Deux spécialistes français du génocide contre les Batutsi au Rwanda en 1994 auraient été récusés par le pouvoir politique français, quelques jours avant la probable annonce, vendredi 5 avril, par Emmanuel Macron de la création d’une commission d’enquête sur les archives françaises sur le rôle de la France au Rwanda.

La nouvelle est tombée mercredi 27 mars, en marge d’une journée d’études passionnante consacrée à la France au Rwanda et organisée par des étudiants de Sciences-Po. Clôturant le colloque, l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau a indiqué que le président Emmanuel Macron devrait annoncer, normalement le vendredi 5 avril, la constitution d’une commission d’enquête sur les archives concernant le rôle de la France au Rwanda. Sur quelle période ? « De 1990 à 1994 », croit-il savoir.

Reçu mardi 27 septembre par des membres du gouvernement, il confie à La Croix avoir été écarté de cette commission. Pourquoi ? « On m’a fait comprendre que mes propos, notamment sur l’armée française, interdisaient que je fasse partie de cette commission. Cela aurait mis tous les feux au rouge et aurait empêché le travail de la commission. »À lire aussiStéphane Audoin-Rouzeau, vigie malgré lui

Mais de quels écrits s’agit-il ? Réponse du chercheur de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) : « Je pense à un article que j’ai écrit en 2010 sur le rapport Mucyo (1) dans la revue Esprit (2). Je disais que certaines accusations de ce rapport sur le comportement des soldats français ne pouvaient pas être balayées d’un revers de main : cela concernait une forme d’abstention aux barrières dans la zone Turquoise et également, des effets d’aubaine sexuelle sur des rescapées protégées par des Français mais également violées par certains d’entre eux. Les témoignages que j’ai recueillis sur la foi de dépositions font que je n’ai pas eu beaucoup d’hésitation pour dire que la question se posait. Ça, ils ne me l’ont jamais pardonné. »

Qui serait le président de cette commission ?

La présidence de cette commission, selon Stéphane Audoin-Rouzeau, aurait été proposée à l’historien Vincent Duclert. Directeur du Centre d’étude sociologique et politique Raymond Aron (CESPRA), Vincent Duclert est chercheur titulaire à l’EHESS et professeur associé à Sciences-Po. À Sciences-Po, il enseigne un cours d’histoire globale des génocides et des processus génocidaires. Ce sont d’ailleurs des étudiants de son séminaire qui ont organisé cette journée d’étude.

Inspecteur général de l’éducation nationale, il est aussi l’auteur du « Rapport de la Mission d’étude en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse » (3).

De nombreuses rumeurs

Interrogé par La Croix à ce sujet, Vincent Duclert rappelle sa réponse au journaliste Jean-François Dupaquier qui l’avait interrogé, le matin-même « sur une rumeur me faisant le président d’une commission d’historiens sur les archives françaises du Rwanda » : « Il est nécessaire d’attendre les annonces présidentielles, je ne peux donc ni confirmer ni infirmer. Je ne sais pas. Ce que je sais, en revanche, car c’est public, ce sont les efforts du président de la République pour transformer décisivement les relations entre la France et les pays africains, sur des bases nouvelles. »À lire aussiMassacre de Bisesero au Rwanda : la justice française doit se ressaisir

À ce stade, l’affaire reste confuse. Mais un deuxième historien spécialiste du génocide perpétré contre les Batutsi du Rwanda, Hélène Dumas, aurait été également récusé par le pouvoir politique, selon Stéphane Audoin-Rouzeau. Des accusations qui, si elles se révèlent vraies, sont de nature à dégrader les rapports entre la communauté étroite des spécialistes français du Rwanda et le pouvoir politique, comme c’est le cas depuis 1994.

(1) Le pouvoir rwandais a créé une « Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 » qui a rendu son rapport, le rapport Mucyo, en août 2008.

(2)La responsabilité de la France vue du Rwanda. Le rapport Mucyo : une lecture historienne

(3) Avec la collaboration de Stéphane Audoin-Rouzeau, préface de Dominique Schnapper, postface d’Henry Rousso, Paris, CNRS Editions, 2018, 324 p.

https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Genocide-Rwanda-historiens-ecartes-future-commission-denquete-2019-03-29-1201012195

Posté le 29/03/2019 par rwandaises.com