Maudit soit ce printemps 1994, ce printemps qui a emporté les miens, ce printemps que je maudirai à jamais, ce printemps dont je me souviendrai pour toujours…Deo Mazina*

Rwanda 1994 – 26 ans de souvenirs d’un printemps maudit

Maudit soit ce printemps 1994
Ce printemps qui a emporté les miens
Ce printemps que je maudirai à jamais
Ce printemps dont je me souviendrai pour toujours.

Même si je suis confiné
Je suis catégoriquement déterminé
J’utiliserais les méthodes qui conviendront
Je m’en souviens et je m’en souviendrai

26 ans de souvenirs de ce printemps maudit    
26 ans de mémoire et d’anti mémoire
26 ans de survie, pourtant source d’espoir
26 ans de souvenirs d’un passé qui ne passe pas.

Ces souvenirs que j’ai envie d’oublier
Pour mieux vivre ma vie et l’apprécier
En sachant que je ne dois rien oublier
Au risque de vivre toute ma vie, humilié.

Le souvenir de toutes ces années sans force
De pouvoir oublier tous ces cauchemars
Pouvoir me regarder dans un miroir
Agitée et perturbée est ma mémoire.

Les tueurs sont là, enragés, menaçants, hagards                                                                       
Couverts de pailles, vociférant comme des soulards
Comme des zombies et ce n’est pas du hasard
S’ils sont accompagnés de chiens et de pillards.

La liste des victimes est minutieusement dressée                           
Les cibles sont préalablement identifiées
Les attaques sont parfaitement  planifiées
Les méthodes sont clairement définies.

Lances, gourdins, épées, machettes, à la main

Ils sont venus hier et ils reviendront demain
Ils gueulent, ils crient, ils chantent, c’est terrible
Ils sèment la terreur, la panique, c’est horrible !
Ils se gavent de sang des [Ba]Tutsis, encore et encore 

Ils n’en sont jamais rassasiés, ces carnivores
Jeunes et moins jeunes, ils y participent, tous
Leur trophée c’est la tête d’un [Mu] Tutsi, c’est tout.

Les intellectuelles n’ont plus de finesse                              
Les femmes n’ont plus de tendresse
Les jeunes n’ont plus de jeunesse
Même les vieux n’ont plus de sagesse.

Pourquoi toute cette haine ?
Qui coule toujours dans leurs veines ?
Cette méchanceté qu’ils trainent ?
Tout ceci est à perdre haleine.

Les [Ba] Tutsis sont là, terrorisés, muets, fermés
La peur, l’angoisse, la terreur, certains se sont enfermés
Tremblants de peur, grelottant de froids
Ils assistent à leur supplice, impuissants, dans l’effroi.

Je m’en souviens et je m’en souviendrai
De ce printentemps qui depuis longtemps
Ce printemps où beaucoup de choses me tentent
Ce printemps qui me rend visite toutes les nuits

Et qui m’empêche de vivre épanoui.
Ce printemps que j’aurais aimé ne pas connaitre
Ce printemps que j’aimerais voir disparaitre
Du calendrier de mes souvenirs

Pour me laisser vivre mon avenir.
Ce printemps ô combien envoutant
Un des meilleurs souvenirs du Rwanda, pourtant
Ce printemps mi-figue mi-raisin

Où c’était la mort qui prenait raison.
Ce printemps aux campagnes verdoyantes                                                        
Ce printemps aux allures étonnantes
Ce printemps où l’amour était parti en exil

Ce printemps où la vie ne tenait qu’à un fil.
Ce printemps où l’amour avait perdu sa face
Pour la simple raison qu’on est différent de race
Sous un ciel de plus en plus menaçant

Dont les horizons étaient teintés de sang.
Ce printemps rempli de cauchemars
Ce printemps aux immenses brouillards
Ce printemps de mauvais souvenirs

Ces  souvenirs qui m’empêchent de dormir.
Ces souvenirs qui m’empêchent de sourire
Et qui me maintiennent dans un délire
Ces souvenirs qui toujours me reviennent

Sans toutes fois qu’ils me préviennent.
Ce printemps aux jours sombres
Qui, en apparence n’étaient que de l’ombre
Ce printemps qui n’était pas comme les autres
A cause du sang qui coulait, entre autres.

Ce printemps au ciel agité
Ce printemps aux collines effritées
Ce printemps aux allures assombris
Où tout le monde est resté abasourdi.

Ces prairies jonchées de morts
Toutes ces rivières remplies de corps
Toutes ces méthodes pour régler le sort
Des Tutsis, qualifiés de serpents, de cafards et consorts.

Je m’en souviens et je m’en souviendrai !
De ce pays longtemps éprit de ségrégation
De cette vie de tutsi en consécration
Et leurs tombes objets de profanation

De cette survie qui n’était que prostitution.
Je me souviens de cette mort en silence
De cette nature sans clémence
Ces assassinats avec performance

Ce silence face à la souffrance.
Je me souviens de tous ces gens qu’on égorge
De cette angoisse qui nous noue la gorge
De ces morts qui n’ont pratiquement pas d’âge

De cette horreur qui nous prend au visage.
Je me souviens qu’ailleurs dans le monde                                                             
La situation n’était pas si immonde
Ils regardaient la coupe du monde

Leur attention n’était que pour la balle ronde.
Je me souviens qu’on jouait et on riait
On criait, on pariait
Sans se doutait de ce qui se jouait                                                   

Dans cette Afrique où la vie était bafouée.
Je me souviens de ce pays de malheur
Ce pays jonché de cercueils
Ce pays rongé par la douleur                                                                                            Le Brésil gagne la coupe du monde

Où il n’y avait plus que des cris et des pleurs.
Pendant que dans d’autres pays africains                                                                                    
Dans les pays européens ou américains
La froids et la neige s’évanouissaient

Et les fleurs partout s’épanouissaient.
Pendant qu’un peu partout ailleurs
Avec ce printemps libérateur
On renouait avec la douce chaleur     

Au Rwanda, on disait au revoir à l’avenir meilleur.
Pendant qu’ailleurs dans le monde la nature s’éveillait
Au Rwanda ce sont les démons qui se réveillaient
Malgré ses montagnes et collines en merveille                                                                          Libération de Mandela

Ses rivières étaient devenues rouge vermeil.
Pendant qu’ailleurs dans le monde leur plaisir regorgeait
Au Rwanda c’est l’égorgeur qui égorgeait
C’est le machetteur qui machettait

Ce sont les balles qui sifflotaient.
Pendant qu’ailleurs dans le monde les acacias fleurissaient
Et comme toujours à l’accoutumé
Ils dégageaient leurs odeurs parfumées

Au Rwanda, c’est l’odeur de sang qui prédominait.
Je me souviens et je me souviendrai !
De ces gardiens de paix dans l’indifférence
Qui n’hésitaient pas à afficher leur préférence

Leurs flirts et leurs accointances
Qui parfois frôlait l’arrogance.
Je me souviendrais de ces maisons qui brûlent
Ces victimes qui de douleur, elles hurlent

Ces massacres dans l’ombre
Toutes ces ruines et ces décombres.
Je me souviens et je me souviendrai !
De toutes ces personnes qui ont été jetée

Dans les fosses communes ou dans les toilettes
Des lances et des flèches dans leurs têtes
Ou qui parfois leur traversaient les côtes.
Je me souviendrais de toutes ces personnes tuées

Devant leurs portes ou leurs fenêtres
Déchiquetées comme s’elles n’étaient pas des êtres
Et leurs bourreaux qui en ce moment faisaient la fête.
Ceux qui étaient jetées dans les fosses communes

Tuées dans les églises ou dans les communes                                                                          
Après les avoir dépourvues de leurs fortunes
En pleine journée ou au clair de la lune.
Je me souviendrais de ces ventres béants

Ces regards fixés vers le néant
Ces tueurs parfaitement impavides
Au milieu des corps qui se vident.
Ces nourrissons tétant encore le sein

De leurs mères après leur décès
Tuées avec des gourdins ou avec des lances
Ou d’autres méchancetés à outrance.
Tous ces enfants à qui on a ôté l’enfance

Ceux à qui on a privé d’innocence
Ceux qui actuellement vivent en errance
Ils se promènent avec le silence de leur souffrance.
Je me souviendrais de ces massacres en répétition

Qui n’ont jamais connus de punition
Cette hécatombe sans prémonition
L’innocence des tueurs en présomption.
Je me souviendrai de la perte de ceux qu’on aimait

Au mois d’avril et au mois de mai
Au mois de juin, le tour était joué
Tout était fini, au mois de juillet.
Je sais que les miens sont partis pour de bon

Je sais que je ne les reverrai plus jamais
La rupture est totalement consommée
Mais je maudirai ce printemps à jamais.
Je me souviendrai de ce combat

Cette nouvelle tempête qui s’abat
Et pour couronner tout ce béaba
On le qualifié de faux débat.
Pour nier ce qui s’est passé là-bas

Pour nier ce qui s’est passé là-bas
Durant ce printemps de branlebas
Mais les nôtres ne mourront jamais, tant que nous vivrons ici-bas
Leurs bourreaux n’auront jamais de paix, tant que nous serons encore vivants    

Ils n’auront pas le dernier, il ne faut jamais les acquitter
Il faut toujours continuer à les inquiéter, les hanter
Notre mission est de continuer à lutter, résister, insister, persister
A travers nous, les nôtres continueront toujours à exister

Nous devons nous battre pour la justice et la vérité
Notre réussite sera notre revanche, d’intensité
Faisons de notre succès une vraie priorité
Le plus jamais doit être une vraie réalité

         Ancien Président de l’association Ibuka Mémoire &Justice Belgique

         Président du Réseau International Recherche & Génocide (RESIRG asbl)

         Auteur du recueil de poèmes en Kinyarwanda « Umunsi Izuba rizima  
         hose :  Le jour où le ciel s’est assombrit partout
) », et de plusieurs
        autres poèmes en français.

https://www.rwanda-podium.org

NB: GÉNOCIDE CONTRE LES TUTSI », LA SEULE TERMINOLOGIE SANS AMBIGUÏTÉ En français, elle est portée, à l’écrit, et par le nom et par l’article. Dès lors, l’orthographe correcte doit être « Génocide contre les Batutsi » Selon Alexis Kagame….