Les accusations portées à Kigali sur le rôle de la France au Rwanda durant le génocide ont été qualifiées

d’ « absolument insupportables » par le ministre français de la Défense Hervé Morin qui, en 1994, était un proche collaborateur de son prédécesseur François Léotard et l’amiral Lanxade les a récusées avec la même vigueur……
Les faits relatés dans le rapport publié à Kigali sont cependant d’une telle gravité et ils sont étayés par une telle quantité de témoignages précis que cette affaire mérite meilleur traitement que le mépris ou le déni. Une analyse indépendante devrait porter sur plusieurs points : outre la matérialité des faits elle devrait examiner le contexte politique dans lequel le réquisitoire a été publié, ainsi que les points d’ombre et les omissions du document.
La décision de publier ce brûlot est avant tout un acte politique, posé par le président Kagame lui-même, après deux décennies de tensions avec la France. Du côté rwandais, on affirme que les efforts de rapprochement, les médiations (menées discrètement par le président du Gabon Omar Bongo ou par des alliés européens) n’ont pas manqué mais sans jamais aboutir, ni à un acte de repentance du côté français, ni à la fin des tentatives visant à déstabiliser le nouveau régime ou à bloquer ses financements internationaux.
Pour Kigali, il est évident que les neuf mandats d’arrêt délivrés par le juge Bruguière contre de hauts dirigeants rwandais relèvent de cette même stratégie offensive. Même si la commission Mucyo avait commencé ses travaux avant la publication des conclusions du juge Bruguière en 2006, la publication du rapport peut être interprétée comme une contre attaque en règle. En outre, Kigali est décidé à prendre la tête d’une contestation qui s’élève en Afrique à l’encontre d’une justice internationale considérée comme étant aux mains des Occidentaux et visant surtout des personnalités africaines.
Par ailleurs, le document vaut autant par ses omissions que par ses assertions. En effet, il n’aborde pas la question du financement des opérations françaises, alors que, n’étant pas toutes officielles, elles devaient être alimentées par des circuits parallèles. Il serait douteux que la Commission, qui a eu accès aux archives de la Banque du Rwanda, ne dispose pas d’indications sur ce sujet, d’autant plus intéressant qu’à l’époque le ministre français du Budget s’appelait Nicolas Sarkozy. Un autre point d’ombre, et non le moindre, demeure l’attentat contre l’avion présidentiel, élément déclencheur des massacres et dont la France attribue la responsabilité au FPR tandis que d’autres incriminent les extrémistes hutus et leurs alliés.
Si le rapport avait pour mission de « cibler » exclusivement la France, il n’empêche que le rôle d’autres Etats aurait mérité d’être évoqué, sinon examiné en profondeur. Certes, les Etats Unis et la Belgique ont fait « acte de repentance », augmenté sensiblement leur effort de coopération et entretiennent de bonnes relations avec le Rwanda mais le faisceau de la vérité ne devrait pas les épargner pour autant. Car enfin, même si les Etats Unis, qui à l’époque étaient traumatisés par la mort de leurs soldats en Somalie, ont joué profil bas, on peut tout de même se demander, à l’instar du colonel Marchal (numéro deux de la mission d’intervention onusienne au Rwanda) « pourquoi, avant le 6 avril 11994, 250 rangers américains avaient été prépositionnés sur l’aéroport voisin de Bujumbura avec des hélicoptères de combat, et pourquoi, à part l’évacuation de leurs ressortissants le 10 avril, ils n’ont pas bougé… ».
Quant au rôle de la Belgique, il mériterait d’être réexaminé, à la lumière de l’implication française. En effet, si, dès 1990, la France renforce sa présence militaire au Rwanda, les Belges, même s’ils ne veulent plus soutenir visiblement un régime très longtemps appuyé par les sociaux chrétiens, ne sont pas absents pour autant: jusqu’au bout ils maintiennent leur coopération militaire et leurs services de renseignement et, par de nombreux canaux, (coopérants, religieux, humanitaires) ils demeurent informés de tout ce qui se trame et se prépare au pays des Mille Collines. En août 1993, le président Habyarimana sera autorisé à participer aux funérailles du roi Baudouin, malgré les rapports alarmants qui se multiplient. En janvier 1994, l’informateur « Jean-Pierre » communique à la Minuar et aux ambassadeurs belge, français et américain la teneur du « projet génocidaire » (les milices, les distributions d’armes, les listes de personnes à tuer…)sans que cette révélation soit suivie d’effet mais en 1992 déjà, les Belges étaient au courant des agissements des Français : le massacre des Bagogwe (un groupe ethnique apparenté aux Tutsis) a été organisé au départ du camp Bigogwe, dans le nord du pays, où se trouvaient des conseillers français, mais aussi des officiers belges responsables du centre de formation! Ces derniers auraient fait rapport à Bruxelles des évènements dont ils furent témoins et qui constituaient déjà des actes de génocide, mais sans entraîner de réaction publique.
De manière générale, on pourrait dire que les griefs du rapport font la part trop belle à la France, car en 1959, c’est avec l’appui des Belges (dont le colonel Logiest) que la « révolution hutue » entreprit de chasser les Tutsis et par la suite, c’est tout de même en Belgique que les fondateurs de la radio des Mille Collines trouvèrent financements, soutiens et qu’ils recrutèrent Ruggiu leur animateur vedette ; c’est en Belgique que furent achetés les uniformes des Interhahamwe et, après 1994, c’est dans l’ancienne métropole que les « génocidaires en cavale » mirent leur famille à l’abri…
Tant les faits inédits révélés par le rapport que les omissions ou les biais du document démontrent l’importance d’une nouvelle enquête, indépendante et neutre, dont l’objectif serait la vérité et non la politique, une enquête qui répondrait enfin au devoir de mémoire que méritent les victimes.

 

Le bog de Colette  Braeckman : posté le 7/8/2008  cathégorie actualité