Je vais commencer mon commentaire par le plus évident : le privilège blanc, c’est aussi le fait de s’arroger le droit de prendre une histoire traumatique, de la modifier, de la déformer et de l’exotiser à sa guise dans le but de se faire beaucoup d’argent.  Prenez en plus une plateforme massivement suivie à l’image de Netflix et le tour est joué.

  Quoi de mieux en effet que la souffrance noire si vendeuse, saupoudrée d’une critique à la mode du néocolonialisme quand l’objectif mal masqué est de renforcer ce dernier ? Car le néocolonialisme ce n’est pas uniquement le contrôle de la justice internationale, le contrôle des œuvres d’arts africaines, le contrôle de la monnaie, des terres, des richesses. C’est aussi le contrôle de nos mémoires et de nos histoires.

Tout ça pour dire un grand bravo à Hugo Blick, avec l’absence des personnes concernées : les rwandais, sur l’ensemble de l’équipe de la série Black Earth Rising, ainsi qu’un tournage au Ghana : tu t’es surpassé. 

  Si j’ai l’air d’écrire cette critique sur un ton moqueur, comme de nombreux rwandais et rwandaises j’ai plutôt été profondément blessée par le visionnage de ces quelques heures de révision de l’histoire du génocide contre les tutsi. Cette promotion de la tristement célèbre théorie du double génocide est intolérable. Il n’y a pas eu « des salauds contre d’autres salauds », notre histoire est très précise : il y a des coupables, il y a des collaborations actives, des collaborations passives, il y a des victimes. Rien n’est flou, ni mystérieux.

Alors les réponses à cela, on les connaît d’avance. 25 ans que durent ces balivernes de retournement des responsabilités de la part de ceux que cela arrange : « ce n’est qu’une fiction fallait pas regarder », « oui mais enfin ils ne disent pas que le génocide contre les tutsi n’a pas existé alors il est où le problème ? » « admettez quand même que c’est bien pratique que le Rwanda soit amis avec Israël et les USA et soit en paix alors que la RDC se meurt ».

 D’abord, nous, militants de la mémoire du génocide contre les tutsi, ne sommes pas responsables de votre panafricanisme en carton pour certains et de vos références misérables pour d’autres (quoi que les deux peuvent aller de paire). Les sources et les recherches nous les diffusons largement, et les personnes rescapées font don au monde de leur parole précieuse. Le reste n’est que mauvaise foi et culpabilité mal placée.

Ensuite, rien dans cette série n’est « que fiction » comme le défend l’actrice principale Michaela Coel dans une interview des moins sérieuses de Télérama (Si vous voulez faire croire que vous maîtrisez le sujet, peut-être que vous pouvez éviter de dire par six fois « génocide rwandais »). La série dans son ensemble est traversée par la sémantique négationniste et révisionniste que nous ne connaissons malheureusement que trop bien.

Dans cette série, le génocide contre les tutsi, ses plus d’un millions de morts en trois mois et ses assassinats frénétiques et indicibles dont la plupart furent exécutés les trois premières semaines, ne sont qu’un moyen, assez vite évacué, de parler d’un prétendu deuxième génocide, un génocide commis par les tutsi en RDC. Puis, est sous entendu au fil des épisodes, que les morts n’ont aucune importance : seuls les minerais et le pouvoir compteraient pour l’armée des libérateurs. Les « protagonistes » ne sont que des sauvages sanguinaires, calculateurs et froids.

Ce discours est rôdé. Évidement, à aucun moment le terme « Double génocide » ne sera prononcé, car afin d’éviter toute condamnation la subtilité est la clef. Cette théorie est pourtant le fil conducteur du scénario.

Pour celles et ceux qui n’ont pas vu la série et ne comprennent pas vraiment mon propos, permettez moi d’utiliser un français bien clair : le personnage principal est censé être une jeune femme rescapée du génocide contre les tutsi, elle se rendra compte au fil de son investigation qu’elle est en réalité une rescapée hutu des massacres de l’armée de libération tutsi. Je vais maintenant utiliser un français encore plus clair : ce n’est pas la réalité, et ce n’est pas une fiction acceptable ni excusable.

Force est de constater qu’il s’agit d’une révision qui ne dérange que nous, les concernés, les rwandais. C’est une révision que nombreux applaudissent aveuglément et bruyamment. Je comprends pourquoi le réalisateur ne s’est pas interrogé sur les potentielles retombées de sa chose. Pourquoi être juste, ou précis concernant une histoire de noirs en noirie que personne ou presque ne fait l’effort de comprendre ? 

Comprenez bien, il ne s’agit pas d’une fiction. De la part d’une BBC qui donne des tribunes régulières aux négationnistes, de la part de ceux qui ont promu « Rwanda untold story », c’est de la politique : du soft power.

Je pense qu’il y a une responsabilité morale à laisser passer ce genre de pratiques, pire : à les promouvoir, en plus du fait de continuer à fermer les yeux sur une histoire qui nous concerne toutes et tous : une histoire actuelle.

Une histoire actuelle – et avec la question de la responsabilité de la France il s’agit bien du seul point sur lequel je suis d’accord avec la série – car certains pays, comme la France ET le Royaume Unis, la Belgique, les Pays-Bas et j’en passe, refusent d’agir sur le négationniste. Ces pays abritent également de nombreux génocidaires dont les responsabilités sont établies.

Certains sont prêtres, ils vivent et exercent tranquillement dans nos campagnes, ils ne seront jamais inquiétés. Certains sont les sans papiers les plus tranquilles de France, à l’image de celle qui était considérée comme le diable en personne par le pouvoir français en 1994, la veuve Habyarimana. Certains ont eu le loisir de pratiquer la médecine dix-sept ans durant sur notre territoire avant d’être inquiétés grâce à l’incroyable persévérance des associations.

A l’approche des 25èmes commémorations officielles du génocide perpétré contre les tutsi, je rappelle que nous sommes nombreuses et nombreux à tenter, chacun à notre niveau, de transmettre la mémoire de celles et ceux que nous avons perdu afin qu’ils ne soient pas assassinés une deuxième fois par les procédés négationnistes, puis pour que l’humanité apprenne et lutte activement contre les crimes contre l’humanité. Ce genre de productions annihilent nos efforts, sur tous les plans. Combien de personnes – notamment de jeunes –  vont visionner ces épisodes et en faire leur référence sur l’histoire du Rwanda ? 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

https://medium.com/@gashagaza/the-recently-concluded-bbc-series-black-earth-rising-is-for-lack-of-better-words-a-disturbing-5033597d9443