand les Sénégalais veulent se dire les choses, ils le font en wolof ? Mais Macky Sall parle quand même le français et le parle au pays de Senghor ! Mais rendons justice au Rwanda: C’est Jeune Afrique qui nous révèle ceci: C’est la France, le 23 février 2018 à Bruxelles qui propose au président de la Commission de l’Union Africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Informée, cette dernière parle de « surprise et de plaisir ». Le président Kagamé se donne le temps de la réflexion et tarde même trop à donner une réponse claire. Emmanuel Macron en parle au roi du Maroc le 10 avril à Paris. Le 29 avril à Brazzaville, à la fin d’un long tête-à-tête avec Paul Kagamé, un proche du souverain marocain confie ceci: » C’est nous qui avons convaincu les Rwandais d’accepter l’offre française. » Le 28 juin, au 31ème sommet de l’UA à Nouakchott, Louise Mushikiwabo reçoit le soutien officiel du comité des candidatures.
En un mot, c’est la France qui aura installé « sa » candidate à l’OIF. Peut-être qu’elle laissera aux autres y installer un Administrateur général, c’est à dire celui ou celle qui aura le poste le plus stratégique en main, dans l’ombre: la gestion et la trésorerie de l’organisation. Si la France y désigne encore « son homme », ce serait de trop, car « elle est minoritaire dans la Francophonie » comme le soulignait audacieusement Alain Decaux !
Nous ne pouvons pas douter, malgré tout et au-delà de tout, que la nouvelle patronne de l’Organisation Internationale de la Francophonie, apportera de l’autorité, de la créativité et donnera sa part à l’Afrique, car c’est l’Afrique, en nombre, qui, finalement, nourrit cette langue française presque en haillons en France, en dehors de ses poètes, écrivains, artistes, créateurs ! Le Québec lève des soleils chaque matin avec des mots qui illuminent la langue française. Le Président français devrait commencer par le commencement: faire revivre les alliances françaises de par le monde face à cette forte demande du français.
Si le Rwanda fait de la Francophonie ce que le Rwanda est devenu à force de travail, d’exigence, d’excellence, de solidarité et de vigilance pour la mémoire, alors la Francophonie prospérera et rayonnera comme il y a longtemps, très longtemps quand un illustre fils du Québec la gouvernait: Jean-Louis ROY.
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