Lous and The Yakuza On dit d’elle qu’elle sera la star de 2020. La jeune chanteuse bruxelloise ne fait rien à moitié et prévient  « tout est gore qui finit gore », c’est écrit sur son corps. Par Anne-Françoise Moyson







On ne lui impose rien sur terre. Elle se préfère avec une perruque sur la tête, dessine à main levée sur son front un petit bonhomme qui dit son état de sidération, sa joie et sa tristesse mêlées, chante quand ça lui chante, même Barbara et le temps perdu qui ne se rattrape plus. Lous and The Yakuza, aka Marie-Pierra Kakoma, 23 ans, est un mélange détonnant de cultures rwandaise, congolaise, japonaise et belge. Elle est née à Lubumbashi, fut biberonnée aux mangas, a grandi à Saint-Josse et Anderlecht, goûté à l’internat mosan, connu jeune fille les jours et les nuits des sans domicile fixe, mais jamais n’a cessé de s’arrimer à son flow torrentueux. On l’a vue, dès 2016, aux côtés de Damso dans Bruxelles Vie, puis traîner sa fragilité explosive dans le milieu musical forcément hype. Depuis, signée sur une major, Sony Music, elle a montré ce qu’elle avait dans le ventre, façon teasing, avec Dilemme suivi de Tout est gore et d’un clip mis en image par Wendy Morgan.

Elle a, dès lors, eu les honneurs des covers de magazines qui l’annoncent « star en 2020 », elle rit, « ce n’est pas moi qui l’ai écrit, je n’aurais pas eu cette audace ». C’est d’ailleurs sur ce deuxième titre que les fillettes de Madonna dansent dans l’intimité, avec une perruque, comme elle ; the Queen of the Pop a partagé l’instant joyeux et enfantin, Lous s’est empressée de lui écrire son amour par réseaux sociaux interposés – « Made my dayyyy foreva ».

Ensemble veste et pantalon en coton, Christian Wijnants. © PHOTOS ET PRODUCTION BENOÎT BÉTHUME


Elle a pris l’année qui vient à bras-le-corps, et la décennie de même. Avec une foultitude de concerts et un premier album, Gore, prévu pour le 5 juin prochain et produit par El Guincho, lequel fut aux manettes de El Mal Querer de Rosalia. Et tandis que le rappeur Wizkid se verrait bien faire un duo avec elle, nominée au D6BELS Music Awards, catégorie révélation, elle se glisse, pour nous, étrange et élégante dans une mode belge qu’elle fait sienne. Les dieux se seraient-ils penchés sur son berceau ?

Je suis une control freak, je calcule pour que tout soit bien fait, l’image aussi, parce que je veux donner l’exemple

Lous, anagramme de Soul

«  Depuis que j’ai 18 ans, on m’appelle Lous. Mais ma famille préfère Pierra, les amies de l’internat MP et d’autres, Charles, parce que pendant trois ans j’ai forcé tout le monde à m’appeler ainsi. J’aime l’idée de choisir son nom. Dans ma tête, on est plusieurs, c’est fort habité… Les trois premiers EP de ma vie étaient basés sur la schizophrénie, je donnais des petits noms à différentes facettes de ma personnalité. J’ai été diagnostiquée schizo mais je ne l’étais pas, j’étais juste jeune et je vivais trop dans mon imagination. »

Le Rwanda

«  J’ai vécu à Kigali de 2005 à 2011. Je me sens rwandaise, comme ma mère, même si elle est née au Congo et qu’elle a découvert son identité rwandaise à peu près en même temps que moi. Je partage ce caractère structuré, discipliné, mais je me sens aussi congolaise, avec ce côté fêtard et joyeux, je suis le parfait mix improbable entre les deux. J’ai des qualités et des défauts qui, normalement, ne cohabitent pas ensemble : je suis disciplinée et ultrabordélique, et en même temps super maniaque, je déteste quand les chaussures ne sont pas alignées, les portes pas fermées… »

L’internat

«  A 15 ans, je suis allée à l’internat en Belgique, au Val de Meuse, une école infestée de pestes, il n’y avait là que des filles, sauf trois garçons au bout de leur vie. Je suis arrivée dans un monde bourge, je ne savais pas que c’était possible d’être autant matérialiste. J’étais souvent avec les meufs considérées comme bizarres – j’adorais les mangas et souvent les gens bizarres aiment les mangas, on avait plein de trucs en commun. »

L’expérience de la rue

J’ai alors vécu dans la rue, je n’avais pas de tunes, juste un abonnement de train Bruxelles-Louvain.

«  Quand j’ai annoncé que je voulais faire de la musique à mes parents, cela a été violent, mais pas physiquement, ils m’ont dit :  » Tu te plantes, ne fais pas ça, si tu veux cette vie-là, on ne te soutiendra pas financièrement.  » Ils pensaient que j’allais revenir mais je ne suis jamais revenue. J’ai conscience qu’ils ont fait ça pour me protéger… Sauf que la communication, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux dans les familles africaines, les pères sont très silencieux, il y a une culture de non-dit, surtout au Rwanda. J’ai alors vécu dans la rue, je n’avais pas de tunes, juste un abonnement de train Bruxelles-Louvain. J’allais chez des amis musiciens, toute la journée. Je faisais du son, je ne disais pas que j’étais SDF. Je rentrais le soir à Bruxelles, et j’errais pendant des heures vers Montgomery parce que c’était éclairé et animé. La vérité, tu ne sais pas comment la dire aux gens… »

Ensemble veste et pantalon en denim de coton, MM6. © PHOTOS ET PRODUCTION BENOÎT BÉTHUME

Le silence

«  Quand j’avais 18 ans, j’ai fait voeu de silence, ne plus parler pour renouveler ma parole. J’ai fait trois mois d’introspection intense, personne ne comprenait mon choix. Je me suis imposé des choses extrêmes, mais à l’époque, je ne trouvais pas que cela l’était. J’étais ultra asociale, ça allait soi-disant très bien dans ma tête mais pas du tout… Je peignais, je chantais et j’avais un chat qui s’appelait Kalach. J’ai rencontré Damso, qui m’a envoyé un message :  » J’aime ta musique, faisons un feat ensemble.  » C’était en 2015 et il m’a présenté Krisy, c’est mon frère, dorénavant, je ferais tout pour lui, et pour Damso aussi. »

Dream Team

« Ce que je dégage vient des cultures différentes de ceux qui forment mon équipe. Pablo El Guincho par exemple est né dans les îles Canaries et Wendy Morgan est chilienne. J’avais vraiment envie de travailler avec eux. Pablo a réussi à mélanger deux styles de musique, le flamenco et le hip-hop. Quand j’ai vu qu’il était capable d’une telle prouesse avec tant d’élégance, j’ai compris qu’il pourrait réussir la mienne aussi. Musicalement, j’aime l’épuration et j’ai aussi un côté très bourrin, j’aime les jams avec quatre mille instruments. Il m’a aidée à trouver le juste milieu, à retrouver cette émotion et quelque chose de très pur dans le multi-instrumentisme. C’est un génie de la musique, un surdoué. Et Wendy Morgan est complètement ouf, elle m’a comprise mieux que personne, elle a réussi à mettre en image tout ce que j’avais en moi. Je lui ai demandé de travailler aussi sur les concerts, pour les Rencontres Trans Musicales de Rennes notamment. C’est important pour moi de retrouver l’énergie visuelle des clips dans le live, je suis adepte de la cohérence. Je suis une control freak, je calcule pour que tout soit bien fait, l’image aussi, parce que je veux donner l’exemple. J’aimerais inspirer des jeunes filles : on peut être une femme noire et réussir à fédérer une équipe. »

Un processus créatif

« J’écris d’abord, dans des carnets, j’en suis adepte, cela fait dix ans qu’on m’en offre à chaque Noël et chaque anniversaire. J’écris donc ce que j’ai à dire, instinctivement, mon cerveau calcule les syllabes, les rythmiques et les rimes et puis je trouve les accords qui vont avec la chanson. Je la produis ensuite. Avant, je composais avec ma voix, maintenant avec le piano et la guitare, je consulte les musiciens qui harmonisent ce que je veux, peu de choses arrivent mystérieusement, je contrôle trop de paramètres. La semaine passée, j’ai fait deux sessions de studio à Paris, des beat makers sont venus me faire écouter leurs productions et j’ai chanté dessus – pour la première fois, j’ai lâché prise. »

J’entretiens plus un rapport avec les vêtements qu’avec la mode. Je suis une inculte, bien que je découvre des labels tous les jours, en étant dans la musique.

Ébène

« Je suis ébène, je préfère employer ce mot-là. Je ne suis pas noire, je trouve que ce n’est qu’une appellation générique. Et puis, quand on dit noir, on l’associe à quelque chose de négatif dans l’imaginaire collectif – dans les films d’horreur, les gens ne sont pas tout en rose. Et puis quand il fait noir, on ne voit rien, cela fait peur. Et quand un vigile shoote un renoi qui est de dos et qui marche, comme ce fut le cas de Trayvon Martin (NDLR : un ado afro-américain de 17 ans tué par balle à Sanford, en Floride, en 2012), je pense qu’il ne le tue pas seulement parce qu’il est noir, mais aussi parce qu’il ne le distingue pas et qu’on ne sait pas accepter ce que l’on ne sait pas distinguer. »

Robe en coton et soie, Olivier Theyskens. © PHOTOS ET PRODUCTION BENOÎT BÉTHUME

La mode

« Je suis extrêmement fan de Martin Margiela, même si je ne savais pas qu’il était belge, je l’apprends aujourd’hui. J’entretiens plus un rapport avec les vêtements qu’avec la mode. Je suis un peu inculte bien que je découvre des labels tous les jours, en étant dans la musique. J’aime Jacquemus, je trouve qu’il sublime l’innocence et la nostalgie, cela ressemble tellement à ce que les femmes portaient quand j’étais petite dans les coupes, la simplicité, le twist, l’apparence jolie, raffinée et délicate. J’aime la délicatesse… Et d’un autre côté, j’aime aussi Dolce & Gabbana, c’est mon côté extrême. »

Kabwabwa

« Quand j’étais petite, on m’appelait Kabwabwa, » l’enfant qui parle trop, en swahili. J’avais tellement d’opinions, je connaissais le nom des présidents de tous les pays, je voulais sauver la Terre. Et puis je me suis rendu compte que je n’étais qu’un être humain, que je ne pouvais pas aider tout le monde – cela me saoule… Je rêve que tout soit beau, qu’il n’y ait plus de guerre et que l’on s’aime tous. Je rêve aussi de construire des hôpitaux au Congo, j’ai commencé à le faire au Rwanda, je veux embaucher des gens, créer de l’emploi et ma fondation. »

Lous and the Yakusa sera en concert le 30 mai au Botanique, le 18 juillet à Dour, le 29 août à la Fête des Solidarités à Namur. Sur Instagram : Lousandtheyakuza

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Posté par rwandaises.com