J’ai trafiqué avec les mots et leur place pour rendre le titre plus ramassé ; ceux qui savent y reconnaîtront l’hendiadys. Mais de quoi s’agit-il ? De Perraudin, ancien archevêque de Kigali : on voudrait le condamner ! L’esprit humain est parfois sans bornes et c’est ainsi qu’il est arrivé à donner à l’historiographie une certaine figure qu’on a baptisée de « Damnatio memoriae » en Latin. On l’a traduite par Damnation de la mémoire ou Damnation à l’oubli ! Cette peine pourrait s’infliger à cet ancien Prélat.
Et qu’est-ce que c’est pour une notion ! C’est un acte post mortem et qui condamne une personne à disparaître de la mémoire de ses compatriotes présents et à venir. La peine frappe des personnes de haut rang dans la société et c’est surtout celles qui ont exercé des magistratures publiques. Elle consiste à détruire les statues et les effigies de ces personnes, bref tout ce qui peut les rappeler à la mémoire. Nous parlons de cette peine aux époques contemporaine, moderne, dans l’Antiquité, au Moyen-âge et même chez les Egyptiens ! Nous adoptons donc une démarche à reculons !
Epoque contemporaine
On a vu démolir avec grande publicité la statue de Saddam Hussein, on a sûrement fait la même chose pour Mouammar Kadhafi. Elles sont de très grandes dimensions, mais la mesure peut s’étendre à des ouvrages de petites tailles. Les a-t-on détestés au point de vouloir les condamner à l’oubli ? Pour Kadhafi, je ne pense pas, pour Saddam il mérite la condamnation à l’oubli chez les Chiites et les Kurdes. Pour les Sunnites, c’est le contraire, on en voudrait pour preuve l’Etat islamique dont on parle encore : Elle est de mouvance sunnite ! Qu’en est-il d’Hitler ou Mussolini ? Il fallait abolir leurs noms. Les nombreux enfants de Mussolini ont continué à vivre longtemps et sont morts de leur belle mort. Sa petite-fille serait encore en vie, elle était même Députée européenne en 2014. C’est Alessandra que Romano Mussolini a eu avec la sœur de Sophia Loren. Pour Hitler, il faut faire attention, car même après sa mort il a continué à avoir des admirateurs, tant pis pour ses vainqueurs ! Son nom n’existe plus en Allemagne. Il n’a pas eu d’enfants, sinon il en serait allé comme chez Mussolini. Le nom peut exister en Autriche, son pays d’origine.
A la chute du Communisme, Leningrad est redevenu Saint-Pétersbourg. Les statues de Lénine et Staline, on les a déboulonnées pour les camoufler dans l’un ou l’autre musée. On ne peut pas parler de condamnation de la mémoire ! A l’époque contemporaine, ne parlons donc pas de la damnation à l’oubli que du bout des lèvres.
Epoque moderne
Sous le règne de Mutara Rwogera, nous choisissons une espèce bien de chez nous : La mort de Rugaju rwa Mutimbo. Dans les traditions de la Cour, il en ait une qui veut que mourir, c’est nécessairement par poison chimique ou magique. Avouons qu’elle s’est bien installée dans nos mentalités. En effet on peut mourir aussi vieux que l’on veut, les Rwandais penseront toujours à un empoisonnement. Voici une illustration : Sur instigation de Rugaju le Mwami Yuhi Gahindiro condamne à mort un dénommé Bitorwa. Peu après le Mwami mourut dans la septantaine. C’est à cause de Rugaju qui l’a forcé à condamner Bitorwa. Or celui-ci n’est pas n’importe qui, puisqu’il est descendant de la Princesse Mitunga, fille de Cyilima Rujugira : Il avait promis à sa fille préférée que jamais une personne de sa descendance ne sera jamais tuée par un monarque : Gahindiro a violé donc le tabou par ce salaud de Rugaju. Il doit le payer de sa vie. Les préparatifs de la mise à mort ont pris un certain temps et quelques stratagèmes. Ainsi la Cour s’est imposé un déplacement qui l’amena à fixer une résidence temporelle dans les environs de Kamonyi. C’est là que Rugaju a été convoqué et arrêté. Heureusement pour lui son gendre lui a apporté du jus d’umuhoko dans une gourde. C’était du poison auquel succomba Rugaju, échappant ainsi aux tortures qui allaient avoir lieu. Il fut spolié de tous ses biens, ses fiefs aussi bien militaires que bovins et beaucoup plus et c’est ici qu’intervient la condamnation à l’oubli : Toute sa famille fut décimée et par famille il faut entendre les ascendants, les descendants et les collatéraux à l’exception de son fils Bicakungeli. C’est que les esprits de Rugaju et Gahindiro allaient se rencontrer dans l’au-delà et vivre ensemble comme ils l’avaient fait ici sur terre. La Cour rendra un culte à Gahindiro, d’une part et concomitamment Bicakungeli en rendra un aussi à son feu paternel, d’autre part ! Pour certains cela sonne comme de la mythologie, mais ceux qui savent reconnaissent « guterekera », liturgie de notre culture qui vise à nous rendre propices nos ancêtres.
Antiquité et Moyen-Age.
Chez les Romains, il y a Damnatio memoriae par un décret du Sénat, alors interviennent, l’abattement des statues, inscriptions sur les arcs de triomphes, effigies, etc. Elle a frappé des Empereurs, des généraux et des grands politiques. Citons celui que tout le monde connaît : L’Empereur Néron a subi la Damnatio memoriae, non seulement pour avoir tué sa propre mère, mais aussi pour d’autres actes qui méritaient largement la désapprobation. On peut citer d’autres Empereurs tellement la liste est longue. Parmi les Politiques citons Marc Antoine, bien connu par son idylle avec Cléopâtre. Ce n’est pas seulement pour sa sensualité exubérante, il y a aussi d’autres faits répréhensibles. Au Moyen- ge, retenons le cas du Pape Formose, Formosus. Il est bien mort et inhumé, son successeur immédiat, Boniface VI, Bonifacius sextus, ne règne que 15 jours. Il est suivi par Etienne VI, Stephanus sextus, qui va chercher des noises au défunt Pape Formose, décédé, voilà bien une année : Il organise ce qu’on a appelé le Concile cadavérique : Formose est exhumé, placé sur le trône papal et habillé en Pape, puis jugé. Le verdict ne tarde pas à tomber : Il n’a pas été digne du Pontificat et toutes les mesures et actes accomplis par lui sont nuls, par conséquent ses ordinations et consécrations sont à refaire. Puis on lui arrache les vêtements, on lui coupe les trois doigts qui ont servi aux bénédictions et on le jette dans le Tibre. Et voilà effectuée sa Damnation à l’oubli !
Chez les Egyptiens.
Ramsès II, du 13e s avant Jésus effaça les symboles hiérographiques du pharaon Akhenaton considéré comme hérétique pour avoir ramené la religion égyptienne à un seul dieu. Dans la civilisation égyptienne, l’image comme une simple écriture ont le pouvoir magique de ramener à l’existence, ce qu’elles représentent ! Et maintenant venons-en au plat de résistance.
L’archevêque Monsieur André Perraudin.
Il va sans dire que je parlerai aussi de Mgr Aloys Bigirumwami ! Ils présentent beaucoup de similitudes : Les deux sont ordonnés Prêtres à 25 ans, par ailleurs Mgr Bigirumwami est son aîné de 10 ans chaque fois : L’un est ordonné Prêtre en 1929 et Evêque en 1952, l’autre en 1939 et 1956. Doté d’une taille à peine moyenne et de physique très solide, Perraudin donne en revanche l’impression d’une personne qui serait très prompte à la colère, voire la suffisance ! Il doit en avoir essuyé quelques moqueries ! C’était dans l’ère du temps, un mélange de coqs à l’âne et de calembours. Ce sont des jeux de mots et comme tels ils participaient à la gaieté et même à la culture. Il doit les avoir pris en mauvaise part et préparer une vengeance féroce et très disproportionnée !
Toutefois le jeune Evêque de 42 ans respecte bien son aîné Bigirumwami et est prêt à collaborer très loyalement. D’abord il reçoit le sacre de lui comme consécrateur principal et comme lui, il choisit sa devise dans le Nouveau Testament : Par-dessus tout la Charité, Super omnia Caritas, dans l’Epître aux Colossiens, 3,13-14. Bigirumwami avait choisi, dans l’Epitre aux Romains, 13 :12 : Revêtons les armes de la lumière, Induamur arma lucis, c’est la Foi. La Foi et la Charité sont des Vertus théologales, logées donc à la même enseigne. Manifestement les deux Evêques sont la main dans la main. Comme on dit ça baigne ! Malheureusement l’idylle ne va pas durer !
En novembre 1959 Jean XXIII érige Kabgayi en Archevêché, en faveur de Perraudin ! C’est Bigirumwami qui devait devenir Archevêque et ainsi déménager à Kabgayi et Perraudin à Nyundo. Vincent Nsengiyumva a quitté Nyundo pour devenir Archevêque à Kigali, Joseph Sibomana a quitté Ruhengeri pour Kibungo. Alors les choses deviennent claires : Les événements sont téléguidés par le Vatican où les Pères Blancs ont un Supérieur Général. La Décolonisation chrétienne couve depuis un bon moment dans les arcanes du Vatican en consultation avec les chancelleries coloniales. Au Rwanda Perraudin doit être le chef, ayant partie très liée avec la colonisation : « Puis, deux mois après que j’aie devant le conseil général officialisé la position de la Belgique, Mgr Perraudin fit de même pour l’l’Eglise catholique en son mandement de carême du onze février 1959. », Harroy, p. 251. Il était donc bien au courant quand il publia son Mandement. Il est suivi par l’assassinat du Mwami Mutara le 25 juillet à Usumbura. Puis le début de la Révolution hutu le 1er novembre 1959. Les dates serrées sont très éloquentes. Il est à présumer que cette année-là, les téléphones et les télégrammes sont nombreux entre le Gouverneur Jean-Paul Harroy et l’Archevêque de Kabyayi. Perraudin est aux commandes et doit collaborer avec le Gouverneur pour le bien de la colonisation et de l’Eglise. Le Gouverneur se charge de passer le pouvoir aux hutu pour que le pays ne passe pas dans le Bloc de l’Est. L’Evêque, quant à lui, va fournir le chef du Pays très bien évangélisé et qui évitera au pays, pour l’avenir, toute velléité communiste. Le décor est planté, et, en décembre, l’exécuteur est là comme par enchantement, il n’a qu’à embrayer : C’est Guy Logiest. Il fera tout à sa tête jusqu’à installer une République avec clefs en main. : « Et quelle était exactement la portée de ma mission ? Aucune autorité supérieure ne me l’avait jamais précisée. »
Perraudin fait du zèle ! Pourquoi revenir sur la justice sociale en février 1959, alors que le sujet avait déjà occupé les Ordinaires du Congo belge et du Ruanda-Urundi, à Léopoldville en juin1956 ! Que signifie cette Lettre pastorale de Perraudin le 11 février 1959, alors qu’’il y avait eu une Lettre pastorale des Ordinaires du Ruanda-Urundi sur la justice en avril 1957. Il en était signataire avec les 3 autres Evêques du Ruanda-Urundi. C’était pour mettre le feu aux poudres avec quelque déguisement : Au lieu de parler de Justice qui est une Vertu cardinale, il est monté d’un cran et s’est situé à la Charité qui est, elle, une Vertu théologale : Qu’est-ce qu’une Vertu théologale vient-elle foutre en politique ! La Vertu de Justice est plus indiquée et elle suffit ! A admettre cette charité, il devait la moduler avec les vertus de Prudence et de Tempérance. Or, de toute évidence le Prélat n’a été ni prudent, ni tempérant : il savait que des gens allaient être massacrés et très massivement ! Tout compte fait, beaucoup de gens gardent de lui une très mauvaise mémoire, qu’il soit donc condamné à l’oubli
Il faut effacer partout dans le pays, tout ce qui peut se rapporter à lui ! En conséquence, le Collège Saint André devrait changer de nom : Dira-t-on qu’André est le tout premier Apôtre de Jésus ? On peut l’appeler Collège Saint Gabriel : il fut envoyé par Dieu pour annoncer à Marie qu’elle allait être le point de départ du Mystère du Salut ! Ou encore comme deuxième alternative, il portera le nom d’un de nos héros nationaux : Collège Michel Rwagasana, etc. Ces héros que nous fêtons en début février pourraient figurer utilement sur nos Ecoles ! Le Séminaire Saint Vincent devrait aussi changer de nom, il rappelle celui-là qui, entre autres reproches, avait confondu, avec beaucoup de folklore, le Parti Unique et l’Archevêché ! Qu’ils soient condamnés, damnati sint !
Concluons avec Manon Roland, sur l’échafaud, se tournant vers la statue de la liberté : « O liberté, que de crimes on commet en ton nom. » On peut transposer avec cette charité de Perraudin !
1. Jean-Paul Harroy, Rwanda, de la féodalité à la démocratie (1955-1962), Hayez, Bruxelles, 1984
2. Guy Logiest, Mission au Rwanda, Didier Hatier, 1966
3. Marcel Merle, Les Eglises chrétiennes et la décolonisation, Editions de Sciences Po, 1967.
4. Mgr André Perraudin, Un Evêque au Rwanda, Editions Saint-Augustin, 2003.
Redigé par Mathias Nguma Ngume
http://fr.igihe.com/opinions-reactions/le-tir-le-corbillard-et-andre-perraudin-1ere.html
posté le 07/01/2019 par rwandaises.com