Nous sommes dans des temps hors du commun, notre pays et le monde entier en général sont menacés par la pandémie de COVID-19 ; nous devons donc continuer à commémorer l’histoire du génocide contre les [Ba]tutsi et comment il a été arrêté. Les forces qui ont conduit à mettre fin au génocide sont les mêmes qui nous amènent à trouver des efforts entre nous pour faire face à toute épidémie, nous sommes sûrs que nous allons gagner.
C’est dans la perspective d’aider les Rwandais et la communauté internationale à se préparer à cette histoire que la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) continue de mettre en exergue certaines activités qui ont marqué le complot pour préparer le génocide contre les [Ba]Tutsi. Les événements suivants ont marqué la période du 29 mars au 4 avril 1991-1994.
1. LE GENERAL DEOGRATIAS NSABIMANA A ORGANISÉ UNE RÉUNION DE HAUT NIVEAU POUR LANCER LE GÉNOCIDE
Le 29 mars 1993, le général Deogratias Nsabimana, alors chef d’état-major des forces armées rwandaises, a présidé une réunion pour rationaliser les opérations de « auto-défense civile », qui visait à inciter la population à tuer les Tutsi et à leur mentir qu’ils pourraient vaincre le FPR. Au cours de cette réunion qui a réuni les dirigeants de la ville de Kigali, les principaux chefs militaires, les membres des partis de la faction Hutu-Power, Impuzamugambi et Interahamwe, des armes supplémentaires qui seraient bientôt distribuées aux tueurs ont été fournies.
Cette réunion clandestine a été rapportée dans le rapport des députés français dirigé par Paul Quiles en 1998 où ils ont rapporté que la réunion s’était tenue dans le plus grand secret et que les français avaient son procès-verbal. Ce rapport des députés français rappelle que la distribution d’armes aux milices Interahamwe a été rapportée le 22 janvier 1992 dans le télégramme envoyé par le colonel Bernard Cussac qui était un haut fonctionnaire de l’ambassade de France à Kigali où il était chef de la coopération militaire entre le Rwanda et la France.
Dans son télégramme, le colonel Cussac a indiqué que la distribution d’armes était dirigée par le ministre rwandais de l’intérieur et développement et communal et effectuée dans les préfectures du nord du pays, à savoir Gisenyi, Ruhengeri et Byumba ; et distribuées aux hommes et aux jeunes hommes sélectionnés par les autorités tandis que ceux qui ont reçu des armes ont été formés à leur utilisation par les forces armées rwandaises. Sur cette base, le colonel Cussac a confirmé qu’il y avait une collaboration remarquable entre les autorités gouvernementales, les chefs militaires et les Interahamwe ; il en a déduit que les Interahamwe utiliseraient sans aucun doute les armes pour tuer les gens.
Cette fois-ci, c’était en 1992, ce qui montre clairement que le plan génocidaire pour exterminer les [ Ba] Tutsi n’est pas pour avril 1994, il a plutôt commencé des années avant cette année.
La distribution d’armes aux milices Interahamwe a été rappelée par le général Dallaire le 11 janvier 1994 dans un télégramme qu’il a envoyé au secrétaire général des Nations Unies, Boutros-Boutros Ghali, demandant que la MINUAR ait le droit de confisquer ces armes, mais il a n’a pas obtenu ce droit.
2. LE PRÉSIDENT HABYARIMANA A ACCEPTÉ LA REPRÉSENTATION DE LA CDR AU PARLEMENT EN VIOLATION DES ACCORDS DE PAIX D’ARUSHA
Le 29 mars 1994, le président HABYARIMANA qui a continué à écarter la mise en place des institutions de transition comme le prévoyait l’accord de paix d’Arusha, malgré le fait que les bailleurs de fonds du Rwanda lui ont continuellement fait pression, a accepté la représentation de la CDR au parlement de transition contrairement aux dispositions de l’Accord de paix d’Arusha ; la CDR s’opposait à l’Accord. Cela montre que HABYARIMANA était également dans le plan de la CDR de rejeter l’Accord et d’exterminer les Tutsi.
La CDR était une partie qui n’a cessé de dénoncer cet accord qui visait à rechercher des solutions de manière pacifique. La CDR a fait valoir que la paix ne serait apportée qu’en combattant les Inkotanyi pour les forcer à rentrer en Ouganda parallèlement à l’extermination des [Ba]Tutsi.
3. LE PRÉFET DE LA VILLE DE KIGALI, LE COLONEL RENZAHO THARCISSE, A PRÉPARÉ LE GÉNOCIDE À KIGALI
Le 30 mars 1994, le colonel Tharcisse Renzaho, préfet de la ville de
Kigali, a envoyé une liste de personnes, y compris des réservistes, à
faire partie d’une soi-disant force d’autodéfense civile au chef
d’état-major de l’armée, le colonel Déogratias Nsabimana.
« L’autodéfense civile » était un euphémisme pour les escadrons de la
mort.
La lettre de Renzaho faisait suite à une émission diffusée par Ferdinand Nahimana le 28 mars 1994, dans laquelle il avait appelé à l’autodéfense de la population, en préparation de la « solution finale » à la « Ligue tutsie » qui voulait créer « un empire Hima » en pays qui composent la région des Grands Lacs. Cette idéologie infondée est toujours propagée par des adversaires extrémistes du haut leadership du Rwanda. Nahimana a appelé toutes les autorités locales à exhorter la population à cette cause, un appel à peine voilé pour que les [Ba] Hutus’unissent pour exterminer les [Ba]Tutsi.
4. LE COLLECTIF RWANDAIS DES LIGUES ET ASSOCIATIONS DE
DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME (CLADHO), A DÉNONCÉ LES MASSACRES ENGAGÉS
PAR L’ARMÉE GOUVERNEMENTALE DE HABYARIMANA
CLADHO a publié un communiqué de presse dénonçant les attaques menées
par les soldats, y compris ceux de la Garde présidentielle et des
Interahamwe. CLADHO a de nouveau demandé que des mesures disciplinaires
soient prises contre les soldats et a exigé le désarmement des milices.
Le régime HABYARIMANA a négligé l’appel de CLADHO et a continué à distribuer des armes aux populations, leur donnant une formation militaire et les incitant à commettre le génocide au cas où les autorités ordonneraient de le faire. C’est un ajout aux nombreuses preuves qui montrent clairement que le gouvernement d’HABYARIMANA a préparé le génocide et l’a exécuté par le biais de ses institutions.
Le 31 mars 1994, alors que le mandat de la MINUAR était vers sa fin, des responsables d’organisations rwandaises des droits de l’homme et d’autres organisations non gouvernementales ont fait appel au Conseil de sécurité pour qu’il « maintienne » et « renforce » la MINUAR, dont le retrait serait interprété comme un abandon de la population civile aux pires calamités.
5. LA FRANCE A CONTINUÉ À APPUYER LE GOUVERNEMENT D’HABYARIMANA QUI PRÉPARAIT LE GÉNOCIDE
Le 2 avril 1993 Après que François Léotard, le ministre français de la
Défense annonce que le FPR « progresse vers Kigali avec des troupes
déguisées en civil. « , le Premier ministre Edouard Balladur, soutenu par
le président François Mitterrand, décide de renforcer le dispositif
militaire français au Rwanda ainsi que la coopération militaire.
Le 3 avril 1993 -Juvénal Habyarimana reçoit dans sa résidence l’ambassadeur Georges Martres, l’attaché de défense le colonel Bernard Cussac, conseiller du chef d’état-major des FAR, le colonel Jean Jacques Maurin et Michel Robardey pour les remercier de l’aide de la France dans la lutte contre l’attaque du FPR du 8 février, 1993, lorsque les troupes du FPR ont mené une offensive décisive contre l’armée de Habyarimana jusqu’à Shyorongi aux portes de Kigali.
Ce soutien continu de la France au gouvernement du Rwanda a conduit le régime à sentir qu’il pouvait continuer les préparatifs du génocide sans obstacles car il était soutenu par un pays puissant comme la France.
6. DES EXTREMISTES DE LA FACTION HUTU-POWER ONT UTILISÉ LA RADIO RTLM POUR INCITER LES [BA] HUTU À TUER EN PENSANT QU’ILS ONT DÉCOUVERT LE PLAN DES TUTSI POUR TUER LES HUTU
Le 3 avril 1994 : la RTLM prédit que le FPR ferait « une petite chose » avec ses balles et ses grenades du 3 au 5 avril puis du 7 au 8 avril 1994. C’était probablement une « accusation en miroir » selon le procédé préconisé par le disciple de l’expert Muchiell, par lequel les radicaux [Ba]Hutu prétendaient que les [Ba]tutsi se préparaient à faire ce qu’ils avaient eux-mêmes l’intention de faire.
Ce mensonge répandu par la RTLM a accru la peur parmi les populations et les a amenées à accepter à tort que les [Ba]tutsi avaient le plan de tuer les [Ba] Hutu, ce qui a conduit à une participation massive de la population à l’extermination des [Ba]tutsi. À l’époque, l’environnement était déjà tendu à la suite des mensonges répandus par les partis CDR et MRND.
Les personnes qui se sentaient en danger envoyèrent leurs enfants loin de Kigali, tandis que d’autres se sont réfugiées dans des endroits jugés sûrs. Lorsque le génocide a commencé, aucun endroit n’a été épargné, tout le pays a été ravagé.
Le même jour, l’ambassadeur d’Allemagne, s’exprimant au nom de l’Union européenne, fit part de ses préoccupations concernant l’augmentation de l’insécurité, la prolifération des armes et le « rôle inacceptable de certains médias ». Il laisse entendre que le soutien de l’Union européenne dépendrait désormais de l’application des accords. C’était un moyen de faire pression sur le gouvernement pour qu’il puisse arrêter de préparer des massacres, mais cela n’a pas porté des fruits.
7. LE COLONEL BAGOSORA A DIT QUE LA SEULE SOLUTION PLAUSIBLE AU RWANDA ÉTAIT LE GÉNOCIDE
Le 4 avril 1994, lors d’une réception organisée pour célébrer la fête nationale du Sénégal, le colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministère de la défense qui s’est fermement opposé à l’accord de paix d’Arusha, a annoncé aux gens que « la seule solution plausible pour le Rwanda serait l’extermination des [Ba]tutsi ». Parmi les personnes présentes qui ont confirmé les propos de Bagosora dans les témoignages qu’ils ont rendus au TPIR ou dans différentes publications, se trouvaient Dallaire, le commandant de la MINUAR, Jacques Roger Booh-Booh qui était l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, le colonel Luc Marchal, Belge qui commandait le contingent belge au sein de la MINUAR, il était également adjoint à Dallaire.
CONCLUSION
Les activités susmentionnées montrent que le régime de Habyarimana a
volontairement refusé de mettre en application les accords de paix
d’Arusha parce qu’il s’y opposait. Il était plutôt occupé à rationaliser
la mise en œuvre de son plan génocidaire. Ils montrent également que
certains pays puissants avaient suffisamment d’informations sur ce plan
diabolique pour exterminer les Tutsi, mais ils ont maintenu leur soutien
au régime qui prévoyait d’exterminer une partie de sa population au
lieu de faire arrêter ce plan.
* L’auteur de ce texte est Secretaire Executif de la Commission Nationale Rwandaise de Lutte contre le Genocide
Redigé par Dr Jean Damascene Bizimana Le 29 mars 2020
NB: GÉNOCIDE CONTRE LES TUTSI », LA SEULE TERMINOLOGIE SANS AMBIGUÏTÉ En français, elle est portée, à l’écrit, et par le nom et par l’article. Dès lors, l’orthographe correcte doit être « Génocide contre les Batutsi » Selon Alexis Kaga