Les grands départs suscitent quelquefois des collisions : alors que
la disparition de Pierre Péan incitait l’Elysée à publier un
commentaire élogieux, relevant entre autres que lui, il respectait le «
secret défense »…Sharon Courtoux, membre fondatrice de l’association
Survie s’éteignait bien plus discrètement.
Cependant Sharon Courtoux, aux côtés de François Xavier Verschave,
fondateur de Survie et bien trop tôt disparu, a incarné, à sa manière,
l’honneur non pas de la France politique, , mais du peuple français.
Militante tiers mondiste au départ, Sharon Courtoux, durant plus de
trente ans, a milité pour une aide au développement plus efficace. Mais
surtout, instruite par l’expérience, elle a, au fil des années, posé un
regard de plus en plus lucide sur la politique française en Afrique et
dénoncé, au fil des « Billets » de Survie, l’affairisme, les
compromissions, les petits services entre amis…
Jamais, ni de près ni de loin, Sharon Courtoux n’a fréquenté la « cour
des grands ». Elle, elle n’a pas été invitée à l’Elysée, elle n’a pas
flirté avec les barbouzes, les envoyés très spéciaux, les chargés de
mission. Elle n’a pas du sélectionner les bonnes pages de dossiers trop
chargés. Normal : elle n’était « que » militante de base, citoyenne
désireuse de s’informer, Française soucieuse de l’honneur de son pays.
Cependant, elle aurait pu donner des leçons de géopolitique à de
nombreux spécialistes médiatisés… Car pour comprendre les mécanismes
compliqués de la Françafrique et parcourir tous les étages de la
complicité, il lui suffisait, dans son petit bureau encombré, d’écouter
les victimes, de recueillir les témoignages, de collationner les écrits
des uns et des autres. Et surtout d’utiliser comme une arme de poing
son téléphone personnel, qui n’était ni crypté ni payé par l’employeur,
mais seulement alimenté par un immense carnet d’adresses…
SI elle était déjà une citoyenne consciente, une militante engagée, le
génocide au Rwanda, en 1994, la dévasta, tout autant que François Xavier
Verschave : elle prit fait et cause pour les victimes et aussi pour un
régime qui se réclamait d’elles et qui, armes à la main, avait mis fin
aux massacres. Lorsque le Rwanda porta la guerre au Congo, afin de
neutraliser les conséquences de l’Opération Turquoise et de provoquer le
retour des réfugiés hutus, Sharon Courtoux, honnête et engagée, eut du
mal à cacher sa perplexité et son chagrin …
Durant plus d’un quart de siècle, cette femme de cœur est restée fidèle
au Rwanda, sans négliger pour autant d’autres « fronts » comme le
Tchad, le Togo, le Congo Brazzaville et au fil du temps, elle avait fini
par se faire écouter avec respect par les journalistes, les diplomates
et, au sens large, les amis de l’Afrique.
Ce sont ceux là qui la pleurent aujourd’hui et se retrouveront au Père
Lachaise, ceux là qui tenteront encore, comme elle le disait si souvent,
de faire reculer les limites de l’impossible. Plume au poing.