GRANDS LACS. Londres se démarque comme le nouvel allié de Kigali.

François Janne d'Othée, de retour de Kigali
Lundi 15 septembre 2008
Le bleu-blanc-rouge est à l'honneur au Rwanda. Non pas les couleurs de la France, traînée dans la boue à longueur d'articles et de discours, mais celles du Front patriotique rwandais (FPR),
le parti au pouvoir, qui s'apprête à rafler la plupart des 80 sièges de députés lors des élections. «Le FPR a mis fin au génocide, il a rapatrié les réfugiés, il veut le développement pour tous», chante-t-on dans les meetings. Des paroles mises en doute par l'opposition: en exil depuis la fin des événements tragiques de 1994, mais fort divisée, elle ne participera donc pas à ce qu'elle appelle une «mascarade» électorale.

  Construire la nation

Ce deuxième scrutin législatif post-génocide commence ce lundi par l'élection directe de 53 députés issus des partis politiques, élus pour cinq ans. Les 4,7 millions d'électeurs voteront pour des listes, non des individus. Mardi, 24 femmes seront élues au scrutin indirect. Mercredi, ce sera l'élection des députés représentant les jeunes, et jeudi, celle du représentant des handicapés. La liste du FPR est la plus imposante (elle regroupe six partis). Deux autres partis en lice, le Parti libéral (PL) et le Parti social-démocrate (PSD) jouent les utilités: «Nous ne sommes pas ici pour nous opposer au président Paul Kagame, mais pour construire la nation, a-t-on entendu lors d'un meeting du PL. Le Rwanda n'a pas besoin d'une opposition à l'européenne».

Cette notion de consensus fera-t-elle avancer la démocratie au Rwanda? Le pouvoir peut, certes, revendiquer de belles avancées: sécurité retrouvée, télécoms en plein boom, création d'un régime d'assurance maladie… Mais sur les collines, la pauvreté reste criante. «Les députés préfèrent écouter le pouvoir plutôt que les habitants», ose un paysan. Le pays n'a pas chassé les démons de l'ethnisme et de l'autoritarisme, et l'accusation d'«idéologie génocidaire» pèse sur tous comme une épée de Damoclès.

La France reste «pestiférée»

Ces élections seront supervisées par 80 observateurs européens. Leur chef de mission est l'eurodéputé britannique et ex-acteur Michael Cashman. Il ne connaît ni l'Afrique ni le français, qui est pourtant la première langue étrangère au Rwanda. Mais il a l'avantage d'être Britannique, alors que Londres est devenu le plus fidèle allié de Kigali. L'ancien premier ministre Tony Blair est le conseiller de Kagame pour la «bonne gouvernance économique». La France, elle, reste pestiférée. Les relations diplomatiques sont rompues depuis 2006, et deux observateurs français attendaient toujours leurs visas. Entre Paris et Kigali, le torchon brûle depuis 1994, la France étant accusée d'avoir soutenu les génocidaires. De son côté, la justice française accuse Kagame et son entourage d'avoir descendu l'avion de son prédécesseur Juvénal Habyarimana, un évènement qui déclencha le génocide.

«Au Rwanda, il ne fait plus bon parler notre langue», témoignent les rares Français encore présents. De fait, plus on s'approche du pouvoir, aux mains des anciens exilés revenus d'Ouganda, plus on parle anglais. Ainsi, le président de la commission électorale, Chrysologue Karangwa, qui connaît très bien le français, insiste pour qu'on lui parle dans la langue de Shakespeare. Le français serait-il trop assimilé à l'ancien régime? Les Rwandais «francophones» s'étonnent: «Pour nous, la langue est un outil. Vos histoires de francophonie ne nous concernent pas», témoigne Aimable, journaliste, qui rappelle que la première langue du pays est le kinyarwanda. Faustin Kagame, conseiller en communication du président (sans lien de parenté), enchaîne: «Paradoxalement, c'est Habyarimana le francophone qui, lors d'une crise nationaliste, avait un temps supprimé le français de l'école primaire. Rien de tel aujourd'hui. On parle de plus en plus anglais, mais dans le même temps, le nombre de locuteurs du français augmente, car davantage d'élèves fréquentent l'école». Bref, «l'avancée de l'anglais, c'est la loi du marché, rien de plus». Et le marché qui compte pour le Rwanda, c'est l'Afrique de l'Est, anglophone.