Pendant qu’au siège de la FEB et ensuite au Cercle Gaulois, le président Félix Tshisekedi s’efforce de séduire l’establishment belge et de convaincre les investisseurs potentiels de revenir au Congo, à quelques centaines de mètres d’embouteillages plus loin, c’est une autre scène qui se joue au sein de la diaspora congolaise. Depuis leur fief de Matonge, les opposants les plus radicaux, autoproclamés « combattants » sont désormais divisés. Hier, toutes tendances confondues, ils étaient unis contre Joseph Kabila, qualifié de « Rwandais ». Ils prenaient d’assaut l’ambassade de la RDC, traquaient les dignitaires du régime et rendaient impossibles des concerts des stars de la rumbas, qu’ils accusaient de pactiser avec le pouvoir. Aujourd’hui, il y a les partisans de Félix, tout heureux de voir leur ancien ami endosser son costume de président et qui, pour la circonstance, se présentent volontiers comme chargés de la sécurité ou comme conseillers du nouveau chef d’Etat. Et puis il y a les autres, en tenue militaire « tâche tâche »et casquette portant la flamme rouge du MPR, le parti de Mobutu… Ils défendent Martin Fayulu, l’homme qui n’a pas renoncé à sa victoire électorale, soutiennent Jean-Pierre Bemba, regrettent Mobutu, l’homme qui avait uni tous les « Zaïrois » et dénoncent la « trahison » de Félix, leur ancien compagnon qui a fait alliance avec Kabila, l’ennemi d’hier qui préparerait son retour au pouvoir en 2023……
La mobilisation est générale et sur la place Lumumba, cette languette de trottoir concédée au souvenir, tout le monde se croise, y compris des dizaines d’agents de l’ANR venus de Kinshasa pour dépister les trublions, des agitateurs dépêchés de Paris par l’Apareco d’Honoré N’Ngbanda, l’ancien chef des services spéciaux de Mobutu, des militants de l’UDPS venus d’Allemagne et de Hollande et qui se presseront au meeting prévu au Heysel.
Dans les bistrots de Matonge, tandis que les femmes ferment les salons de coiffure et les ongleries, on discute ferme tandis que la bière circule généreusement… Tous déplorent qu’une femme ait été tabassée et loin, sur le boulevard, une voiture brûlée. Dans le café Riviera, on sert du poisson comme à Kinshasa, sur de larges assiettes décorées de bananes plantain et de patates douces et Maman Alphonsine, Alpha pour les intimes, règne sur sa cuisine.
Aux tables, toute la politique congolaise est passée en revue, l’affaire des 15 millions disparus, les promesses d’enseignement primaire gratuit, la diaspora désormais divisée, où certains sont de plus en plus tentée par le retour au pays, tandis que d’autres assurent qu’à distance ils soutiennent leur famille restée à Kinshasa…Dehors des garçons passent en roulant des mécaniques, bérêt vert sur le crâne et veste provenant sans doute d’un stock américain. Soudain tout s’arrête dans un grand bruit de table renversée et les injures volent à travers la pièce, « traître », « vendu » et autres amabilités en lingala. Les chaises volent aussi, brandies à bout de bras par des garçons excités et elles atterrissent sur le trottoir.
Soudain, un cri puissant jaillit de la cuisine enfumée, Maman Alpha, longue cuillere en main, tablier serré sur sa large poitrine, se jette dans le tumulte et sépare énergiquement combattants, militants et autres forts en gueule. De toutes façons elle crie plus fort qu’eux et sa voix domine le tumulte. Ses injures et ses menaces en lingala font mouche et les garçons reculent vers le trottoir, jusqu’à heurter deux combis de la police d’Ixelles appelés sur les lieux et dont les policiers demandent en ouvrant les portières « qu’est ce qui se passe ici ? » Au moment où ils pénètrent dans le restaurant, maman Alpha peut leur répondre calmement que tout est rentré dans l’ordre, que la discussion se poursuit un peu plus loin…Jusqu’à la prochaine échauffourée