Un engagement fort
La décision courageuse du président Paul Kagamé de s’attaquer frontalement à la dépigmentation cosmétique volontaire est à saluer à plus d’un titre. Depuis plus de quatre décennies plusieurs voix autorisées ont informé, alerté non seulement les populations mais aussi les autorités étatiques sur les dangers de l’utilisation à visée cosmétique de produits dépigmentant mais force est de constater que toutes les alertes sont restées inaudibles. Heureusement que le charismatique président rwandais déclarait le 25 novembre dernier, que son administration avait la ferme volonté de retirer le blanchiment de la peau des habitudes cosmétiques des Rwandais. Confirmant ses propos, son ministre de la Santé, Dr Diane Gashumba, a précisé qu’une loi régissant l’utilisation de ces produits chimiques est déjà entré, en vigueur et que certaines instances réglementaires comme la Food and Drug Authority et le Rwanda Standards Board, seront mobilisées.
Une condamnation à l’échelle internationale
Avant, la FDA rwandaise, la FDA (Food and Drug Administration) américaine, avait été saisie le 01er novembre 2017, par des dermatologues américains de l’Université de Georgetown de Washington qui rapportaient au FDA un cas de mésusage de dermocorticoïdes chez une patiente d’origine afro-américaine. En outre, ils signalaient que ces médicaments provenaient de boutiques spécialisées pour produits africains où ils étaient en vente libre.
Il faut rappeler qu’aux États-Unis, la réglementation de la Food and Drug Administration (FDA) exige que les dermocorticoïdes puissants ne soient accessibles que sur prescription médicale en raison d’effets néfastes potentiels. Cette lettre adressée à la FDA a été très largement reprise par la presse. Ce qui dénote de la volonté d’un équilibre dans le traitement de l’information concernant la prévention des risques sanitaires quelque soit le groupe ethnique.
Hélas, malgré l’impact sur la santé publique…
Les alertes sont restées lettre morte depuis plusieurs décennies sur ce continent qui paie un lourd tribut aux complications médicales de la dépigmentation volontaire. En effet, depuis plusieurs années, les professionnels de la santé se sont insurgés contre le fait que les dermocorticoïdes soient utilisés comme cosmétiques alors qu’ils étaient des médicaments et le fait que l’hydroquinone soit utilisé comme ingrédient dans la fabrication des produits cosmétiques. Aucune mesure concrète n’a été prise par les autorités ni pour réglementer la publicité des produits dépigmentant ni pour interdire la vente de ces médicaments détournés de leur usage. Pour sa part, l’union européenne a interdit depuis 2001 l’utilisation de l’hydroquinone dans la fabrication des produits cosmétiques. Pourtant, de nombreux produits dépigmentant seraient fabriqués en Europe avant d’être exportés vers l’Afrique…
La lutte contre les médicaments de la rue devrait intégrer les dermocorticoïdes utilises à visée cosmétique.
D’autres pays avant le Rwanda…
Certes d’autres pays comme l’Afrique du Sud, la Gambie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Ghana ont tenté de s’attaquer à ce phénomène avec des résultats mitigés. Pour la Gambie, après l’effet d’annonce, la pratique a continué de plus belle, pour la Côte d’Ivoire seuls les produits contenant de l’hydroquinone sont interdits tandis qu’au Burkina-Faso, même si la publicité des produits dépigmentant est interdite, la fréquence du phénomène ne semble pas avoir baissé. En Afrique du Sud, au Kenya et au Ghana les résultats semblent être plus encourageants.
Mais toujours pas le Sénégal…
Au Sénégal, les conséquences sanitaires sont à présent bien connues des populations grâce, en partie, à une sensibilisation continue depuis de nombreuses années. L’association A.I.I.D.A a pour sa part joué sa partition depuis bientôt 17 ans. Les sociologues, journalistes, membres de la société civile, bref toutes les franges de la société se sont toujours indignées de l’absence de réaction de la part des autorités étatiques. Pourtant, au Sénégal, en 2018 encore, les études scientifiques ont confirmé non seulement l’ampleur du phénomène (plus de 60% à Kaffrine, plus de 50% aux Parcelles Assainies), mais également l’association aux cancers cutanés et le coût économique élevé. Malgré tout, le Sénégal demeure le grand absent de la lutte contre la dépigmentation en Afrique. L’État et les collectivités locales gagneraient à emboiter le pas aux autres pays pour des actions concertées permettant de prendre à bras le corps ce phénomène de mode devenu priorité de santé publique par la force des choses. Sinon, l’histoire retiendra que le Sénégal, pays indépendant depuis 1960, ou fût érigée l’une des premières facultés de Médecine d’Afrique, qui avait l’un des systèmes de santé les plus performants d’Afrique, une politique d’hygiène et de santé publique citée en exemple dans le monde a préféré augmenter les taxes sur les produits dépigmentant au lieu de les interdire. L’histoire retiendra que l’État du Sénégal a hypothéqué l’avenir de ses enfants, a préféré les bénéfices tirés de la fabrication, de la vente et de la publicité de produits toxiques à la santé de sa population. Enfin, l’histoire retiendra la contradiction manifeste dans la politique sanitaire du Sénégal qui d’une part fait de la lutte contre les maladies non transmissibles, dont le cancer, une priorité et d’autre part favorise la survenue des cancers cutanés en permettant la vente de produits toxiques pour la peau.
Le succès passe par des actions concertées à l’échelle africaine…
Signataires de la charte des NU pour l’atteinte des ODD, les pays d’Afrique subsaharienne doivent s’engager activement dans la lutte contre la DCV et ses conséquences sanitaires pour être au rendez-vous de 2030. En effet, la poursuite de cette pratique constitue une entrave à l’atteinte des objectifs 1, 3, 5,10 et 14 déclinés par les Nations unies. Pratiquement tous ces objectifs ont une composante sanitaire ou contribueront à améliorer la santé mondiale. Or, la bonne santé des populations, passe par la prévention des pathologies liées aux comportements telles que les pathologies associées à la DCV.
L’interdiction des produits dépigmentant et leur retrait du marché des cosmétiques est impérative. Toutefois une implication des femmes pour leur adhésion et leur appropriation des actions envisagées (cosmetovigilance, règlementation du secteur, notamment du secteur de la publicité) sera un gage de réussite. Le président Kagamé pour tous les actes posés depuis son accession à la tête de l’UA est certainement celui qui incarne le plus ce leadership.
Mais attention cette bataille ne sera pas facile.
La bataille sera rude mais mérite d’être gagnée et le président rwandais, président de l’UA donc des africains saura user de son charisme pour inviter ses pairs africains à venir à bout de ce fléau, véritable peste et cholera du XXI éme siècle.
Sur leur chemin la dure réalité économique avec les pertes d’emploi, le lobbying de certaines industries cosmétiques menacés de mettre la clé sous le paillasson. La baisse des recettes douanières mais aussi l’addiction de certaines femmes aux produits dépigmentant…
À titre d’exemple, rappelons le cas de la France en 2015 où malgré que l’académie nationale de Médecine ait prôné l’interdiction totale des cabines de bronzage à visée esthétique, le syndicat des professionnels du bronzage s’était fortement mobilisé. Il a fallu attendre 2018 pour que l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) demande « aux pouvoirs publics de prendre toute mesure de nature à faire cesser l’exposition de la population aux UV artificiels » devant le risque de cancer « avéré ». Mais il existe d’autres exemples encourageants dans la lutte des pathologies liées aux comportements. Ainsi, le Brésil et l’Australie ont réussi à faire interdire l’usage à visée esthétique des cabines de bronzage respectivement en 2009 et 2014. Rappelons que ces dernières sont incriminées dans la survenue de mélanome qui est le cancer cutané le plus mortel. L’OMS a même classé les UV des cabines de bronzage comme cancérogènes depuis 2009 car ils augmentent de 75 % les risques de mélanome, la forme la plus agressive du cancer de la peau. Dans un souci d’équité, l’OMS devrait également se pencher sur les PD dont l’usage au long cours est associé aux carcinomes épidermoïdes chez les sujets de phototypes VI c’est à dire les sujets noirs. Gageons que l’Organisation mondiale se penchera sous peu, et pas à visée cosmétique seulement, sur cette problématique.
Pr Fatimata Ly,
Dermatologue,
Présidente de l’association A.I.I.D.A
lyfaty@yahoo.fr
- Source: : Webnews | Le 02 février, 2019 à 21:02:23
- Posté le 04/02/2019 par rwandaises.com