Le Rwanda publie son réquisitoire contre la France

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Les restes des personnes  massacrées dans l'église de Kibeho en 1994 sont conservés au Memorial du génocide situé à Murambi, à deux heures de route de Kigali, la capitale du Rwanda.

AFP/GIANLUIGI GUERCIA

Les restes des personnes massacrées dans l'église de Kibeho en 1994 sont conservés au Mémorial du génocide situé à Murambi, à deux heures de route de Kigali, la capitale du Rwanda.

Non seulement la France de 1994 savait que le génocide des Tutsis se préparait au Rwanda, non seulement elle a aidé et armé ceux qui allaient le commettre, mais elle a "participé à la mise en exécution" d'un massacre qui a coûté la vie à 800 000 personnes. Les 331 pages du rapport rendu public mardi 5 août à Kigali assènent de graves accusations contre les responsables civils et militaires français de cette époque de cohabitation où François Mitterrand avait pour premier ministre Edouard Balladur.

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Le Quai d'Orsay dénonce des "accusations inacceptables"

"Il y a dans ce rapport des accusations inacceptables portées à l'égard de responsables politiques et militaires français", a déclaré mercredi à la presse un porte-parole du ministère des affaires étrangères, Romain Nadal, précisant que le texte n'avait pas été communiqué à la France "pas les voies officielles". "On peut s'interroger sur l'objectivité du mandat confié à cette commission indépendante chargée par les autorités rwandaises de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda", a-t-il poursuivi. Mais "notre détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte", a souligné le porte-parole. Il a notamment rappelé certaines étapes accomplies en vue d'une réconciliation, comme la rencontre entre le président français, Nicolas Sarkozy, et son homologue rwandais, Paul Kagame, à Lisbonne en décembre 2007, et la visite du chef de la diplomatie, Bernard Kouchner, à Kigali, un mois plus tard. "Nous continuons à placer notre relation avec le Rwanda dans cette perspective d'avenir", a-t-il insisté. – (Avec AFP.)

CHRONOLOGIE

1er octobre 1990. A la suite d'une attaque du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé dans le nord du Rwanda, l'armée française intervient (opération Noroît) pour soutenir le président rwandais, Juvénal Habyarimana.

4 août 1993. Un gouvernement de transition est créé à Kigali par les accords d'Arusha, à l'initiative de l'ONU, qui remplace la France au Rwanda.

6 avril 1994. Juvénal Habyarimana est tué dans l'explosion de son avion. Début des tueries. La France intervient (opération Amarylis) pour évacuer les Européens de Kigali.

22 juin. La France lance l'opération Turquoise qui, selon Edouard Balladur, alors premier ministre, a pour but de "mettre un terme aux tueries". Le FPR accuse la France de vouloir sauver le régime rwandais et les auteurs du "génocide".

18 août. Les troupes françaises quittent le Rwanda.

8 novembre. L'ONU crée le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui siège à Arusha (Tanzanie).

15 décembre 1998. Conduite par Paul Quilès, une Mission d'information parlementaire retient "une erreur globale de stratégie" dans le soutien de la France au régime hutu, mais l'exonère de participation au génocide.

2 juillet 2002. Le président Kagamé déclare : "La France devrait se souvenir qu'elle a été directement impliquée."

23 décembre 2005.
A la suite d'une plainte de rescapés, une information judiciaire est lancée à Paris contre la France pour "complicité de génocide".

17 avril 2006. Première réunion de la Commission d'enquête rwandaise sur le rôle de la France.

17 novembre. Le juge Bruguière recommande des poursuites contre M. Kagamé devant le TPIR pour sa participation à l'attentat contre Juvénal Habyarimana. Le 22, il signe neuf mandats d'arrêt contre des dirigeants rwandais.

24 novembre. Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec Paris.

8 décembre 2007. Nicolas Sarkozy rencontre Paul Kagamé et parle d'un "début de normalisation".

Rédigé par sept juristes et historiens choisis par le pouvoir rwandais, présidé par l'ancien ministre de la justice Jean de Dieu Mucyo, le rapport est alourdi de 166 feuillets de témoignages dont la lecture suscite à la fois accablement et gêne.

Accablement, tant s'accumulent les récits de la collaboration des soldats français au tri ethnique de la population, de l'aide apportée aux tueurs, et de leurs exactions, allant des viols aux assassinats. Gêne, tant peuvent être sujets à manipulation des témoignages invérifiables de génocidaires repentis, recueillis par leurs vainqueurs dans un pays traumatisé et autoritaire. L'intitulé officiel de la commission, "chargée de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide", montre la précision de l'objectif assigné et le peu de place laissé aux vérités complexes.

En présentant le rapport devant les caméras de la télévision nationale, le ministre rwandais de la justice, Tharcisse Karugarama, a évoqué la perspective de "poursuites judiciaires" contre "des personnalités pointées du doigt pour leur rôle dans le génocide". Une liste de 33 responsables français – 13 politiques et 20 militaires – a été diffusée. Outre M. Balladur, sont notamment visés Alain Juppé, ministre des affaires étrangères de l'époque, Dominique de Villepin, son directeur de cabinet, François Léotard (défense), Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée, et Jean-Christophe Mitterrand, conseiller à l'Elysée.

Le document dresse un inventaire de toutes les charges que l'actuel régime rwandais du président Paul Kagamé, issu de la victoire militaire des Tutsis de l'extérieur contre les génocidaires, a accumulées contre le pays qui a soutenu militairement ses adversaires hutus et parfois ses bourreaux.

Etayé par de nombreuses notes, le document décrit l'engrenage du soutien français au régime "fondé sur une discrimination ethnique officielle" du président Habyarimana, menacé depuis 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR) regroupant les Tutsis exilés en Ouganda. Le document évoque "une stratégie indirecte de confrontation entre l'armée française au Rwanda et le FPR".

Attribuant au président Mitterrand un "parti pris antitutsi", les auteurs expliquent son engagement croissant par sa volonté d'"endiguer l'influence du monde anglophone [les Tutsis du FPR sont anglophones]" et de montrer aux autres présidents africains amis de la France que Paris ne laisse pas tomber ses alliés.

Concrètement, le rapport Mucyo accuse la France "d'avoir formé les milices interahamwe qui ont été le fer de lance du génocide". Les Français "nous disaient que (…) l'ennemi était le Tutsi", affirme un ancien interahamwe (milice hutue), qui dit avoir été formé par des militaires français. "Les Français (…) ont formé des gens qui ont été utilisés pour tuer", martèle un ancien militaire rwandais auditionné par la commission. Omniprésents, les Français auraient engagé dès 1992 des programmes de "défense civile" alliant "l'apprentissage de différentes méthodes d'assassinat" et "un endoctrinement des miliciens à la haine ethnique". De facto maîtres du service de renseignement, des gendarmes français "ont contribué en toute connaissance de cause au fichage informatisé des suspects politiques et ethniques qui devaient être massacrés durant le génocide", ajoute le document, alléguant la connaissance par Paris du mécanisme d'élimination en préparation et accusant les Français d'avoir ainsi "contribué à la radicalisation ethnique du conflit".

Avant même la perpétration du génocide, les militaires français ont déployé "une importante activité dans le contrôle des cartes d'identité" permettant de trier Hutus et Tutsis aux barrages routiers, selon la commission. Des actes d'intimidation, des disparitions voire des viols consécutifs à ces contrôles sont amplement décrits par des témoins.

Après l'attentat contre le président Habyarimana et le déclenchement du génocide, le 6 avril 1994, ces mécanismes se seraient exacerbés. Le rapport décrit l'ambassade de France, où se sont alors réfugiés les hauts responsables du régime, comme le centre de la résistance des extrémistes hutus. Il dénonce "le soutien accordé par l'ambassadeur Marlaud" au colonel Théoneste Bagosora, considéré comme le cerveau du génocide. En plein massacre, les Français se seraient abstenus de sauver des civils. Un témoignage décrit "une femme enceinte que l'on éventre" devant "deux soldats français qui rigolaient". En outre, les militaires français auraient pratiqué des "évacuations sélectives", séparant des couples mixtes, abandonnant les personnels rwandais de leurs propres institutions.

Inédits, plusieurs témoignages font état de la poursuite de livraisons d'armes françaises – "des dizaines de tonnes" – avant et pendant le génocide et de leur utilisation. Présentée par les Français comme "humanitaire", l'opération "Turquoise" déclenchée fin juin 1994 est analysée sans nuance dans le rapport Mucyo comme la poursuite d'une "guerre de l'ombre" contre les Tutsis "en plein génocide".

Multipliant les témoignages sur des exactions et sur la passivité devant les massacres, le document les présente comme parties prenantes d'une "stratégie" française. A le croire, il en serait ainsi du drame de Bisesero, où les militaires français ont attendu trois jours avant de porter assistance à des victimes du génocide errant dans une forêt.

Contestée, cette vision mécanique d'une complicité française délibérée sur le terrain est appuyée par un déluge de dépositions faisant état de largages par hélicoptère de Tutsis. Certains auraient ainsi été assassinés, d'autres livrés vivants aux génocidaires. Des dizaines de récits de viols complètent ce tableau insupportable. "Les Français, assure un témoin, nous avaient chargés de leur chercher des filles ou des femmes tutsi (…) qui, disaient-ils, ne leur causeraient pas de problèmes".

Alors que l'opération "Turquoise", sous mandat des Nations unies, est censée permettre la protection des victimes, la commission Mucyo y "discerne" rien moins que "la prise en charge du projet génocidaire par les décideurs français".

Livrées quatorze ans après les faits, ces pesantes accusations synthétisent et amplifient des griefs souvent déjà connus. Depuis longtemps déjà, les accusations réciproques lancées devant les tribunaux de chaque pays ou devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda d'Arusha (Tanzanie) alimentent une vive tension diplomatique franco-rwandaise. Les mandats d'arrêt délivrés par le juge Bruguière contre de hauts responsables du régime actuel mis en cause dans l'attentat de 1994 contre l'avion présidentiel qui a déclenché le génocide ont abouti, en 2006, à la rupture des relations diplomatiques par Kigali. Le rapport Mucyo peut d'ailleurs apparaître comme une riposte à ces mises en cause qui entravent la liberté de circuler de plusieurs dignitaires rwandais.

Le document, remis au président Kagamé en novembre 2007, est finalement publié au moment où la justice espagnole met à son tour en cause des responsables rwandais. Kigali menace aujourd'hui explicitement de déclencher une procédure symétrique ciblant des personnalités françaises.

Officiellement, le rapport Mucyo n'avait pas été transmis, mercredi 6 août au matin, aux autorités françaises. Dans les milieux diplomatiques, on estimait ses conclusions "pas très nouvelles et peu convaincantes" et l'on voulait croire que l'initiative de Kigali n'était pas de nature à contrarier le réchauffement des relations bilatérales, net depuis l'élection de Nicolas Sarkozy. Et d'insister sur le fait que les personnalités françaises visées appartiennent toutes "au passé".

Philippe Bernard