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Dire que le République Démocratique du Congo n’a pas de politique ni de stratégie de défense est un pléonasme.

Les notions de défense nationale, les variables des forces de sécurité et les problématiques de combinaison des politiques publiques associées aux relations internationales sont inexistantes en RDC.

Car il subsiste un lien étroit entre la politique étrangère, celle de la défense et la diplomatie du pays.

On évalue la puissance et l’efficacité militaire d’un pays sur des facteurs matériels tels que le nombre des soldats, l’encadrement, le degré de détermination des soldats, la qualité de l’armement et la capacité de commandement.

La stratégie militaire est alors fonction du paradigme de l’acteur rationnel, de ses calculs et la défense de ses intérêts vitaux.

Samedi 10 décembre 2022, Tshisekedi, prenait la parole pour s’adresser à la nation en rapport avec la situation sécuritaire que connaît la République Démocratique du Congo dans sa partie Orientale.

Mais il y a glissé des omissions qui méritent d’être relevées.

Première erreur de diagnostic : Au moment où le président s’adressait à la nation, il y avait des troubles dans le haut Tanganyika au Katanga, la crise entre les bantous et les twas y est aiguë depuis 2016.

Dans les deux Kasaï, la persistance de conflits intercommunautaires liés à la gestion du pouvoir coutumier et foncier et les effets de la crise de Kamuina-Nsapu n’ont pas cessé.

Dans le Kwamouth au Mai Ndombe, province de Bandundu, les violences entre teke et yaka et leurs débordements jusque dans le Kwilu.

Et les kulunas qui tiennent les rues de Kinshasa. Et le président Tshisekedi ne pouvait ignorer tous ces endroits en ébullition dans ces omissions sont symptomatiques.

Dans son adresse à la nation, Tshisekedi déplorait le fait que « le M23 avait été défait en 2013 et refaisait surface en prenant les FARDC de court notamment à Bunagana »

C’est une deuxième erreur de diagnostic et un manquement aux engagements présidentiels : le M23 était l’invité de Tshisekedi de septembre 2020 à novembre 2021.

Pendant quatorze mois, la délégation du M23 était en discussion avec la direction de l’UDPS à Kinshasa. C’est le non-respect des promesses émises par les délégués du Chef de l’Etat qui a poussé le M23 à reprendre les armes.

C’est au cours de cette adresse à la nation que Tshisekedi a incité les jeunes à s’organiser en « groupes de vigilance » en vue d’appuyer, d’accompagner et de soutenir les forces de sécurité. Suscitant des réactions contrastées.

Ces groupes de vigilance ressemblent comme deux gouttes d’eau aux tristement célèbres groupes d’auto-défense du Rwanda post génocide. C’était les interahamwe.
On connaît la suite.

A l’issue de l’appel du chef de l’Etat, au moins deux mille jeunes vont s’enrôler dans l’armée et envoyés à Kitona, le centre de formation dans le Kongo Central.

Le 9 décembre 2022, Tshisekedi a effectué une visite au camp d’entraînement de Kitona et les jeunes entonnèrent « Fatshi pesa biso manduki tobarer bango : Fatshi donne nous des fusils pour aller les tuer ».

Le 3 mars 2023, le conseil des ministres a validé le projet de loi portant création du corps des réservistes.

Selon les dires du ministre Muhindo Nzangi, en séjour à Goma après le conseil des ministres, les milices locales seront converties en réservistes pour défendre le pays.

C’était lundi 6 mars 2023 quand il déclarait que « les wazalendu méritent d’être protégés et il faut oublier qu’un jour ils ont tiré sur l’armée congolaise, vu qu’actuellement nous avons un ennemi commun »

Mais on n’oubliera pas les exactions contre les civils, les morts et les destructions des biens dont ils sont les auteurs.

On n’oubliera pas que l’Etat fait l’impasse sur la justice et la réconciliation en intégrant au sein des FARDC les forces négatives qui ont semé la mort et la désolation pendant de longues années.

Il faut qu’on soit au clair avec notre propos d’aujourd’hui. Il ne fait aucun doute dans notre esprit : la République Démocratique du Congo, à l’instar d’autres pays, a le plein droit de se constituer un corps de réservistes.

Néanmoins, celui-ci pose des questions qui débordent le seul corps des réservistes et qui mettent encore une fois les projecteurs sur la précipitation, la cacophonie et la cécité du gouvernement actuel.

Cette initiative interroge et inquiète car elle cache mal les intentions de ses porteurs.

Quand on connaît l’organisation et le fonctionnement des FARDC, quand on a entendu le Président Tshisekedi évoquer publiquement « la mafia et les magouilles » au sein des FARDC, on a du mal à comprendre les motivations de la constitution de ce nouveau corps au sein de l’armée régulière.

Il s’agit pour le gouvernement de la RDC de superposer deux corps malades qui engendreront à coup sûr un drame supplémentaire.

Précédemment à l’incorporation des fameux wazalendu, ces groupes armés, le gouvernement n’a pas dit ce qu’il a fait des « 2000 jeunes du camp Kitona ».

Et comme par hasard, aucun média n’y fait mention à Kinshasa. Avouons tout de même que cela est bizarre.

Dans son exposé de motifs, le ministère de la défense inscrit comme argument que l’objectif est de « mettre fin à l’agression rwandaise »

Si c’est une blague, elle est de mauvais goût et déplacée.

Qui peut croire une seconde, que là où les FARDC, FDLR, Nyatura, Mai Mai avec un gros renfort des mercenaires ont échoué, les wazalendu parviendront à repousser le M23.

La Députée Janet Kabila n’a pas reçu de réponse convaincante quand elle a voulu savoir « le lien de causalité entre l’agression rwandaise et l’incorporation des personnes au casiers judiciaires très lourds ».

En effet, ce que le gouvernement n’avoue pas mais qui transparaît, ce qu’il est très embarrassé par sa collaboration avec ces groupes, les FDLR en tête, qui est suffisamment documenté dans des rapports des organisations internationales.

Pour ce faire, il s’est trouvé une manœuvre pour blanchir ses supplétifs qui le mettent régulièrement sur le banc des accusés et accepter de faire l’impasse sur la justice transitionnelle et la réconciliation.
Une amnistie déguisée.

Une autre trouvaille est l’épine dans le pied de Bemba qu’il traîne et ne sait plus comment s’en défaire.

Quand il était chef rebelle, il employait des ex Forces Armées Zaïroises de chez Mobutu. Le gros du lot s’était réfugié au Congo Brazzaville et commençait à piaffer d’impatience. Le mal du pays grondait.

Le pouvoir de Tshisekedi cherche un moyen de les rapatrier aux frais de l’Etat sans crier gare et sauver la mise à l’allié Bemba.

Des militaires retraités, des ex membres service de sécurité seront les bienvenus.
Un arrangement dans le dos de la population. L’assemblée nationale s’est contredite en adoptant cette loi.

Elle avait déjà déclaré haut et fort dans une résolution que la RDC ne pourra plus intégrer des forces négatives au sein des FARDC. Alors ?

Le député Delly Sesanga est formel : « la loi instituant la réserve armée est contraire à la constitution, elle atteste si besoin était que le gouvernement est incapable de mener les réformes nécessaires à l’organisation efficace des FARDC ».

Ailleurs les armées favorisent la cohésion nationale en servant de lien très fort « armée-nation ».

Pour la RDC s’est ratée.

Cette loi n’indique rien sur la stratégie militaire inscrite dans la dynamique régionale à tout le moins, quelle nouvelle orientation de la politique de défense pour les années à venir et les conditions de vie des nouvelles recrues ainsi que leur travail.

Aucune véritable indication sur les fondements des réservistes, leur emploi et leurs finalités. Ce travail préalable manque à l’appel. On effectue alors des aménagements à la marge.

L’armée n’est pas neutre, elle est au service d’une vision de la nation, de ses valeurs. La défense nationale s’insère dans un projet de politique nationale. Et cela manque cruellement en RDC.

https://fr.igihe.com/RDC-Les-non-dits-de-la-loi-sur-les-reservistes.html