Aujourd’hui 5 juin 2020 au Conseil d’Etat, la rapporteuse publique s’est prononcée en faveur du chercheur François Graner, membre de Survie, qui demande depuis 5 ans l’ouverture des archives de François Mitterrand et de ses conseillers avant, pendant et après le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. La décision attendue pourrait d’une part faire jurisprudence pour l’accès des citoyens aux archives gouvernementales, et d’autre part, faire avancer la recherche sur le rôle de la France auprès des génocidaires.

Ce qui pourrait être l’aboutissement d’une longue procédure judiciaire trouve ses origines dans la promesse de François Hollande, datant de 2015, d’ouvrir les archives aux chercheurs avant la fin 2016. Il n’en a rien été. Quant à Emmanuel Macron, il s’est limité à ouvrir les archives à quelques chercheurs choisis par lui  [1]. Après un avis négatif du Conseil constitutionnel en 2017, François Graner avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme [2], qui vient, dans une décision du 29 mai 2020, de renvoyer le dossier devant le Conseil d’Etat et de le mettre devant ses responsabilités.

La rapporteuse publique du Conseil d’Etat, Madame Anne Iljic, souligne que l’intérêt d’informer le public sur le rôle de la France au Rwanda, et d’en débattre, prime sur la protection du secret des décisions des gouvernants. Reconnaissant le rôle de Survie comme étant d’intérêt général, elle confirme que les refus de consultation des archives sont une atteinte à la liberté d’expression protégée par la Cour européenne des droits de l’homme. Contre l’arbitraire des refus opposés à M. Graner, elle affirme que les juges administratifs ont non seulement le droit, mais aussi le devoir, de contrôler précisément les motivations des décisions.

Le Conseil d’État devrait rendre sa décision d’ici trois semaines.

À la sortie de l’audience, le chercheur François Graner commente : « C’est une avancée considérable que la rapporteuse ait pris en compte la totalité de nos arguments. Si ses recommandations sont suivies par le Conseil d’État, ce qui est généralement le cas, le gouvernement aura trois mois pour m’autoriser à consulter les dossiers d’archives de conseillers de Mitterrand, en particulier celles de son conseiller Afrique Bruno Delaye. C’est aussi un grand pas symbolique qui souligne l’importance que les citoyens puissent contrôler les décisions gouvernementales, au moins a posteriori. »

Accéder à ces archives permettra de préciser de quelles informations disposaient les décideurs français à l’époque, sur des sujets comme l’attentat du 6 avril 1994, la préparation de l’opération Turquoise autour du 15 juin 1994, les rescapés tutsis de Bisesero que l’armée française abandonne aux tueurs entre le 27 et le 30 juin 1994, ou la fuite au Zaïre du gouvernement du génocide autour du 17 juillet 1994. Cette jurisprudence sera favorable aux autres demandeurs de consultation d’archives, y compris sur d’autres sujets brûlants [3]. Alors que les travaux de la commission d’historiens nommés par Emmanuel Macron font toujours polémique, une décision favorable du Conseil d’Etat pourrait contribuer à faire avancer le débat sur le rôle de la France au Rwanda.

Publié le 5 juin 2020 – SurvieRwandaFrançois HollandeEmmanuel MacronComplicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda Tweeter Partager

[1] Voir la note d’analyse de Survie, « Commission Duclert : la grande lessive a commencé », 8 avril 2020

[2] Voir le communiqué « Le chercheur François Graner et l’association Survie apportent à la gardienne des archives Mitterrand la clé du « deuxième verrou » », 13 décembre 2017

[3] Le collectif « Secret défense – un enjeu démocratique » regroupe différentes affaires se heurtant au verrouillage des archives et à la raison d’Etat : collectifsecretdefense.fr