Il est incontestable qu’entre avril et juillet 1994 au Rwanda, les militants hutus ont mené une attaque délibérée, coordonnée et planifiée à l’avance pour éliminer les Batutsi en tant que groupe ethnique.
Les administrations américaines, démocratiques et républicaines, condamnent systématiquement la négation de l’Holocauste et du génocide juif. Il est donc ironique qu’à partir de l’Administration Obama jusqu’à celle de Trump, le Département d’État semble conduire au révisionnisme du génocide contre les Batutsi du Rwanda de 1994.
Par Michael Rubin*
Que le 20ème siècle ait été témoin de nombreux génocides contre les communautés ethniques et religieuses est l’une des marques les plus sombres du siècle. Bien que le génocide ne soit pas né au 20e siècle, la volonté du monde d’affronter et de reconnaître de tels crimes avec l’espoir de faire en sorte qu’ils ne se reproduisent plus jamais différencie ce siècle de ceux qui l’ont précédé.
La réalité selon laquelle Adolf Hitler a tué six millions de Juifs ne fait pas l’objet d’un doute. Aucun débat là-dessus. Les chercheurs et les diplomates ne permettent pas non plus qu’on avance que les Nazis aient également ciblé des non-Juifs—homosexuels, Romanichels, handicapés mentaux et physiques, témoins de Jéhovah et d’ascendance africaine. Ils évitent ainsi qu’un tel débat obscurcisse le fait que, pour les Nazis, le désir d’éradiquer les Juifs partout était la caractéristique déterminante de l’Holocauste.
La même chose vaut pour le génocide arménien.
Le 29 octobre 2019, la Chambre des Représentants des États-Unis a adopté la résolution 296 par une marge de 405 voix contre 11. La Résolution a déclaré que » La politique des États-Unis est de commémorer le Génocide arménien par sa reconnaissance officielle et le devoir de mémoire ». La même résolution recommande de « rejeter les efforts visant à enrôler, engager ou associer le gouvernement des États-Unis à la négation du Génocide arménien ou de tout autre génocide….”
Le fait qu’il ait fallu beaucoup de temps aux États-Unis pour adopter une telle résolution, était dicté à la fois par des groupes d’intérêt juifs qui craignaient de diluer le caractère unique de l’Holocauste, de combattre l’ignorance historique quant à l’intention préméditée des Nazis de supprimer la race juive (…)
La société civile exige une clarté de la position américaine sur le génocide des Tutsi du Rwanda
Le Département d’ État ne semble toutefois pas avoir retenu la leçon en ce qui concerne le Rwanda. En commençant par la Secrétaire d’État Hillary Clinton, mais en continuant par l’administration Trump, la politique des États-Unis a été de refuser de reconnaître le génocide contre les Batutsi de 1994 comme étant de nature anti-Batutsi. Cela est enraciné à la fois dans la logique selon laquelle d’autres individus appartenant à d’autres ethnies sont morts dans les violences au Rwanda et que la promesse d’un décompte plus clair du nombre de morts au cours de ce génocide pourrait renverser la tendance et amener le Rwanda à reconsidérer sa position à ce sujet.
Une telle position est à la fois extralégale et antihistorique.
L’article II de la Convention pour la Prévention du Génocide définit le génocide comme “l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux” en se livrant à des actes tels que “tuer des membres du groupe”, “causer des lésions corporelles ou mentales graves” ou “infliger délibérément au groupe des conditions de vie conçues pour provoquer sa destruction physique en tout ou en partie.”
En ce qui concerne les violences de 1994, il est incontestable que les militants hutus ont mené une attaque délibérée, coordonnée et planifiée à l’avance pour éliminer les Tutsi en tant que groupe. Certes, des Hutus sont également morts dans les violences, mais ces victimes étaient ceux que les extrémistes hutus considéraient comme des obstacles politiques ou ceux qui refusaient de coopérer dans les meurtres. Ces Bahutu étaient honorables, mais ils ne changent pas les objectifs du génocide. Le fait que des non-Juifs (y compris de nombreux Allemands) soient morts dans l’Holocauste et que des non-Arméniens soient morts dans le génocide arménien n’est pas une raison de rejeter la véritable intention de l’un ou de l’autre.
Un amalgame à éviter
De même, reconnaître que les événements de 1994 ont constitué un génocide perpétré contre les Batutsi n’efface pas le fait que certains Batutsi du Front patriotique rwandais aient pu commettre des crimes de guerre. La plupart de ces crimes étaient de nature individuelle et du genre de ce qui se produit dans presque tous les conflits armés plutôt que la politique d’État ou de groupe. Comme J. Peter Pham, ancien U. S. envoyé spécial pour la Région des Grands Lacs, m’a expliqué : » Même l’analyste le plus anti-Paul Kagame – et il y en a un bon nombre, en particulier en Europe – n’a jamais affirmé que le futur Président Rwandais du Front Patriotique Rwandais avait organisé un génocide des Bahutu.”
Les développements ultérieurs dans la région- qu’il s’agisse de la consolidation du pouvoir de Paul Kagame, de la guerre en République Démocratique du Congo ou de la colère d’Hollywood face au procès pour terrorisme de Paul Rusesabagina- ne changent pas ce que les génocidaires hutus ont planifié et exécuté.
Le refus des États-Unis, cependant, de reconnaître le caractère du génocide perpétré contre les Batutsi du Rwanda de 1994 a des implications politiques réelles. Cela renforce l’idée criminelle morale cynique d’égalité des tueries des deux camps. C’est le cas de gens, comme Brian Endless, Directeur du Programme des Etudes Africaines et de la diaspora africaine à l’Université Loyola de Chicago, par exemple, qui affirment en l’absence de toute recherche menée au Rwanda, que plus les Bahutu que les Batutsi sont morts en 1994. Ceci est perçu comme un moyen de saper le capital moral du régime rwandais dirigé par Paul Kagame qui ne cesse de demander une coopération judiciaire de la Communauté internationale pour amener devant la justice les nombreux génocidaires qui se sont exilés en Occident et qui, bien qu’ils sont soupçonnés de crimes de génocide, ont reçu la nationalité des pays d’accueil.
En effet, de tels efforts pour nier le génocide contre les Batutsi malgré les efforts de Paul Kagame pour la reconnaissance internationale de ce génocide seraient analogues à la promotion de la négation de l’Holocauste en raison de l’animosité nourrie envers le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, ou à suggérer que les Arméniens ont tué plus de Turcs en 1915. Cette dernière inversion de la réalité étant une propagande des Officiels turcs qui procède par la frustration politique savamment entretenue envers le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan.
Le refus persistant de Washington de désigner correctement le génocide perpétré contre les Batutsi de Rwanda de 1994 pose problème pour trois raisons :
Premièrement, le manque de clarté morale mine le capital diplomatique des États-Unis dans la région. Deuxièmement, il ouvre les États-Unis à des accusations que sa politique est intrinsèquement raciste car elle minimise délibérément un génocide perpétré principalement contre les Africains. Enfin, elle permet aux extrémistes hutus comme ceux des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) d’éviter le statut de paria que partagent aujourd’hui avec les Néonazis et les Loups Gris anti-Arméniens. Refuser d’aborder le génocide perpétré contre les Batutsi du Rwanda de 1994 avec une clarté morale ne fait qu’encourager les négationnistes et les révisionnistes qui se tourneraient vers la violence dans la poursuite du pouvoir politique.
Les officiels américains craignent-ils peut-être que Paul Kagame ne cherche à obtenir un capital politique à partir de la reconnaissance officielle du génocide perpétré contre les Batutsi du Rwanda de 1994. La vérité historique, cependant, devrait l’emporter sur la politique à court terme. Le président Joe Biden et le secrétaire d’État Antony Blinken ont déclaré qu’ils cherchent à renforcer la moralité de la politique étrangère américaine. Mettre fin au négationnisme et au révisionnisme du génocide contre les Batutsi du Rwanda de 1994 pratiqués par le Bureau des Affaires africaines du Département d’État serait un bon point de départ.
Le Dr Michael Rubin est un chercheur associé à l’American Enterprise Institute. Il s’y spécialise à l’Iran, la Turquie et au Moyen-Orient.
Traduit de l’Anglais par Jovin Ndayishimiye
Redigé par Dr Michael Rubin Le 18 mars 2021