Le weekend qui vient de s'achever a été riche en évènements diplomatiques dans la région des Grands Lacs africains, ceci pour tenter de trouver une Nième solution à la crise endémique qui secoue l'est du Congo. On y a donc vu défiler tour à tour les envoyés spéciaux et autres représentants du monde occidental dans les capitales congolaise et rwandaise. 

Du côté de l'Oncle Sam, c'est la sous-secrétaire aux Affaires africaines, Jendayi Frazer, qui fut dépêchée sur les lieux par l'administration moribonde de George Bush pour essayer de sauver les meubles. Inutile de dire que l'Amérique sera totalement absente de l'équation pendant la période de transition qui s'annonce à partir de demain. Quant à l'Europe, sa présence sur les lieux fut caractérisée par une belle cacophonie diplomatique : d'une part, on a eu droit au couple Kouchner – Milliband, qui représentait la voix de l'Union européenne, et d'autre part, l'incontournable Noko Louis Michel, qui lui aussi prétendait agir au nom de l'Union européenne, arrivant au secours de Kabila sur un vol privé, affrété sur les fonds de l'aide humanitaire de l'Union européenne (encore la logistique qui bouffe l'argent des affamés…!), sans oublier le déplacement dans la seule capitale rwandaise du ministre des Affaires étrangères belge, Karel de Gucht. Bref, le message européen ne doit pas avoir semblé très cohérent aux Congolais et aux Rwandais. 

La situation est très claire. Karel de Gucht a avoué l'impuissance des Européens vis-à-vis du Rwanda quand il a raconté à des journalistes qu'il a décidé de ne pas tenter d'intervenir auprès du président Kagame, mais qu'il s'est plutôt tourné du côté de Condoleezza Rice qui, elle, a téléphoné directement au président Paul Kagame, afin de lui demander d'utiliser son influence auprès de Laurent Nkunda, pour que ce dernier de stoppe son offensive aux portes de Goma. L'autre illustration de l'impuissance de l'Europe face au "petit Rwanda", est le fait que le ministre des Affaires étrangères françaises, dont le pays préside en ce moment l'Union européenne, a dû se faire accompagner par son collègue britannique lors de ce voyage d'urgence dans la région. Selon nos informations, il semblerait de plus que Kouchner et Milliband auraient produit des évaluations contradictoires de leur mission diplomatique sur les lieux, ainsi que des solutions à envisager. Bref, il y a encore de l'incertitude quant à la réaction de l'Union européenne : renforcer la MONUC ou envoyer une nouvelle mission Artémis (ou Turquoise)?. On comprendra que certains pays européens ont des états d'âme vis-à-vis d'une mission Turquoise bis de la France dans la région. Kigali aussi…

À l'heure actuelle, il est important de faire un premier bilan de la situation de chacun des deux principaux acteurs congolais impliqués dans la crise, en d'autres mots, d'identifier les points forts et les points faibles de chacun d'entre eux. Colette Braeckman fait un portrait en 9 points pédagogiques dans son blog, l'Obsac fait le sien en 6 points, quatre pour le gouvernement et deux concerant le CNDP…

Commençons par la RDC, pour dire ce qui suit :

1— les derniers événements démontrent à souhait que le Congo-Kinshasa ne dispose pas d'une armée digne de ce nom. Il s'agirait plutôt d'une bande de voyous à la gâchette facile, quand il s'agit de civils sans défense, mais "courreurs olympiques" quand il s'agit de fuir des adversaires deux, voire trois fois moins nombreux qu'eux. Depuis le mois d'août de cette année l'exemple le plus éloquent est la prise et l'évacuation après négociations avec la MONUC, et la reprise à répétition, de douzaines de localités dans le Rutshuru et le Masisi, sans compter la prise, l'évacuation et la reprise de la grande base de Rumangabo par les hommes de Nkunda, suivi par la fuite des FARDC sur 50 km jusqu'à Goma et la poursuite de leur fuite, après avoir volé des véhicules civils à Goma, jusqu'à 80 km et plus vers le sud en direction de Bukavu;

2— le gouvernement de Kinshasa devra bien finir par comprendre un jour que le programme Amani (A Money Program) et les accords de Goma, dont il ne cesse de chanter les louanges, appartiennent au passé et ne pourront plus leur être utiles dans les négociations face à face avec le général Nkunda. Encore aujourd'hui le gouvernement refuse de s'engager dans ces négociations directes et pense pouvoir à nouveau noyer le "poisson" dans le salmigondis de milices acquises à sa cause, comme il avait réussi à le faire en janvier dernier à Goma;

3— Kinshasa qui croyait que la MONUC constituait un rempart inexpugnable face à Nkunda, devra maintenant réviser sa copie. La stratégie qui consistait à aiguillonner le CNDP pour ensuite aller se cacher derrière les "jupes" des troupes des Nations Unies ne fonctionne plus;

4— la stratégie d'internationalisation du présent conflit par Kinshasa ne semble pas fonctionner non plus. Le Congo et le Rwanda peuvent bien se parler et négocier les litiges qui existent entre les deux pays, notamment la présence des FDLR au Congo, mais de là à s'imaginer, comme certains le prétendent à Kinshasa, qu'un rétablissement des relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali suffirait à éliminer la rébellion du CNDP, est une totale illusion. Le CNDP, fort de sa supériorité militaire et surtout de la légitimité de ses revendications, est devenu un acteur incontournable dans le paysage politico-militaire du Congo, dont on devra tenir compte. 

Maintenant, en ce qui concerne le CNDP, il y a lieu de souligner qu'il devra se rendre à l'évidence que sa supériorité militaire, si elle a été en mesure de lui assurer la victoire au cours de toutes les batailles récentes, ne sera pas suffisante pour lui permettre de gagner cette guerre. La preuve la plus concrète a été son incapacité à prendre Goma, non pas pour des raisons militaires, mais plutôt celles liées au poids des pressions diplomatiques de ce qu'on appelle la "communauté internationale". Soyons clair, c'est à cause des pressions successives des Américains et des Rwandais sur le CNDP qui ont empêché et empêchent encore la prise de Goma par les forces du général Nkunda. Ce ne sont donc pas, comme on pourrait le penser  les hélicoptères ou les blindés de la MONUC qui ont dissuadé le CNDP de prendre Goma. 

Cependant, en dépit de ces pressions, le CNDP dispose encore de quelques atouts dans son jeu :

1— le fait d'être aux portes de Goma constitue une forte pression, à la fois sur le gouvernement de Kinshasa, la population et la MONUC (donc sur la communauté internationale). Cette pression devrait, tôt ou tard contraindre Kinshasa à engager des négociations directes avec le général Laurent Nkunda Mihigo. À défaut de cela, et surtout à la moindre provocation de la part des FARDC, le CNDP pourrait très bien revenir sur la parole donnée et s'emparer de la ville de Goma (et là, il aurait "sa capitale"…);

2— la stratégie du CNDP de laisser circuler librement l'aide humanitaire dans la zone nouvellement conquise, sans compter la réorganisation administrative de la zone de Rutshuru et le retour des déplacés dans leurs communautés d'origine, permet de contredire complètement la propagande du régime de Kinshasa qui laissait entendre que cette rébellion insécurisait, sinon menaçait, la population du Nord-Kivu. Les gens ont constaté par eux-mêmes qu'ils étaient beaucoup plus en sécurité loin des FARDC, derrière les lignes du CNDP. Entre nous, ce ne fut pas très difficile après quelques nuits blanches à craindre d'être tués, violés ou pillés par la soldatesque congolaise qui se déchaînait à Goma. Si cette stratégie était couronnée de succès, le CNDP aura fait d'une pierre deux coups : il aura regagné la confiance d'une population prise en otage idéologiquement par le gouvernement, et complètement changé son image au niveau international. Ce qui, à terme, pourrait éventuellement justifier la prise de Goma par le CNDP sous prétexte, justement, d'assurer la sécurité d'une population qui est à la merci de soldats gouvernementaux incontrôlables…

Il ne fait donc pas de doute que le mouvement rebelle de Laurent Nkunda a amélioré la donne en sa faveur sur le terrain militaire. Il lui reste maintenant à démontrer qu'il peut faire preuve de la même capacité de manoeuvre sur les terrains politiques et diplomatiques. Du côté de Kinshasa, il faudra vite se rendre à l'évidence que la stratégie d'internationalisation du présent conflit, y compris l'utilisation de la MONUC pour venir à bout du CNDP sur le terrain militaire, a échoué, tout comme l'appel au secours auprès de la France, de l'Angola et de la SADC, sans mentionner ses Nokos Wallons de la Belgique. Il est grand temps pour le régime congolais de regarder la réalité en face : n'en déplaise au porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, d'inévitables négociations directes nous semblent attendre Joseph Kabila. Les députés du Nord-Kivu commencent d'ailleurs à s'impatienter

 

Observatoire de l'Afrique centrale

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