Plusieurs essayistes et journalistes dont les travaux nient ou banalisent le génocide contre les Batutsi au Rwanda seront au Sééat franççis le 9 mars, pour une conférence sur « l’Afrique des Grands Lacs ». Par Richard Gisagara*, JA



Performance à Kigali pour la commémoration des 20 ans du génocide contre les Batutsi au Rwanda, le 7 avril 2014 au stade Amahoro.




Plusieurs essayistes et journalistes dont les travaux nient ou banalisent le génocide contre les Bautsi au Rwanda doivent se retrouver le 9 mars, dans l’enceinte du Sénat, à l’occasion d’une conférence sur « l’Afrique des Grands Lacs ». Pour l’avocat Richard Gisagara, la tenue de cet événement risque de piétiner la loi qui réprime désormais en France la négation du génocide commis en 1994.

Lundi 9 mars, le Palais du Luxembourg doit accueillir une conférence dont les organisateurs ont choisi pour titre : « L’Afrique des Grands Lacs, soixante ans de tragiques instabilités ». Compte tenu de la personnalité des intervenants et des prises de position conspirationnistes et négationnistes de plusieurs d’entre eux, les spécialistes de la région savent à quoi s’attendre.

Le club Démocraties, un groupe de réflexion politique proche du Parti socialiste français, s’est fait une spécialité de ces rendez-vous au Sénat consacrés à la contestation du génocide contre les Batutsi au Rwanda. Le 20 octobre 2007, la conférence qu’il patronnait déjà s’intitulait : « La France et le drame rwandais ». Le 1er avril (sic) 2014, le colloque avait cette fois pour titre : « Le drame rwandais : la vérité des acteurs ».

Éviter le mot « génocide » est le marqueur favori des adeptes du déni

La réunion prévue le 9 mars renouvelle l’euphémisation. Mais, au vu des intervenants de l’après-midi [lire le programme ci-dessous, ndlr], l’objectif n’a pas changé. L’expression « tragiques instabilités » ne vise-t-elle pas à brouiller la vérité sur le génocide commis contre les BaTutsi au Rwanda en 1994 ? Éviter le mot « génocide » dans le titre d’une conférence destinée à détricoter ce qu’ils appellent « l’histoire officielle » est le marqueur favori des adeptes du déni.

Anciens ministres

Une différence cependant pour cette nouvelle conférence : ses organisateurs s’avancent masqués. Le colloque n’est pas annoncé sur le site du Sénat ni sur celui de l’Académie des sciences d’outre-mer, qui parraine pourtant l’opération. L’ancien ministre de François Mitterrand, Paul Quilès

[président de la mission d’information parlementaire qui a œuvré en 1998
à documenter le rôle de la France et de la communauté internationale
dans le génocide des Tutsi, ndlr]

ne fait plus partie des intervenants annoncés, même si Alain-Francis Guyon, le discret factotum du club Démocraties, s’est une nouvelle fois chargé des invitations.

Et d’improbables convergences avec l’extrême droite se font jour, puisque la gestion de l’événement a été confiée à l’un des fondateurs des mouvements « La droite libre » et « Résistance  Républicaine ». Avec l’ouverture du colloque par l’ancien ministre socialiste rocardien Alain Richard, et sa conclusion par l’ancien ministre Gérard Longuet, militant d’extrême droite dans sa jeunesse, quelle redistribution des cartes !

Un crime d’État planifié de longue date

Au Rwanda, entre avril et juillet 1994, les Batutsi furent la cible d’une campagne d’extermination d’une effroyable efficacité : en moins de cent jours, plus d’un million de victimes périrent. La recherche vaine d’un « ordre initial » ne doit pas occulter la nature spécifique du crime. Il s’agissait bien d’un génocide, c’est-à-dire d’un crime d’État planifié de longue date, avec sa propagande, ses médias, ses mots d’ordre meurtriers, ses milices redoutables, son financement, sa hiérarchie criminelle.

Devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les accusés ont longtemps affiché une défense fondée sur la négation du génocide. Selon eux, les massacres résultaient d’une « colère populaire spontanée », incontrôlable. Afin de contrer de telles arguties, la Chambre d’appel du TPIR, par un arrêt du 16 juin 2006, a dressé un constat judiciaire concluant qu’il était « un fait de notoriété publique qu’entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique ». Sous la plume des juges internationaux, point de « double génocide », comme les négationnistes, habiles à reformuler leurs éléments de langage, le répètent depuis lors.

Depuis plus de 25 ans, la réalité et la gravité du génocide contre les Batutsi ont été amplement documentées au fil des audiences du tribunal de l’ONU, par diverses juridictions nationales ainsi que par de minutieuses enquêtes journalistiques et historiques. Ce « fait de notoriété publique » s’impose désormais à la communauté internationale, et en particulier à la France. Ajoutons enfin que quatre décisions rendues par des cours d’assises françaises (toutes confirmées en cassation) ont à leur tour reconnu sans ambiguïté la réalité du génocide contre les Batutsi au Rwanda « en application d’un plan concerté ».

La législation française sanctionnant le négationnisme ne semble pas suffisamment dissuasive

Par un décret du 13 mai 2019, le président de la République Emmanuel Macron a institué une journée nationale de commémoration en France, chaque 7 avril, journée du début du génocide contre les Batutsi. Une initiative qui provoque l’exaspération des négationnistes, comme le montre la conférence annoncée dans l’enceinte du Palais du Luxembourg.

La législation française sanctionnant le négationnisme est-elle pertinente ? Force est de constater – et de déplorer – qu’elle ne semble pas suffisamment dissuasive puisqu’une institution aussi prestigieuse que le Sénat accepte d’accueillir des polémistes qui, depuis des années, par leurs livres, interviews ou articles, répètent que le génocide contre les Batutsi au Rwanda « est le plus grand mensonge du XXe siècle » ou que ce sont les Batutsi eux-mêmes qui ont « sacrifié les Batutsi ».

Racisme récurrent

Le négationnisme est-il intolérable lorsqu’il s’agit du génocide des Arméniens ou de l’extermination des Juifs d’Europe, mais discutable lorsque les auteurs et les victimes sont des Africains ? Peut-on encore accepter ce mépris des faits qui n’est rien d’autre qu’un racisme récurrent ?

Nous invitons le Sénat à se montrer digne de la représentation démocratique française en refusant d’accueillir en son sein des individus niant, sous couvert de débats « géopolitiques », le dernier génocide de notre tragique XXe siècle.

Jeune Afrique publie ici, en complément à cette tribune, le programme de la conférence tel qu’il a été formulé par ses organisateurs

Lundi 9 mars 2020

L’Afrique des Grands Lacs : 60 ans de tragique instabilité

Avec le soutien du Docteur Mukwege, Prix Nobel de la Paix, et le parrainage de l’Académie des Sciences d’Outre-mer.

Animé par Vincent Hervouët

Le docteur Denis Mukwege, dans son discours de remise du prix Nobel de la Paix, le 10 décembre 2018, a demandé que cesse enfin l’impunité dont jouissent les coupables de crimes perpétrés dans la région des Grands Lacs.

L’objet de ce colloque est de faire le point sur les conflits qui dévastent cette région depuis 60 ans et d’analyser, grâce aux interventions de spécialistes internationaux, les intérêts géopolitiques et économiques, les ambitions régionales et les groupes de pression actifs dans cette partie de l’Afrique.

Adresse : Palais du Luxembourg 15, rue de Vaugirard 75006 PARIS Salle Médicis […]

9h00 : Accueil
9h15 : Ouverture du colloque par le sénateur Alain Richard, ancien ministre    
            Mot du secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre Mer,

9h30-12h15 : Historique, constat, 60 ans de massacres, de violences de masse, de crimes contre
                         l’humanité et de génocide.

Intervenants :

– Professeur Olivier Lanotte, docteur en sciences politiques (Belgique)
– Pierre Jacquemot, ancien Ambassadeur (France)
– Johan Swinnen, ambassadeur honoraire (Belgique)
– Timothy Reid, ancien cadre onusien, responsable du désarmement et des droits de l’homme dans
    la région des Grands Lacs (Canada)
– Isidore Ndaywel, historien, professeur émérite de l’université de Kinshasa

12h15-13h45 : Pause déjeuner

14h15-17h15: Analyses des enjeux politiques, économiques, judiciaires et de mémoire. Responsabilités régionales et internationales

– Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (France)
– Judi Rever, journaliste et auteure de l’ouvrage In Praise of Blood, the Crimes of the Rwandan Patriotic Front (Canada)
– Charles Onana, docteur en Sciences Politiques (France/Cameroun)
– Helen Epstein, professeur droits de l’homme au Bard College US (États-Unis)
– Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ambassadeur, essayiste, spécialiste des conflits dans la région de
   Grands Lacs (France/Rwanda).

17h15 : Conclusion par le sénateur Gérard Longuet, ancien Ministre,

*Par Richard Gisagara
 Avocat en France et au Rwanda, Richard Gisagara est à l’origine de l’action judiciaire qui a conduit à l’adoption de la loi française réprimant la négation du génocide des Tutsi

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