Un siècle, trois génocides qui se commémorent tous au mois d’avril
Le 25 avril 2006, à l’occasion de Yom HaShoah, l’Etat d’Israël et les Juifs du monde entier commémorent les six millions de Juifs exterminés par les Nazis. En ce mois d’avril, les Juifs ne sont pas les seuls à se souvenir du génocide dont ils ont été les victimes.
Le 7 avril, on a commémoré le douzième anniversaire du génocide des Batutsi commis au Rwanda par le régime Hutu-Power. Le 24 avril, les Arméniens se remémorent le génocide commis contre eux en 1915 par le régime Jeune-turc ottoman.
Présentation de l’éditeur,
Yves Ternon se voit demander par la fédération de France du FLN d’opérer les blessés algériens de la guerre triangulaire que se livrent OAS, gaullistes et indépendantistes. Cette irruption tragique de l’Histoire dans son quotidien va déterminer son engagement pour la justice et les droits de l’homme, mais aussi sa volonté d’établir la vérité des faits.
Dès 1965, il entame des recherches qui le conduisent à publier trois livres sur les crimes des médecins nazis. L’étude de la Shoah, par une série de hasards, l’amène à découvrir que les Arméniens de l’Empire ottoman, en 1915, furent eux aussi victimes d’un génocide oublié, auquel il s’intéresse au moment même où des voix s’élèvent contre sa négation par le gouvernement turc.
Conduit sur près de quarante ans, son travail lui permettra de rapprocher les deux événements, mais aussi de proposer une définition juridique universelle de la notion de génocide. Celui des Tutsi au Rwanda, en 1994, viendra confirmer l’importance d’une telle approche comparée.
À l’heure où la France commémore officiellement le génocide arménien, les mémoires d’Yves Ternon, guidé par les impératifs de liberté, d’égalité et de fraternité, sont un plaidoyer contre la haine raciale et le négationnisme.
Biographie de l’auteur
Né en 1932, Yves Ternon est d’abord interne des hôpitaux de Paris (1955-1959), avant de devenir chef de clinique à la faculté de médecine de Paris. Assistant des hôpitaux jusqu’en 1964, il sera chirurgien jusqu’à sa retraite, en 1997. Parallèlement, il entame des recherches en Histoire dès 1965. Il publie ainsi plus de quinze livres, participant à une trentaine d’ouvrages collectifs, ainsi qu’à l’enseignement des génocides et violences de masse au Mémorial de la Shoah, dont il est membre du conseil scientifique. Il est également président du conseil scientifique sur le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman au cours de la Grande Guerre. Il a notamment contribué, avec Gérard Chaliand, au Crime de silence (l’Archipel, 2015), livre consacré au génocide arménien.
aujourd’hui par des assassins de la mémoire qui s’appliquent à faire en sorte que chacun de ces génocides « demeure une page de gloire d’une histoire qui n’a jamais été écrite et qui ne le sera jamais », pour reprendre les termes d’un génocidaire nazi de premier plan : Heinrich Himmler. Aux côtés des forces démocratiques, les Juifs se sont battus pour que la négation de la Shoah soit pénalisée. Le Parlement a ainsi adopté le 23 mars 1995 une loi pénalisant la négation de la Shoah. Cette loi permet aux survivants et à l’ensemble de la société de se protéger des véritables falsificateurs de l’histoire. Selon l’expression de Claude Lanzmann, auteur du film Shoah, seules « les ordures négationnistes » sont visées par cette loi qui n’exerce aucune tyrannie mémorielle et qui ne restreint en aucun cas la liberté des historiens.
Toutefois, notre satisfaction ne peut être pleine et entière lorsque nous constatons avec peine et consternation que les génocides des Arméniens et des Batutsi, tous deux reconnus par les autorités belges, ne bénéficient pas du même arsenal juridique que la Shoah.
En effet, la négation de ces deux génocides n’est pas sanctionnée pénalement. Or, les Arméniens et les Tutsis font l’objet de nombreuses attaques négationnistes sur le sol belge. Quand nous prenons connaissance de celles-ci, nous reconnaissons tout de suite la même tonalité et la même rhétorique haineuse que dans les propos négationnistes par rapport à la Shoah. Nous savons, pour l’avoir vécu dans notre propre chair, à quel point le négationnisme prolonge le génocide en contestant l’innocence des victimes et en les faisant passer pour des menteurs et des escrocs.
Au nom de la solidarité des éprouvés qui nous lie aux Arméniens et aux Tutsis, nous appelons donc les dirigeants politiques de notre pays à étendre le champ d’application de la loi du 23 mars 1995 à la négation des génocides des Arméniens et des Tutsis pour qu’elle soit enfin punie par les tribunaux.
L’impunité dont bénéficient aujourd’hui sur le territoire belge ces deux formes d’expressions négationnistes rend une telle extension moralement et socialement indispensable. Des Tutsis croisent quotidiennement le regard de leurs anciens bourreaux qui n’hésitent pas à nier ouvertement le génocide et à les menacer de « finir le travail », comme ce fut le cas le 16 mars 2006 lors d’un débat organisé dans notre centre.
Les Arméniens de Belgique sont constamment agressés par un négationnisme turc d’Etat, ayant pignon sur rue et cautionné par quelques universitaires. Dans les deux cas, les négationnistes ne reculent devant rien. Ainsi, ils invoquent souvent l’unicité de la Shoah pour mieux nier les génocides des Arméniens et des Batutsi. En utilisant ce procédé pervers, ils souhaitent susciter la concurrence des victimes.
La singularité de la Shoah ne nous ferme pas à la souffrance d’autrui. Bien au contraire, notre réflexion sur la Shoah nous ouvre aux autres souffrances de l’histoire. Les organisations arméniennes et tutsies avec lesquelles nous menons ce combat agissent dans la même disposition d’esprit. Elles rejettent avec la même force la concurrence des victimes et ne cherchent pas à banaliser la Shoah ni à remettre en cause sa spécificité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la déclaration commune sur la pénalisation de la négation des génocides des Arméniens et des Tutsis que nous avons signée le 7 avril dernier avec ces organisations et le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX) .
En exprimant notre solidarité et notre fraternité à l’égard des Arméniens et des Tutsis, non seulement nous nous montrons fidèles à la mémoire de la Shoah, mais nous respectons les principes de liberté et de justice qui ont guidé le peuple juif à travers les siècles. Il nous appartient d’être à la pointe du combat contre la négation des génocides si nous voulons nous montrer dignes de la maxime d’un sage du Talmud, Hillel l’Ancien : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? »
Nous relayons ci-après des extraits d’une carte blanche parue dans le quotidien belge Le Soir, du 24 avril 2006 : Frères arméniens, frères tutsis, frères humains, par Michèle Szwarcburt, présidente du Centre Communautaire Laïc Juif (CCLJ) et Nicolas Zomersztajn, directeur de publication de la revue juive belge Regards. Cette carte blanche est reproduite sur le site Internet de La paix maintenant : http://www.lapaixmaintenant.org/article1266.
Marc Knobel
Le 25 avril 2006, à l’occasion de Yom HaShoah, l’Etat d’Israël et les Juifs du monde entier commémorent les six millions de Juifs exterminés par les Nazis. En ce mois d¹avril, les Juifs ne sont pas les seuls à se souvenir du génocide dont ils ont été les victimes. Le 7 avril, on a commémoré le douzième anniversaire du génocide des Tutsis commis au Rwanda par le régime Hutu-Power. Le 24 avril, les Arméniens se remémorent le génocide commis contre eux en 1915 par le régime Jeune-turc ottoman. Bien qu¹ils soient connus et largement documentés, ces trois génocides ont été niés et le sont encore aujourd’hui par des assassins de la mémoire qui s¹appliquent à faire en sorte que chacun de ces génocides « demeure une page de gloire d¹une histoire qui n¹a jamais été écrite et qui ne le sera jamais », pour reprendre les termes d¹un génocidaire nazi de premier plan : Heinrich Himmler.
… Les Arméniens sont constamment agressés par un négationnisme turc d’Etat, ayant pignon sur rue et cautionné par quelques universitaires. Dans les deux cas, les négationnistes ne reculent devant rien. Ainsi, ils invoquent souvent l’unicité de la Shoah pour mieux nier les génocides des Arméniens et des Tutsis. En utilisant ce procédé pervers, ils souhaitent susciter la concurrence des victimes. La singularité de la Shoah ne nous ferme pas à la souffrance d¹autrui. Bien au contraire, notre réflexion sur la Shoah nous ouvre aux autres souffrances de l¹histoire. Les organisations arméniennes et tutsies avec lesquelles nous menons ce combat agissent dans la même disposition d¹esprit. Elles rejettent avec la même force la concurrence des victimes et ne cherchent pas à banaliser la Shoah ni à remettre en cause sa spécificité…
En exprimant notre solidarité et notre fraternité à l’égard des Arméniens et des Tutsis, non seulement nous nous montrons fidèles à la mémoire de la Shoah, mais nous respectons les principes de liberté et de justice qui ont guidé le peuple juif à travers les siècles. Il nous appartient d¹être à la pointe du combat contre la négation des génocides si nous voulons nous montrer dignes de la maxime d¹un sage du Talmud, Hillel l¹Ancien : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? »
Sont également signataires, les membres du conseil d¹administration du CCLJ : David Susskind, président d¹honneur, Olivier Azran, Benjamin Beeckmans, Brigitte Feys, Nathalie Francotte, Dorothée Gabai, Liora Gancarski, Daphné Gellert, Henri Gutman, Oriana Klausner, Joël Kotek, David Kronfeld, Nicole Lambert, Joachim Marciano, Muriel Markowitch, Michaël Spiegl, Yaël Spiegl, Selma Szwarcman, Laurent Violon, Stéphane Wajskop, Lou Weinber, Willy Wolsztajn et Olivier Boruchowitch, rédacteur en chef de la revue Regards et Mirjam Zomersztajn, directrice.
[1] Voir : http://www.cclj.be/web/communique.asp
Posté le 24/04/2019 par rwandaises.com