« Le parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) a la profonde douleur de porter à la connaissance des militants et militantes du PDCI-RDA, du peuple de Côte d’Ivoire et du monde entier, le décès subit de Son Excellence Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, ancien président de la République de Côte d’Ivoire, décès survenu, le mardi, 1er août 2023, à Abidjan ». Ce communiqué laconique signé Cowppli-Bony, doyen d’âge des vice-présidents du PDCI-RDA (et donc nouveau président par intérim du parti en attendant la tenue du Congrès extraordinaire pour désigner le successeur de Bédié) a pris tout le monde de court, car personne ne s’attendait à la mort du sphynx alors que les énergies étaient concentrées sur les élections municipales et régionales du 2 septembre prochain.

J’ai connu le président, Henri Konan Bédié, en des circonstances particulières. Avec l’accord du professeur, Saliou Touré, ministre de l’Enseignement supérieur, Afrique Education décide d’organiser un Colloque intitulé « Retour en Afrique des cadres et diplômés africains », en février 1997, à Abidjan. Grâce au financement de l’Agence de la Francophonie que dirige le Canadien, Jean-Louis Roy, et du ministère français de la Coopération de Jacques Godfrain, je décide d’inviter des personnalités africaines, qui ont une influence sur la bonne marche des affaires dans leur pays. C’est ainsi qu’une trentaine de participants de haut niveau (ministres, anciens ministres, secrétaires généraux de partis politiques au pouvoir et d’opposition, représentants de bailleurs de fonds, directeurs généraux de très grandes entreprises africaines, un ancien secrétaire générale de l’OUA) est conviée. Tous sont logés à l’hôtel Tiama au Plateau et les travaux eux-mêmes se déroulent au Sofitel qui n’est pas loin. Le Colloque se tient sous la haute autorité du président de Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié.

Avant de prendre l’avion pour Abidjan, je demande à faire une interview au ministre, Jacques Godfrain, qui me l’accorde très gentiment afin qu’elle paraisse dans le numéro d’Afrique Education qui sera en circulation pendant le Colloque. En me demandant de prendre place, le ministre me lance cette phrase en guise de boutade : « Alors, vous avez décidé de nous chasser de l’Afrique » ? Dans ma naïveté suprême, je ne mesure pas la portée de son propos. Mais, une fois arrivé à Abidjan où le ministre, Saliou Touré, me confie, pour m’assister, sa collaboratrice proche, en l’occurrence, Danièle Dona Fologo (l’épouse du ministre d’Etat Laurent Dona Fologo et secrétaire général du tout puissant PDCI-RDA), je me rends compte des nombreux pièges qu’il faudra déjouer. Très introduite dans les milieux français de Côte d’Ivoire de part sa nationalité d’origine (une Française diplômée de philosophie de la région de Lille), elle sait ce qui se trame, dans la ville, pour saboter le Colloque. C’est ainsi qu’elle m’annonce que le directeur de l’Agence française de développement en Côte d’Ivoire, diffuse la nouvelle selon laquelle, le Colloque ne va (plus) avoir lieu. Ce qui, bien entendu, est archi-faux puisque j’ai envoyé les billets d’avion (Business) à tous les participants qui ne pouvaient pas se les offrir, eux-mêmes, et payé leur séjour dans un hôtel 4 étoiles (Hôtel Tiama) au Plateau. Le ministre, sa conseillère et moi-même, devons, donc, conclure qu’il s’agit d’une simple opération de sabotage.

Le lendemain, à la fin de notre séance de travail, Danièle Dona Fologo me propose si, par hasard, je ne veux pas rencontrer son époux ? Sans me donner les vraies raisons de cette rencontre. Qui, en Côte d’Ivoire, peut refuser de rencontrer le grand-frère Fologo, aujourd’hui décédé (paix à son âme) qui est un modèle de journalisme pour tous les journalistes africains : il fut les beaux jours de Fraternité Matin (le quotidien gouvernemental) pendant les années roses de la Côte d’Ivoire triomphante sous le président, Félix Houphouët-Boigny.

Rendez-vous est pris, le lendemain, au Cabinet de Laurent Dona Fologo, ministre d’Etat chargé de l’Intégration africaine et secrétaire général du PDCI-RDA (la grande oreille du président Henri Konan Bédié). La porte d’entrée par excellence quand on veut le rencontrer.

Dès que je suis introduit, vers midi, dans son très vaste bureau, dans une vieille bâtisse coloniale du Plateau, il me met à l’aise en me félicitant de l’organisation de ce Colloque. Il ajoute que de mémoire d’Ivoirien, depuis qu’il assiste à la tenue des colloques et conférences à Abidjan, c’est la première fois qu’il remarque la tenue d’un Colloque vraiment intéressant pour l’Afrique. Il me conseille de marquer cet important passage dans la capitale économique ivoirienne, avec le slogan « L’Appel d’Abidjan » qu’on choisit ensemble. Il me suggère, aussi, de le médiatiser à fond, et prend contact pour moi, à cet effet, avec la ministre de la Communication, Danièle Bonie Claverie. Il montre, aussi, au président, l’intérêt de me recevoir, avec quelques participants, au deuxième jour du Colloque, pour rassurer les Occidentaux qui voient notre Colloque d’un mauvais œil. Ce que fait le président, Henri Konan Bédié, en me recevant, à sa résidence, en début de soirée, le jour d’après. En venant, je me suis fait accompagner par des personnalités suivantes : l’ancien secrétaire général de l’OUA, le Nigérien, Ide Oumarou, l’ancien ministre d’Etat du Sénégal, Djibo Ka, le directeur général de la Société camerounaise de raffinage (SONARA), Bernard Eding, le sous-directeur Education Formation Culture du ministère français de la Coopération, François Gauthier, pour ne citer que celles-là.

L’échange, très convivial, dure plus d’une heure en l’absence du grand-frère Fologo qui, volontairement, s’est fait excuser. Seul le ministre d’Etat, Timothée Ahoua Nguetta et son collègue, Saliou Touré, qui coordonne le Colloque, sont présents. Je résume le Colloque au président et lui indique là où nous voulons en venir, à savoir que, avec le soutien des chefs d’Etat africains en collaboration avec la France et les bailleurs de fonds, nous ambitionnons d’établir un fichier de toutes les compétences africaines de par le monde. Dès qu’un pays a besoin d’un profil, il ouvre le fichier et n’a que l’embarras du choix entre ses propres ressortissants partis à l’étranger et d’autres profils africains contenus dans le fichier, qui du reste, devra être remis à jour régulièrement.

Comme je parle au nom de toute la délégation, je demande, humblement, au président si l’idée lui plait, et si tel est le cas, s’il accepte d’être notre porte-parole pour la faire valider lors du prochain Sommet de la Francophonie, à Hanoï, au Vietnam, en novembre 1997. Très spontanément, le président répond par l’affirmative. Très content de cette rencontre, je prends congé du président, avec les autres participants, avant, de me faire cuisiner par les journalistes.

Car à la demande du grand-frère, Fologo, la ministre de la Communication, Danièle Bonie Claverie, n’a pas taillé dans la dentelle : je me retrouve face, au bas mot, d’une trentaine de micros et caméras, au point où moi-même suis quelque peu effrayé à un moment donné par le nombre. Derrière moi, on note la présence du sous-directeur, François Gauthier, qui a la mine un peu fermée à cause certainement des réponses que je donne aux journalistes (je ne m’étais pas préparé à l’exercice), et mon autre grand-frère, patron de la SONARA, Bernard Eding, qui, lui, se tient derrière moi, en signe de soutien et de protection de son petit-frère que je suis.

Sommet de Hanoï en novembre 1997 : Le président Henri Konan Bédié est assis au deuxième rang (rangée de gauche).

Le Colloque connaît un succès éclatant. Le Comité de suivi doit mettre les résolutions de « L’Appel d’Abidjan » en œuvre. Les complications que je n’avais pas relevées dans la petite phrase du ministre, Jacques Godfrain, commencent à se manifester, outre le sabotage raté du directeur de l’Agence de développement en Côte d’Ivoire. Déjà, il faut dire que le secrétaire général de l’Agence de la Francophonie, Jean-Louis Roy, ne s’est plus déplacé pour intervenir au Colloque alors que la tenue de celui-ci l’enthousiasmait beaucoup. Que s’est-il passé entre temps pour qu’il choisisse de rester à Paris ? Aucune raison officielle ne m’est donnée. La réservation de sa suite à l’hôtel Ivoire est annulée, quand son directeur de cabinet, le Sénégalais, Marcel Ndione, m’annonce avec regret qu’il n’allait plus se déplacer.

Alors qu’elle avait été annoncée et confirmée, la participation financière du ministère de la Coopération à la tenue de ce Colloque, est bloquée. Sans explication. Quand je pose la question, on rit avec moi en me demandant d’être patient. C’est le changement de majorité à l’Assemblée nationale (en 1997) et l’arrivée du premier ministre, Lionel Jospin, et de son secrétaire d’Etat à la Coopération, Charles Josselin, qui permet à Afrique Education de se retrouver dans ses comptes. Le ministère paie enfin sa participation. Le magazine avait avancé son propre argent pour couvrir les frais. Je dois préciser que l’Agence de la Francophonie avait joué le jeu, malgré l’absence de son patron, en débloquant sa participation à temps.

En novembre 1997, je me rends au Sommet de la Francophonie à Hanoï, et auquel participe, aussi, le président Henri Konan Bédié, pour suivre notre dossier. Bien qu’en contact avec le ministre de l’Enseignement supérieur de Côte d’Ivoire, le professeur, Saliou Touré, et le conseiller en matière de culture du chef de l’Etat, le professeur, Alassane Salif N’Diaye, je ne parviens pas à rencontrer le président, Henri Konan Bédié. Et lui de son côté, ne fait nullement mention de « L’Appel d’Abidjan », dans son discours, ni ses interventions, pour demander l’inscription de ce fichier dans les programmes de la Francophonie. C’est ainsi que ce projet est mort-né malgré mes efforts pour rentrer en contact avec le président, Bédié, et ce jusqu’au coup d’état qui l’éloigne du pouvoir le 25 décembre 1999. Quelque temps, auparavant, d’ailleurs, je rencontre son nouveau ministre de l’Enseignement supérieur, le professeur, Francis Wodié, (qui vient aussi de décéder, paix à son âme) pour me plaindre de l’abandon de ce projet et voir comment il peut m’aider auprès du chef de l’Etat afin qu’il le remettre au centre de ses préoccupations. Il n’y arrivera pas non plus.

Mais, preuve que l’établissement de ce ficher était un dossier difficile à faire aboutir à cause de la volonté de la France de garder la haute main sur ses pays du champ, j’en parle au patriarche, Ondimba, à Libreville, en 2001. Malgré la (très) grande estime qu’il a à mon endroit, il m’écoute, réligieusement, gentiment, poliment, sans me couper, mais, sans rien dire. Et puis, nous passons à un autre sujet. C’est ainsi que je comprends que je dois clôturer, définitivement, ce dossier.

J’ai, ainsi, la preuve que le président, Henri Konan Bédié, a, finalement, mesuré la difficulté de la tâche. Et sans me le dire, il a abdiqué. La France a fait trop de mal à l’Afrique. Quand on voit les problèmes énormes qu’elle rencontre, aujourd’hui, sur ce continent, on peut dire qu’elle les a cherchés. Un adage ne dit-il pas que « Qui cherche trouve » ?

Voilà mon regret que je ne cesserai de nourrir à l’endroit du président, Henri Konan Bédié, et dont je salue la mémoire. Chaque fois que je penserai à lui, j’aurai immédiatement en tête, « L’Appel d’Abidjan ». Qu’il aille en paix et que le pouvoir divin l’accompagne.

Professeur Paul TEDGA

est docteur de l’Université de Paris 9 Dauphine (1988)

Auteur de sept ouvrages

Fondateur en France de la revue Afrique Education (1993)