Le président Tshisekedi est rentré de l’Est les mains vides mais chargé des doléances de ses compatriotes

Les temps sont durs pour le président Tshisekedi. Dès son retour à Kinshasa, il a été confronté à une nouvelle crise : les deux chambres, toujours contrôlées par une majorité pro- Kabila, ont refusé d’entériner les trois juges à la Cour constitutionnelle qu’il venait de nommer. De Goma, il venait de rentrer la tête pleine des griefs et des souffrances exprimées par ses compatriotes, mais les mains vides. Même s’il avait réussi, le 7 octobre, à réunir par viséoconférence un mini sommet des chefs d’Etat de la région.
A l’écoute des leaders des diverses communautés de l’Ituri, le président Tshisekedi a constaté que la violence qui ravage le « Grand Nord » n’était pas uniquement imputable aux miliciens islamistes ADF Nalu. Ces derniers, certes, conjuguent certaines de leurs opérations avec le mouvement islamiste international qui se déploie depuis le nord du Mozambique jusqu’au Kenya et en Ouganda, mais des groupes présentés comme ADF (Allied democratic forces) ont aussi des connections locales. Leurs actions expriment la rivalité croissante qui oppose les Nande, commerçants dynamiques et agriculteurs industrieux, aux Hutus, congolais ou d’origine rwandaise, qui lorgnent sur les espaces encore disponibles dans le Nord de la province. Selon Nicalise Ki Bel Oga, un journaliste local, éditeur du journal « les Coulisses », « les conflits fonciers exaspèrent la violence et les diverses communautés créent des « milices communautaires » comme le Codeco. »
« Je promets l’enfer aux tireurs de ficelles » a tonné le chef de l’Etat. Mais depuis Goma le journaliste relève que certains des notables reçus par Tshisekedi sont aussi des « opérateurs de la violence », impliqués dans un « business du sang » lié à l’exploitation des ressources naturelles, l’or, mais aussi le cacao. Face à ces milices qui ont une bonne connaissance du terrain, l’armée congolaise a déjà perdu plus de 2000 hommes et ses effectifs s’avèrent insuffisants : « notre armée, qui devrait aligner 500.000 soldats au vu de la dimension du pays, n’en compte que 150.000, parmi lesquels de nombreux « ex-rebelles » intégrés à la faveur des diverses opérations d’amnistie et dont certains ont gardé des liens avec les milices » relève le journaliste.
Au Sud Kivu, la situation est plus compliquée encore : l’installation d’une commune rurale à Minembwe, au cœur des Haut Plateaux où vivent des Tutsis congolais banyamulenge, a déclenché à travers le pays une tempête de protestations, non dépourvue d’accents xénophobes. Les Tutsis congolais-des pasteurs arrivés à la fin du 19 eme siècle à la suite d’un conflit avec le Mwami du Rwanda- ont été décrits comme des « étrangers », des « envahisseurs » agents du Rwanda et acteurs d’une « balkanisation » sans cesse évoquée.
En fait, la décision de créer à Minembwe une commune distincte remonte à l’année 1998, où le mouvement rebelle pro rwandais RCD Goma avait voulu donner satisfaction aux soldats Banyamulenge qui avaient pris part à la guerre et auxquels plusieurs massacres avaient été imputés. Face au tollé général, le président Tshisekedi a fait marche arrière, annulant la décision de son ministre de la décentralisation Azarias Ruberwa, lui-même ancien dirigeant du RCD Goma.
Ce retrait tactique n’a pas empêché l’opposant Martin Fayulu, ex candidat malheureux à la présidence, d’organiser à Kinshasa une manifestation « patriotique », marquée par des accents anti rwandais et où les pneus de sa jeep ont été dégonflés par la police…Par ailleurs, au Kivu et dans plusieurs villes du pays, la société civile a soutenu le Docteur Mukwege, qui plaide pour une réouverture du désormais fameux « rapport Mapping ». Alors que ce document produit par l’ONU répertorie plus de 600 crimes de guerre commis entre 1993 et 2003 par toutes les parties belligérantes, l’opinion congolaise n’en a retenu que les mises en cause du Rwanda et, plus largement des ex rebelles jadis soutenus par Kigali. Ces officiers sont aujourd’hui intégrés dans l’armée congolaise à la suite d’accords de paix qui, en 2002, avaient été entérinés par la communauté internationale. Aux yeux de Kigali, l’éventuelle résurrection de ce document –très soutenue par certains milieux français soupçonnés d’appartenir à la mouvance négationniste- représente un acte d’hostilité visant à torpiller les relations de bon voisinage entre les présidents Tshisekedi et Kagame…

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