À l’approche du Sommet de la Francophonie, en Arménie, les 11 et 12 octobre, les chances de réélection de l’actuelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean, ont disparu. La candidate rwandaise a le vent dans les voiles.

Au cours des trois derniers mois, j’ai discuté avec plusieurs diplomates canadiens, français, belges et africains de la compétition qui oppose Michaëlle Jean à Louise Mushikiwabo, actuelle ministre rwandaise des Affaires étrangères. Il ressort très clairement de ces conversations que plus personne ne croit que la Canadienne soit en mesure de l’emporter. Les raisons sont multiples et n’ont en fait rien à voir avec le bilan ou avec les qualités, nombreuses, de Mme Jean.

Au début de l’année, le renouvellement du mandat de Michaëlle Jean ne soulevait aucune opposition malgré une série d’affaires portant sur sa gestion des finances de l’OIF. La Canadienne avait alors promis aux États membres de l’organisation plus de transparence et de rigueur.

C’était sans compter sur les ambitions françaises en Afrique du président Emmanuel Macron. En coulisse, la diplomatie française s’activait à susciter une candidature africaine pour diriger l’OIF.

Comme par hasard, au même moment, le Rwanda poussait celle de sa ministre des Affaires étrangères. Et comme le hasard fait bien les choses, à la mi-mai, Macron recevait le controversé président rwandais Paul Kagamé à l’Élysée, ce qui lui a permis de donner publiquement son appui à Mme Mushikiwabo.

L’affaire n’était pas terminée. Invité d’honneur du Sommet de l’Union africaine au début juillet, Macron a profité de sa présence dans les couloirs pour consolider les appuis de la candidate rwandaise, qui a alors reçu l’appui unanime des chefs d’État africains.

Mme Jean, dont les appuis publics se limitent au Canada, au Nouveau-Brunswick (le Québec de François Legault lui est défavorable) et à Haïti, peut-elle stopper le train rwandais ? Non, et voici pourquoi.

La France et l’Afrique

La France est déterminée à maintenir et à consolider son statut de première grande puissance en Afrique. Elle domine déjà le bloc francophone et cherche maintenant à resserrer ses liens avec les États anglophones, qui constituent les économies les plus dynamiques du continent. Le Rwanda, montré en exemple comme succès économique et social africain par la présidente du Fonds monétaire internationale Christine Lagarde, est une des clés d’entrée.

Les Africains ont appris de leur défaite lors de l’élection de Mme Jean en 2014. Ils présentaient alors quatre candidats et leur division a profité au Canada. Aujourd’hui, avec une seule candidate africaine en piste, ils mettent toutes les chances de leur côté. Les poids lourds de la francophonie africaine, le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo et l’Égypte voteront pour la Rwandaise.

Le Canada, pour sa part, ne fera pas une campagne publique et bruyante pour Mme Jean. Son calcul est simple. Mme Jean a déjà eu un mandat et il n’est écrit nulle part qu’elle doit impérativement en obtenir un autre. Le Canada préfère soigner ses relations avec la France à un moment où la tension avec les États-Unis est bien réelle, malgré l’accord sur le libre-échange.

Enfin, Ottawa pense à sa campagne pour l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Les votes des Africains seront déterminants. Combattre une candidature africaine serait malvenu.

L’équipe de Mme Jean aime bien souligner que sa concurrente rwandaise est la représentante d’une dictature où on parle de moins en moins français. C’est très juste. Mais à ce compte, rappelons quelques vérités. Sur les 54 États membres, une vingtaine sont des dictatures ou des régimes autoritaires avec lesquels Mme Jean s’est parfaitement bien accommodée.

Quant au français, seulement 36 États membres l’ont comme langue officielle ou d’usage. Est-ce à dire que les ressortissants des autres États membres où personne ne parle cette langue ne peuvent en diriger l’organisation ? C’est absurde. Après tout, le premier secrétaire général de l’OIF, Boutros Boutros-Ghali, provenait d’un pays, l’Égypte, où l’usage du français est encore moins commun qu’au Rwanda.

Le poste de secrétaire général d’une organisation internationale est prestigieux, d’où la bataille dont il fait souvent l’objet. Le décrocher est une mesure de l’influence d’un pays sur la scène internationale.

En même temps, soyons clairs : le titulaire est plus souvent secrétaire que général. Il peut avoir mis l’accent sur le respect des droits de la personne ou sur les femmes pendant sa campagne, mais son pouvoir reste très limité, et il exécute d’abord et avant tout les décisions prises par les États membres. Il ne doit pas en être autrement.

Pour des raisons géopolitiques et symboliques, la Rwandaise a une longueur d’avance. Mais, au fond, la Rwandaise ou la Canadienne, cela n’a vraiment aucune importance. La Francophonie existe par la volonté de ses États membres et non par la personne qui la dirige.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.
http://mi.lapresse.ca/screens/8fe01dee-645f-4480-853a-3aeafa57867b__7C___0.html
Posté le 05/10/2018 par rwandaises.com
OPINION JOCELYN COULON