Les assisses de l’Union de la presse francophone ont réuni plus de 300 professionnels.

Président en exercice de l’Union africaine, le chef d’Etat guinéen Alpha Conde a clôturé avec éclat les 46e assises de l’Union de la presse francophone qui avaient réuni plus de 300 journalistes à Conakry. Durant près d’une semaine, journalistes européens et africains, mais aussi professionnels venus de Moldavie, d’Arménie où se tiendra le prochain sommet, du Vietnam et des Caraïbes ont débattu avec passion de thèmes qui se posent partout avec la même acuité, l’investigation, la transparence, l’inflation du web, bref la grandeur et les limites du métier d’informer. Après des jours et des jours de discussions publiques et d’apartés privés, où il a été question des nouveaux défis posés par les réseaux sociaux et le web, des nouvelles méthodes du journalisme d’investigation où des enquêteurs réunis en consortium débusquent des filières d’évasions fiscales et visitent les paradis du même nom, le chef de l’Etat a brutalement rappelé les limites de ce type d’exercice et remis les journalistes à leur place.
Posé sur une chaise, occupant seul le milieu de la scène, ne cachant guère son agacement, Alpha Conde a brisé le ronronnement des discours convenus et le réconfortant rappel des grands principes. « Je ne suis impressionné par personne » a-t-il asséné « et toute radio qui passera les communiqués de Sama (des grévistes exprimant le point de vue des syndicats), sera fermée, car elle aura enfreint la loi… »Le menaces et l’exaspération du président s’expliquent par une situation sociale tendue n Guinée, marquée par une grève prolongée des enseignants. S’y ajoute un conflit avec une radio qui avait imprudemment suscité une rumeur évoquant le décès possible du chef de l’Etat, et cela tout simplement parce quelle avait diffusé des hymnes funèbres en hommage à un collaborateur du président, qui venait de décéder ! Se « lâchant » devant la presse nationale et internationale, dans un discours visiblement improvisé, Alpha Condé déclara alors qu’aucune des radios guinéennes n’était en règle d’autorisation et que nul ne doit se croire au dessus de la loi.
Par la suite, des confrères devaient nous expliquer qu’en réalité, la plupart des radios du pays s’étaient bel et bien acquitté des redevances dues, mais que les fonctionnaires avaient tardé, par négligence, à leur délivrer les autorisations exigées.
Au sortir de cette algarade, alors que le représentant de Reporters sans Frontières demandait un rendez vous d’urgence avec le président afin de demander des clarifications, la plupart des journalistes guinéens refusaient de dramatiser et tempéraient les réactions de leurs confrères : «Alpha Conde est ainsi, il ne pratique pas la langue de bois, et là, il s’est énervé… »
Il n’empêche que cette scène nous a paru d’un autre âge : l’actuel président de l’Union africaine, qui venait de rentrer de Paris où la France et diverses instances lui avaient promis des crédits pour un montant total de plus de 20 milliards de dollars, semblait « remonté » par ses soutiens internationaux et proclamait fièrement, à l’occasion de ce sommet réunissant des journalistes francophones, que « Guinea is back ».
Le défi lancé à la presse, qui rappelait le président Mobutu dans ses meilleures années, n’était pas le seul anachronisme relevé cette semaine : l’état de la capitale, Conakry, paralysée par les embouteillages chroniques et se affichant un état de vétusté et d’insalubrité alarmant, évoquait lui aussi une Afrique d’un autre âge, comme un continent oublié qui s’enfoncerait lentement dans une lagune polluée…
Malgré les apparences, telle n’est cependant pas la réalité du pays de Sekou Touré, -celui qui fut le seul à dire « non » au général de Gaulle et à refuser l’association avec la France- un acte de souveraineté qui fut payé au plus haut prix.
La Guinée d’aujourd’hui, même si elle n’a pas rejoint la monnaie commune le franc CFA, est très courtisée, pour ses richesses (le fer, le bauxite, la forêt) pour sa situation stratégique, en bordure des pays sahéliens menacés par Boko Haram et la vague islamiste. Dans la capitale, les entreprises françaises, Bolloré, Orange et autres tiennent le haut du pavé, mais ce sont les Chinois qui construisent les banques, des hôtels, les gratte ciels qui poussent à côté des bidonville et dans le port, on distinguent des marins asiatiques qui manoeuvrent des empilement de containers…Dans cette capitale chaotique, qui semble émerger avec peine du temps difficile de l’indépendance, on retrouve encore des vestiges de l’histoire, dont un musée national dont les statues entourées d’herbes folles rappellent les héros de l’histoire, ceux qui résistèrent à l’occupation française, et ceux qui, Sekou Touré en tête, s’employèrent à construire un pays libre. On y découvre aussi une vaste cathédrale construite dans les années 30 et en voie de rénovation, des mosquées flambant neuves, des boîtes de nuit où se déchaînent koras et balafons. Mais aussi, omniprésent, un rêve qui hante la jeunesse et devrait inquiéter le président de l’Union africaine : la jeunesse ne songe qu’à une chose, prendre la route de l’Europe, de cet ailleurs qui, malgré les dangers de la traversée, semble à portée de mains. Le moindre contact, la moindre conversation révèlent cette obsession : « je cherche de l’argent pour venir en Belgique » proclame le moto-taxi au final de sa course, « emmenez moi dans votre pays » supplie le policier en s’interrompant de régler la circulation et en baissant son bras levé au milieu du flot des voitures…
Pourquoi cette envie d’un ailleurs, d’une autre existence ? La réponse se trouve peut-être dans les contrastes sociaux: après avoir traversé des quartiers pourris, insalubres, envahis par une musique tonitruante, les journalistes eurent la surprise de découvrir la propriété de l’un des hommes les plus riches du pays, M. Kerfalla Camara, PDG du groupe Guicopres, ami personnel du chef de l’Etat et financier de la Fondation KPC pour l’humanitaire. Ayant fait fortune dans l’immobilier, entre autres, bénéficiant des faveurs de l’armée, son principal client, M. Kerfalla Camara offrit à la presse internationale une réception dont la prodigalité était elle aussi d’un autre âge, rappelant les largesses d’Houphouet Boigny en côte d’Ivoire ou du président Mobutu au sommet de sa gloire et ne lésinant pas sur le champagne rosé…
Face à de tels contrastes, les journalistes guinéens, même si le président n’hésite pas à les critiquer voire les menacer en public, et si leur profession est pleine d’aléas, gardent un sang froid un professionnalisme étonnant : tout au long des assisses, ils intervinrent dans les débats avec mesure, démontrèrent leurs qualités d’investigateurs ainsi que leur capacité d’ironie, à l’instar du journal satirique le Lynx, déchaîné contre la perspective d’un troisième mandat présidentiel et publiant des caricatures d’une rare violence, n’hésitant pas à recourir à l’image d’un Hitler africain !

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Posté le 27/11/2017 par rwandanews