Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères de France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, révèle avoir alerté François Mitterrand, alors Président, sur les massacres précédant le génocide des Tutsis en 1994, sans que ce dernier n’y prête attention.
Sous la gouvernance de Mitterrand, la France a fourni un soutien militaire au Rwanda de 1990 à 1994, utilisé pour préparer et exécuter le génocide. Divers documents montrent que, malgré la continuation de ce soutien, comprenant des équipements militaires, le gouvernement de Mitterrand avait été informé que le régime rwandais préparait un plan génocidaire.
Dans une interview accordée à L’Express, Kouchner, co-fondateur de Médecins Sans Frontières (MSF), indique que, dès 1990, alors que les Tutsis étaient massacrés, les autorités françaises considéraient cela comme un affrontement entre les forces rwandaises et le FPR-Inkotanyi.
Il explique : « Au début, personne, personne n’a cru à un génocide. Pourtant, de retour à Paris, j’ai parlé, j’ai fait énormément de télévisions, d’interviews, mais personne n’arrivait à se figurer l’ampleur du massacre ».
Il y avait une vision simpliste de ce qui se passait là-bas, poursuit Kouchner. « Le FPR [dont les attaques à partir de 1990 avaient déclenché la guerre civile au Rwanda, qui s’est conclue officiellement par les accords d’Arusha, en 1993], c’était « les méchants » et le pouvoir légitime de Kigali ne faisait que les combattre. C’était la grille de lecture en France, et notamment dans « le groupe de l’Elysée », les proches du président de l’époque, François Mitterrand. »
Pourtant, affirme Kouchner, j’avais téléphoné deux fois à François Mitterrand à partir du Rwanda en lui disant : « Vous vous trompez complètement. Ici, on marche sur des cadavres. » Il m’avait répondu : « Je vous connais, vous exagérez toujours. » Je suis même revenu en France pour l’accompagner dans un voyage en Afrique du Sud, où je devais parler à Nelson Mandela. J’ai demandé à Mandela de venir au Rwanda, car je pensais que lui seul pouvait arrêter le massacre. Il a refusé, car il venait juste d’être élu en Afrique du Sud. Ensuite, j’ai pu par deux fois parler seul avec le président de la République et lui dire ce que j’avais vu et l’horreur de ce qui se passait.
Kouchner souligne que bien que la France n’ait pas directement tué des Bautsi, elle a joué un rôle majeur dans le génocide en formant les soldats rwandais et les Interahamwe qui l’ont exécuté.
“La France n’était pas en première ligne pour tirer, mais elle était en première ligne car elle avait formé l’armée des génocidaires. Mais en réalité, ce n’était pas seulement l’armée ; c’était toute personne ayant participé au génocide, tuant son voisin et ses enfants.”
Concernant l’Opération Turquoise, présentée sous couvert d’une mission de paix de l’ONU, MINUAR, Kouchner explique que son but n’était pas de sauver les Tutsis massacrés dans les zones de Cyangugu, Kibuye et Gikongoro.
“Il y avait des instructions pour l’Opération Turquoise. Elle n’avait pas pour but de sauver les Tutsis. Elle visait à rétablir la paix mais semblait concentrée sur les Hutus de l’époque. C’était une opération française, dans le cadre d’une mission de paix de l’ONU. Les soldats ont laissé passer les génocidaires, surtout ceux du gouvernement.”
En mai 2021, lors de sa visite à Kigali, le Président français Emmanuel Macron a reconnu que son pays avait soutenu un régime génocidaire et avait ignoré les avertissements internationaux.
Mitterrand a ignoré les messages de Kouchner.
https://fr.igihe.com/Bernard-Kouchner-alerte-Mitterrand-sur-les-massacres-pre-genocide-mais-se.html