La cour d’appel de Paris a confirmé le non-lieu dans l’instruction sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana. Ce dossier empoisonnait les relations franco-rwandaises depuis plus de vingt ans. Par Romain Gras/JA







C’est l’un des chapitres les plus sensibles de la relation franco-rwandaise qui s’est refermé ce 3 juillet devant la cour d’appel de Paris. La justice française a en effet confirmé la clôture de l’instruction par un non-lieu sur l’attentat qui avait causé la mort du président Juvénal Habyarimana, au soir du 6 avril 1994 et allumé l’étincelle du génocide des Tutsi.

Depuis la saisine de la justice française, en août 1997, par la fille de l’une des victimes françaises du crash du Falcon présidentiel, et l’ouverture en mars 1998 d’une information judiciaire confiée au pôle antiterroriste du TGI de Paris, ce dossier n’a cessé d’empoisonner les relations entre les deux pays.

Après de premières fuites publiées dans le quotidien français Le Monde en mars 2004, à quelques jours de la 10e commémoration du génocide, la rupture entre Paris et Kigali est consommée deux ans et demi plus tard. Le 22 novembre 2006, le juge Jean-Louis Bruguière, qui fonde essentiellement son enquête sur les témoignages de cadres du régime génocidaire et d’anciens militaires du FPR se présentant comme parties prenantes à l’attentat, émet neuf mandats d’arrêts à l’encontre de dignitaires rwandais. Parmi eux, James Kabarebe, aujourd’hui conseiller de Paul Kagame après avoir été pendant huit ans son ministre de la Défense.

À Kigali, l’ordonnance du juge Bruguière provoque une vague d’indignation. Car le magistrat français n’accuse pas seulement la rébellion alors dirigée par Paul Kagame d’avoir planifié et commis l’attentat contre l’avion présidentiel, il laisse clairement entendre que le FPR aurait agi de la sorte pour provoquer le génocide des Tutsi, dans le but inavoué de conquérir le pouvoir.

Accalmie

Kigali rompt ses relations diplomatiques avec Paris avant de répliquer, quelques mois plus tard, par la mise en place d’une commission d’enquête sur le rôle de la France dans le génocide. Ses conclusions, rendues en août 2008, sonnent comme une réponse directe à l’enquête du juge Bruguière : treize responsables politiques français, dont Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée au moment des faits, sont mis en cause pour « complicité de génocide ».

Il faudra attendre le départ du magistrat controversé, remplacé en 2007 par Marc Trévidic et Nathalie Poux, et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, la même année, pour constater une accalmie. Sous l’impulsion de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, le nouveau chef de l’État français entame un rapprochement avec le Rwanda qui se traduira par une brève visite d’État à Kigali, en 2010. Dans le même temps, l’information judiciaire repart sur de nouvelles bases.

En 2011, pour la première fois depuis l’ouverture du dossier, les juges français se déplacent au Rwanda, accompagnés par plusieurs experts en balistique, en crashs aériens ou en géométrie. Rendu public début 2012, leur rapport contredit largement les conclusions du juge Bruguière. Selon leur expertise, versée au dossier, les deux missiles sol-air à l’origine de l’attentat auraient été tirés depuis l’enceinte – ou à proximité immédiate – du camp militaire de Kanombe, tenu par l’armée gouvernementale rwandaise. La thèse d’une opération commando du FPR s’en trouve balayée. Celle d’un coup d’État commis par les ultras du Hutu Power contre Juvénal Habyarimana redevient le scénario le plus vraisemblable.

Rouvert sept mois plus tard pour entendre le témoignage à charge de Kayumba Nyamwasa, l’ex-responsable des renseignements militaires rwandais devenu l’un des leaders du Rwanda National Congress (RNC), un mouvement d’opposition armé hostile à Kigali, le dossier mènera à une nouvelle brouille diplomatique entre les deux pays.

Sens du timing

Mais de toutes ces péripéties procédurales, des errements des premières années d’enquête, des témoignages contradictoires de témoins dont certains ont fini par disparaître, les juges ne tireront rien de concluant. Vingt-six ans après les faits, l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana demeure un mystère.

« En l’absence d’éléments matériels indiscutables, les charges pesant sur les mis en examen reposent exclusivement sur des témoignages », écrivaient, en décembre 2018, les juges Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, derniers dépositaires de ce dossier, dans leur ordonnance de non-lieu. Estimant que les témoignages recueillis tout au long de la procédure « sont largement contradictoires et non vérifiables », ils concluaient qu’il n’existait pas de charges suffisantes pour donner suite à l’instruction.

Depuis le début de cette procédure hors normes, la justice française aura eu un sens bien particulier du timing pour annoncer ses décisions. Après des réquisitions de non-lieu rendues publiques le 12 octobre 2018, à la veille de l’élection de la ministre des Affaires étrangères rwandaises Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), et une ordonnance de clôture du dossier communiquée le 24 décembre, au soir de Noël, les magistrats de la cour d’appel ont rendu leur délibéré à la veille du 4 juillet, jour anniversaire de la victoire du FPR sur le camp génocidaire.

De son côté, « le gouvernement rwandais n’a pas l’intention de commenter ce jugement », indique à JA une source officielle.

Nomination prochaine d’un ambassadeur de France

L’abandon de cette instruction épineuse constituait-il le dernier verrou avant la nomination d’un nouvel ambassadeur français à Kigali ? Depuis le départ de Michel Flesch, en 2015, le fauteuil reste désespérément vide. Kigali affirme être disposé à accueillir un représentant français à la faveur du rapprochement amorcé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, mais à mots couverts, le gouvernement rwandais confie avoir posé des conditions à cette normalisation, sans vouloir en dire plus.

Après la visite en 2019, lors de la 25e commémoration du génocide des Tutsi, d’un groupe de députés français, l’ouverture d’une commission d’historiens sur le rôle de la France – dont la composition est controversée – et la multiplication des projets entre l’AFD et le Rwanda, le dossier judiciaire sur l’attentat du 6 avril 1994 apparaît comme la dernière étape de ce dégel.

Interrogé par Jeune Afrique sur les conséquences que pourraient entraîner une réouverture du dossier, Paul Kagame s’interroge : « Qu’espère-t-on découvrir qui n’ait été dit et soldé depuis des années ? Vouloir rouvrir un dossier classé, c’est vouloir créer des problèmes. Et pourquoi en France ? Par qui, et à quel titre ? Donc oui, c’est selon. Si ces choses ne sont pas définitivement éclaircies, nos relations risquent fort d’en pâtir d’une manière ou d’une autre. »