Selon l’association Ibuka, le confinement fait rejaillir chez beaucoup de survivants « la peur et la détresse ressenties lorsqu’ils étaient dans leurs cachettes ».
Depuis le 7 avril, date qui marque officiellement le début des massacres de 1994 au Rwanda, la diaspora de France commémore le 26e anniversaire du génocide des Tutsi. A cause du confinement lié à la pandémie liée au coronavirus, toutes les cérémonies publiques et les commémorations officielles ont été reportées sine die. C’est donc sur les réseaux sociaux que la communauté rwandaise se recueille et se souvient de la tragédie qui a fait environ 800 000 morts, en grande majorité des [Ba]Tutsi.
Par Pierre Lepidi
« Comme chaque année, nous pensons aux victimes du génocide et aux rescapés, dont la présence et les voix portent jusqu’à nous le crime perpétré il y a vingt-six ans », assure, dans un message publié sur Twitter, Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka France, l’une des principales associations de victimes : « Les efforts engagés demeurent nécessaires face aux menées négationnistes empruntées pour nier, falsifier ou atténuer la nature génocidaire du crime. »
Une gerbe déposée à Paris
Depuis un décret paru en mai 2019, le 7 avril est, en France, une journée officielle d’hommage au génocide contre les [Ba]Tutsi. L’année dernière, à l’occasion du 25e anniversaire, Emmanuel Macron avait reçu plusieurs membres de l’Ibuka à l’Elysée et décidé de créer une commission de recherche sur les archives françaises. Une manière d’y voir plus clair sur le rôle controversé de la France au printemps 1994. Une note intermédiaire a été rendue publique, mardi, pour détailler la méthode et les moyens mis en place par ladite commission, mais aucun résultat n’a encore été relayé. Lire aussi
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« Nous ne pouvons pas, comme l’année dernière, organiser une cérémonie dans le parc de Choisy [XIIIe arrondissement de Paris], mais j’ai tenu à ce qu’une gerbe soit déposée [au pied d’une stèle érigée dans ce jardin en 2016] par la ville en hommage à toutes les victimes », a déclaré Anne Hidalgo, la maire de Paris, sur Twitter.
Sur Internet, plusieurs personnalités – comme Pierre Rabadan, ancien joueur de rugby, ou Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah – ont exprimé leur soutien à la communauté rwandaise ou exprimé une pensée pour les victimes du dernier génocide du XXe siècle. « Le mois d’avril nous replonge toujours dans la même douleur, assure pour sa part le rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye. Malgré l’impossibilité d’être réuni en famille, essayons d’être là les uns pour les autres en pensées, en prières et en attentions. En particulier pour les survivants qui sont isolés à cause de ce confinement. »
Sur Facebook ou Twitter, certains ont choisi de publier quelques vers issus d’une chanson de l’association Ibuka : « Souviens-toi. N’oublie jamais rien. De ces jours de pleurs. De ces nuits de plaintes. De ces torrents de sang. » En plus des chants de recueillement, des témoignages souvent poignants de survivants, comme ceux de Claire »> Ruyuki ou Reverien »> Rurangwa, ont été relayés.
Soutien psychologique
« Chez les Rwandais, le mois d’avril réveille toujours des douleurs et des traumatismes, analyse Assumpta Mugiraneza, historienne et sociologue. Le génocide reste présent dans tous les interstices de notre société. » Sur le plan psychologique, les plaies ont toujours du mal à cicatriser. Il a même été constaté que des troubles peuvent se manifester chez des personnes qui n’étaient pas nées au moment du génocide. Un phénomène déjà observé chez des descendants de juifs rescapés de la Shoah. « La période de confinement actuelle fait, chez les survivants et les familles qui ont été endeuillées, rejaillir pour beaucoup la peur et la détresse ressenties lorsqu’ils étaient dans leurs cachettes », explique Ibuka dans un communiqué. Lire aussi Coronavirus : au Rwanda, des commémorations du génocide sous le signe du confinement
Pour la première fois, un soutien psychologique est donc proposé aux rescapés. « Partout dans le monde, les génocides détruisent la confiance en l’autre », explique Amélie Schafer-Mutarabayire, psychothérapeute d’origine rwandaise dont les coordonnées téléphoniques ont été largement diffusées au sein de la communauté : « Habituellement, il est dans notre culture de se regrouper pour discuter. Aujourd’hui, à cause du confinement, la sensation d’isolement est forte chez les victimes et il y a donc des risques sur le plan psychologique… Un rescapé atteint par le Covid-19 m’a contactée pour m’expliquer à quel point il souffrait de ne pas pouvoir participer comme chaque année à ces commémorations indispensables pour lui. » Ces 26es commémorations resteront dans les mémoires pour leur dureté à vivre seul l’événement.
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