Un milliardaire chinois distribue de l’aide à l’Afrique tandis que des policiers tabassent des résidents africains dans les rues de Canton… Qu’est ce qui change dans la relation sino-africaine depuis le début de l’épidémie de coronavirus ? Après la sortie de son livre « Le dragon et l’autruche » en 2006, l’essayiste sénégalais Adama Gaye est devenu l’un des spécialistes de cette relation Chine-Afrique. Dernier livre en date : « Otage d’un État », aux éditions L’Harmattan. En ligne du Caire, Adama Gaye répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que la pandémie du coronavirus va affaiblir ou renforcer l’influence de la Chine en Afrique ?

Adama Gaye : Les deux perspectives sont possibles. D’un côté, évidemment ce qui s’est passé dernièrement, ce sont les Africains qui ont été vus dans des images violentes et virales être malmenés à Guangzhou [Canton], dans le sud de la Chine, par des Chinois ordinaires qui les ont tabassés et les ont presque présentés comme étant les porteurs de ce virus. Ces images ont été reçues par l’ensemble des populations africaines, et aussi par les dirigeants africains, comme des images insultantes qui portent préjudice à une coopération qui semblait être lisse. Cela étant dit, cette relation est une relation forte, longue, assise sur une coopération financière solide, sur une présence massive des opérateurs chinois. Cela fait que la Chine fera tout pour essayer de rattraper l’image négative qui est sortie de cette bastonnade d’Africains.

Y a-t-il un décalage entre Pékin et la province, entre les élites chinoises et le peuple chinois ?

Bien évidemment. Pour ce qui est de l’élite chinoise, elle a choisi comme le dit le président chinois actuel [Xi Jinping] de faire de ce XXIe siècle celui de la renaissance de la Chine. Donc, cela nécessite un engagement de plusieurs régions du monde, y compris celle du continent africain qui est devenu donc un des grands partenaires de la Chine. Par contre, le Chinois lambda, quand on vit en Chine, semble être déconnecté de cette approche. Il y a un racisme continu à ce niveau-là. Il faut qu’un aggiornamento soit engagé et peut-être que cela pourrait se faire à l’occasion du prochain sommet Chine-Afrique qui devrait avoir lieu, si cette crise sanitaire est surmontée, à Dakar l’an prochain.

Depuis le début de cette pandémie, on voit s’aiguiser cette compétition entre la Chine et l’Occident en Afrique. Sur le terrain de l’aide matérielle d’abord, sur la livraison des masques, du matériel médical, sur l’envoi d’experts, de médecins, qui est gagnant : plutôt la Chine ou plutôt l’Occident en Afrique ?

Si on s’arrête à l’image, a priori la Chine a fait des efforts en déployant par exemple l’une de ses figures de proue du capitalisme chinois qui n’est autre que Jack Ma [le milliardaire chinois], qui a proposé à travers le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, de donner à l‘ensemble des pays africains des masques, une aide financière. C’est le pouvoir de séduction que la Chine essaie de déployer pour essayer de conquérir les cœurs et les esprits. Mais, au-delà de ça, le temps des médecins chinois aux pieds nus, à l’aube de la coopération entre la Chine et l’Afrique au début des années 1960, cette ère est un peu révolue.

On peut dire que, dans la coopération, l’Occident a quand même le logiciel de la coopération médicale avec l’Afrique. Ce sont les pays européens en particulier qui ont établi les premiers centres hospitaliers où la recherche fondamentale dans le domaine des maladies infectieuses a pu être menée. C’est le cas de ce qui se passe à Dakar [Centre des maladies infectieuses de l’hôpital Fann, institut Pasteur, etc.] de ce qui s’est passé à Lambaréné [Centre de recherches médicales de Lambaréné (Cermel)-Gabon].Et on pourrait prendre comme exemple emblématique aujourd’hui celui du professeur Raoult [Didier Raoult, fondateur et directeur de l’IHU Méditerranée Infection], qui, à Marseille, a autour de lui beaucoup d’Africains. Il n’y a pas de compétition, il y a complémentarité au plan médical. La Chine n’est pas partie prenante dans l’investissement en matière de santé sur le continent. Par contre, la compétition ne pourra pas être évitée sur le plan économique et sur le plan géopolitique. Là, ça va reprendre de plus belle une fois que la crise du coronavirus aura été surmontée.

Quelque 40% de la dette africaine est due aux Chinois. Sur le terrain économique, qui peut être le gagnant entre la Chine et l’Occident en ces temps de pandémie ?

Le problème qui se pose, c’est que l’endettement souscrit au niveau de la Chine l’a été sur des bases léonines, dans des conditions obscures, parfois qui ont été destructrices de démocratie sur le continent africain. Et engager le débat aujourd’hui sur l’annulation de la dette, c’est absoudre un peu ces dirigeants africains qui ont utilisé la voie chinoise pour eux-mêmes s’enrichir. Cela pose problème, et vous l’avez vu, beaucoup d’Africains sont contre l’annulation [de la dette]. Je fais partie de ceux-là qui pensent qu’il faut créer un compte séquestre et que tout ce qui pourrait être annulé comme dette devrait être mis dans ce compte pour que son utilisation se fasse dans des conditions transparentes. Alors la Chine évidemment voudra faire un effort pour l’annulation des dettes. Elle le fait lors des sommets Chine-Afrique, ou Afrique-Chine si on veut, mais souvent la Chine n’est pas très généreuse en la matière.

Lors de la dernière rencontre du G20, elle fait partie de ceux qui ont accepté un moratoire. Mais je ne pense pas que, compte-tenu des difficultés que la Chine rencontre aujourd’hui, avec le tassement de ses réserves extérieures, avec le tassement de sa croissance économique, aujourd’hui la Chine n’est pas en posture de vouloir jouer les grands seigneurs vis-à-vis du continent africain. Surtout le président chinois sait qu’il lui faut répondre aux attentes d’une population de plus en plus exigeante et qui sait qu’il y a un mandat du ciel, selon la tradition confucéenne, qui veut qu’un dirigeant qui ne donne pas de résultats, peut être contesté par l’opinion publique et par le peuple chinois.

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