Les va et vient d’un ballet diplomatique autour de Goma

1.Quel a été le rôle de Louis Michel ?

Le succès du commissaire européen à l’aide humanitaire, qui a eu accès à toutes les parties, est double : à Kinshasa, il a relancé le contact entre le président Kabila et le Premier Ministre Yves Leterme, qui se sont parlé depuis lors. Il a obtenu que les présidents Kabila et Kagame participent à un vaste sommet régional qui aurait lieu à Nairobi, et où serait remis en chantier le pacte de stabilité dans les pays des Grands Lacs.
2. Qu'a obtenu KarelDe guecht très prudemment, le ministre belge qui s’est rendu à Kigali durant le week end a entériné les promesses de rencontres engrangées par Louis Michel et n’est plus revenu sur l’idée d’une force européenne (à laquelle il s’était d’abord opposé avant d’accepter le principe). Un C130 belge amènera cependant du matériel humanitaire appartenant à l’ONG Memisa de Kinshasa à Goma, ce qui suppose une sécurisation de l’aéroport.

2. Pourquoi Bernard Kouchner, a-t-il été accompagné à Kinshasa, Kigali et Goma par son collègue britannique David Milliband ?
Alors que les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda sont rompues, (même si Kouchner a gardé de bons contacts personnels à Kigali) la Grande Bretagne est le principal soutien du Rwanda, (qui veut adhérer au Commonwealth et a remplacé le français par l’anglais dans l’enseignement secondaire) le premier contributeur

d’aide (790 millions de dollars pour cinq ans). Le cabinet de l’ancien Premier Ministre Tony Blair (devenu un ami personnel de Kagame, comme Bill Clinton) a envoyé des conseillers à la présidence rwandaise. Les Britanniques sont aussi en tête des pays contributeurs d’aide au Congo. Leur influence dans la région a cru considérablement, au détriment des Français (en rupture avec Kigali) et des Belges (depuis la brouille entre De Gucht et Kabila).

Que fait l’Union européenne ?
Devant les ministres des affaires étrangères réunis à Marseille, Kouchner et Milliband ont fait rapport : ils préconisent désormais de renforcer la MONUC au lieu d’envoyer une force européenne au Kivu 

oupes françaises à Goma, même sous bannière européenne, était inacceptable et les Allemands y étaient opposés) L’U.E. prépare un sommet sur la crise congolaise, auquel participeraient les présidents Kabila et Kagame. Selon Milliband, l’envoi d’une force militaire européenne n’est cependant pas exclue, afin de «sécuriser » l’aide.
4. Quels sont les

conseils prodigués à Kabila et Kagame ?
De Gucht a remercié le président Kagame pour «son influence modératrice » exercée sur Nkunda, les émissaires européens insistent sur la nécessité d’appliquer les accords de Nairobi, qui prévoient le désarmement et le rapatriement des

combattants hutus des Forces démocratiques pour la défense du Rwanda). Ils soutiennent aussi le programme Amani, adopté après la conférence de Goma de janvier 2008, qui répond aux revendications des Tutsis et prévoit le désarmement de tous les groupes armés. Auprès de Kabila, tous les émissaires européens insistent sur la nécessité d’une négociation politique avec Laurent Nkunda, portant sur la sécurisation des Tutsis congolais, le désarmement des combattants hutus, la normalisation des relations avec le Rwanda, y compris dans le cadre de la communauté économique des pays d

es Grands Lacs (Rwanda, Burundi, Congo). La CEPGL prévoit la coopération en matière d’énergie hydroélectrique (produite par le barrage sur la Ruzizi) et d’exploitation du gaz méthane du lac Kivu (qui a déjà commencé du côté rwandais). Elle préconise aussi la libre circulation entre les trois pays.
4. Quelle est l’attitude des rebelles ?
Ils ont pris le contrôle de Rutshuru, établi leur administration, défié les autorités légales. A l’occasion d’un défilé, Laurent Nkunda a réapparu en public. Opposés, comme Kigali, au déploiement d’une force européenne, les rebelles s’inspirent de l’exemple de l’armée rwandaise qui, en 1996, avait attaqué les camps de réfugiés hutus au Kivu et forcé leur retour au Rwanda : ils dispersent d’autorité les camps situés autour de la ville de Rutshuru. Les Tutsis rentrent chez eux, les autres déplacés fuient en brousse, hors d’atteinte des cameras et de l’aide humanitaire.

5. Que veut Laurent Nkunda ?
Il se présente comme le défenseur des Tutsis congolais, demande le retour des réfugiés vivant dans les pays voisins (accepté par la conférence de Goma à condition que le Haut Commissariat aux réfugiés procède à leur identification) exige le désarmement des FDLR qui combattent souvent aux cotés des forces gouvernementales. Mais cette fois il va plus loin : il veut discuter d’égal à égal avec Kabila, prône le séparatisme, lance un « rassemblement pour l’indépendance du Kivu », et rejette désormais le programme Amani qu’il avait accepté en janvier.

6. Que dit Kinshasa ?

Le président Kabila est prêt à rencontrer Kagame, l’Assemblée nationale, sous la houlette de Vital

Kamerhe a élaboré un « plan de sortie de crise » qui prévoit un « dialogue politique et militaire » avec le mouvement de Nkunda, la normalisation des relations avec le Rwanda et une véritable réforme de l’armée. Le gouvernement, qui vien

t d’être mis sur pied par le Premier Ministre Muzito, refuse de négocier directement avec Nkunda : « le fait de créer un désastre humanitaire ne donne pas de droits spéciaux » a déclaré le nouveau ministre de l’information Lambert Mende.

7. Que font les amis africains de Kinshasa ?
Le chef de l’Etat tanzanien Jakaya Kikwete, président en exercice de l’Union africaine, prévoit un sommet spécial sur la crise congolaise. Au Swaziland, le président Kabila a obtenu le soutien des pays de la «Conférence des Etats d’Afrique australe » dont il est le vice-président et il a fait appel à l’aide de l’Angola et de la Namibie. A Marseille, le ministre de la Défense Hervé Morin a confirmé les contacts entre la France et l’Angola insistant sur «la volonté de la France de voir avec l’Angola comment ce pays pourrait participer à une stabilisation de la zone ». L’imminence d’une intervention angolaise au Kivu explique peut-être le ballet diplomatique européen dans la région.

8. Quelle est la situation à Goma ?
Un cessez le feu vient d’entrer en vigueur et la police congolaise patrouille aux côtés des casques bleus. La MONUC répète son intention «d’interdire à des forces armées rebelles d’entrer dans la ville » mais l’ONU ne dispose que de 6000 hommes à Goma sur un total de 17.000.
La ville se remet difficilement des pillages et tueries qui ont eu lieu dans la nuit du 30 octobre, attribués à des éléments des forces gouvernementales qui avaient échappé à leur commandement (le général Padiri a du ouvrir le feu sur les pillards et c’est la police congolaise qui a repris le contrôle de la situation). La brigade qui avait dévasté Goma a voulu se replier sur Bukavu mais a été stoppée en cours de route par d’autres militaires. L’organisation des droits de l’homme PDH a recensé 18 morts.

9. A qui profite la guerre?

Un correspondant local nous confirme ce qui est devenu un proverbe dans la région: “no Nkunda no job”. Ils sont nombreux à avoir intérêt à ce que le conflit perdure: des officiers gouvernementaux détournent les soldes et se font construire des maisons, des ONG internationales lancent de nouveaux appels de fonds et font appel à des partenaires locaux qui rédigent des projets à tour de bras, les onusiens demandent un renforcement de leur présence, les commerçants qui soutiennent les rebelles tutsis savent qu’ils exporteront tranquillement le coltan pendant quelque temps encore, les Hutus en cavale depuis 1994 et tous ceux qui les ont rejoints savent que malgré toutes les promesses ils poursuivront encore leurs business (extraction et commercialisation des minerais) sans être trop inquiétés, les politiciens poursuivront leur rhétorique…Quant aux Congolais déplacés, battus par les pluies et chassés de leurs champs et de leurs cultures, où seront ils lorsque viendra le moment de voter à nouveau?

Lalibre.be