Le génocide des Tutsi du Rwanda, d’avril à juillet 1994, exécuté par le Gouvernement Intérimaire des extrémistes hutu fit entre 800 000 et 1 million de morts d’après l’ONU. L’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana est attribué soit aux extrémistes hutu, parce que Habyarimana, président de la dictature hutu, soutenue par la France, venait de signer les accords d’Arusha instituant un partage du pouvoir avec le FPR (Front patriotique rwandais) qui menait une guerre contre le régime en place au Rwanda ; soit aux rebelles du FPR, commandés par Kagame, parce qu’il voulait tout le pouvoir pour lui seul.

Nous publions ci-dessous, sous forme de tribune [1] et avec l’accord de son auteur, un article paru en février 2012 dans Billets d’Afrique, le mensuel de l’association Survie. (Acrimed)

Le 26 janvier 2012, Le Monde a publié une double page intitulée « Rwanda une passion française », sur la controverse à propos de l’implication de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. Les auteurs prétendent proposer une vision neutre. En fait leur présentation est très orientée.

Le thème aussi bien que le discours sont amphigouriques à l’extrême. Il s’agit d’affirmer que, sur ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, deux thèses s’affrontent. Tout l’article consiste à exposer ces deux thèses d’une manière faussement impartiale, prétendant ménager la chèvre et le chou et renvoyer tout le monde dos à dos : un exercice sophistique qui ne fait pas avancer d’un iota la question de la France au Rwanda. On tourne en rond.

Rien que la présentation de la confrontation est significativement asymétrique, puisqu’on la situe « entre deux camps, que l’on pourrait caricaturer sous les traits de « l’anti-France » contre la « France éternelle ». » Qui nomme ceux qui exigent la transparence sur le génocide, « anti-France » ? Qui se nomme soi-même « France éternelle » ? Même traitée de caricature, cette position du problème est bizarrement unilatérale. Il aurait fallu, en bonne symétrie, citer, ou les deux dénominations que se donnent à eux-mêmes les deux camps : la « France de la justice » contre « la France éternelle » par exemple, ou celles qu’elles se donnent l’une à l’autre « L’anti-France contre la France colonialiste ». Ce procédé court tout au long du texte, ainsi on oppose « les contempteurs du rôle de la France » et « les défenseurs de l’armée française ».

Une psychanalyse à la Diafoirus

La nouvelle donne, après la publication en janvier 2012 de l’expertise balistique sur l’attentat du 6 avril 1994 [2], est exposée ainsi : « Les deux « vérités » judiciaires, diamétralement opposées, que la même procédure semble avoir tour à tour établies, reflètent les thèses inconciliables défendues par les deux camps en présence dans le débat public français. » Admirons les guillemets mis à « vérités », à diverses reprises dans le texte, et l’appellation « deux thèses » appliquée à deux démarches très différentes, celle du juge Bruguière, dont le rapport final était marqué par l’idéologie, et celle de Trévidic, qui est allé à la quête des faits. Entre les deux, il semble que le mot « progrès » aurait servi l’objectivité. Quand la formulation se fait un peu plus neutre : « Les anti-Kagame regroupent les tenants d’une France civilisatrice et sans reproche, assiégée par l’impérialisme anglo-saxon, chargée d’une mission particulière en Afrique. Les tenants de la responsabilité de la France dans le génocide rwandais insistent, au contraire, sur la tradition contre-insurrectionnelle de son armée, de l’Indochine au Rwanda en passant par l’Algérie et le Cameroun mais aussi sur la complaisance de ses élites politiques envers le fait colonial ou son avatar contemporain, la Françafrique. » on se garde bien de développer et on se lance dans des considérations parasites sur la Shoah pour finir par se jeter dans un long développement verbeux sur les « motivations », celles d’un seul camp bien sûr. Le journaliste Patrick de Saint-Exupéry [3] et la militante Annie Faure [4] auraient subi un ébranlement émotionnel, seraient victimes du syndrome de « Fabrice à Waterloo » (Ah bon !). On tombe dans la psychanalyse à la Diafoirus : « De cette forme de culpabilité ressentie par les témoins, a pu naître un militantisme thérapeutique à base d’anti-impérialisme et de solidarité avec les victimes » et, plus perfide, « l’atrocité du génocide est telle qu’elle permet de faire passer ses idées sur l’armée, sur la France et l’Afrique, sans risquer d’être critiqué, surtout si l’on prétend se placer du côté des victimes. »

Un manque de courage

Par une bizarre asymétrie dans la symétrie, il n’y a pas d’analyse critique ni psychologique, des « motivations » de « l’autre camp », qui sont exposées comme allant de soi. Leurs noms, simplement énumérés, sont regroupés sous la rubrique « nationalisme », entre guillemets dans le texte, on ne voit pas pourquoi. La plainte posée contre des soldats français par des femmes tutsi violées est qualifiée de « controversée », le livre de Saint-Exupéry L’inavouable l’est de « pamphlet au vitriol », tandis que celui de Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs [5] est inventorié avec sérénité, sans les qualificatifs qu’il mériterait pourtant largement.

Article bien dans la manière retorse des journalistes du Monde sur l’Afrique. S’emparer d’une bonne question : « La France porte-t-elle une part de responsabilité dans le génocide rwandais qui fit 800 000 morts en un mois ? » (lapsus pour trois mois, chercher la motivation), dénigrer sournoisement ceux qui y répondent affirmativement, noyer le poisson, lui laisser cependant pointer le nez en conclusion : La France aurait un « devoir de transparence ». Alors que le bon sens est là pour dire clairement : poser cette question c’est y répondre. Mais il y faudrait un brin de courage.

Odile Tobner

Dossier France Rwanda
Billets d’Afrique n° 210, février 2012

www.acrimed.org/article3814.html

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