« Monsieur le Président, vous avez courageusement – et tardivement – reconnu la responsabilité de la France dans le drame des harkis en 1961, abandonnés à leur sort par la France qu’ils avaient cru servir.
Cinquante-cinq ans après les faits, cela peut sembler bien tard, mais aucun de vos prédécesseurs n’avait eu le courage de le faire avant vous.
Trente-trois ans après ces faits dramatiques, en 1994, la France est intervenue politiquement et militairement au Rwanda dans le dernier génocide du XXe siècle.
Vingt-deux ans après cette intervention, en 2016, nous, citoyens français, nous ne savons toujours pas quel rôle notre pays a “joué” dans ce drame, qui est aussi un crime contre l’humanité… imprescriptible.
Vingt-deux ans après les faits, moi, ancien lieutenant-colonel de l’armée française, je ne sais toujours pas expliquer les contradictions entre la version officielle servie à nos concitoyens d’une opération humanitaire et la réalité des missions militaires que j’ai menées là-bas, qui ressemblent à s’y méprendre à un soutien aux génocidaires.
Alors que nous pouvions stopper les génocidaires, nous n’avons eu de cesse de freiner leurs ennemis. Alors que nous pouvions sauver des rescapés de Bisesero, nous n’avons même pas été sollicités pour leur porter secours. Alors que nous pouvions empêcher de nuire des criminels, nous leur avons permis de s’échapper et nous les avons réarmés dans des camps de réfugiés.
Période propice
Puisque la période semble propice aux déclarations ambitieuses, aurez-vous le courage d’annoncer qu’une commission d’historiens puisse enfin accéder à l’intégralité des archives et témoignages pour éclairer nos concitoyens sur le rôle que la France a réellement joué dans ce drame ?
Aurez-vous l’audace que cette annonce soit suivie d’une réalité et qu’on ne puisse plus opposer aux chercheurs que des documents soient “disponibles mais non consultables” ou que le “confidentiel Défense” protège des décisions inavouables ?
Aurez-vous la force que cette commission ne soit pas présidée par un homme politique pour que son objet principal ne soit pas de couvrir les deux principaux partis politiques qui cohabitaient alors au gouvernement ?
Donnerez-vous la liberté aux Français de juger par eux-mêmes de la pertinence de nos engagements extérieurs, de ces interventions militaires au nom de la France ?
Monsieur le Président, offrez-nous une chance de connaître ce qui s’est passé dans ce drame, sans attendre que ses protagonistes aient disparu. Permettez à notre pays, fier s’il en est, de savoir ce qui a été fait en son nom, de préserver son honneur et d’honorer ainsi la mémoire du million de victimes qui croyaient en la France et que nous n’avons pas su empêcher. »
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Guillaume Ancel est un ancien officier français. Il a servi notamment au Rwanda.
Guillaume Ancel
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