(Continent Premier 15/09/2008)
La justice française vient de délivrer neuf mandats d’arrêt internationaux contre de hauts dignitaires sénégalais pour leur responsabilité présumée dans le naufrage du Joola qui a fait près de 2 000 morts le 26 septembre 2002. En novembre 2006, le juge français Bruguière avait signé neuf mandats d’arrêt visant Paul Kagamé et neuf de ses proches poursuivis de manière singulière pour leur « participation présumée à l’attentat du 6 avril 1994 » ayant coûté la vie à son prédécesseur Habyarimana.
Cette démarche d’une rare arrogance a été invalidée de manière sèche par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) car « Le procureur du TPIR, ne prend d’instructions de personne au monde. ». Le Gouvernement rwandais était formel : « Sous prétexte de l’indépendance judiciaire, le juge Bruguière, en coopération avec d’autres organes de l’État français, a organisé la négation du génocide et le révisionnisme. » Et Kagamé sans fard : « M. Bruguière est un imposteur, un politicien. Ce n’est pas un juge. Si c’était un juge, il aurait dû soulever la question de l’implication de la France dans le génocide des Tutsis du Rwanda ».
Une implication qui est aujourd’hui établie par la Commission Mucyo. En effet, sur la base d’un travail scientifique et méthodique qui a duré dix huit (18) mois et basé sur l’audition de soixante six (66) individus dont cinquante trois (53) seront entendus publiquement et treize (13) à huit clos sur un échantillon de 698 personnes, la Commission Mucyo* a rendu un rapport de cinq cent (500) pages établissant des faits qui convergent vers une présomption de complicité de la France dans le génocide rwandais de 1994. La Commission a par ailleurs utilisé divers documents écrits (livres, enquêtes, articles de journaux, documents des Nations Unies …). L’originalité du Rapport consiste dans le fait qu’il « montre toute l’étendue et la gravité de l’implication française au Rwanda ».
L’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, ex-directeur de Cabinet d’Alain Juppé alors ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, vingt (20) jours après la publication du travail de la Commission, a déclaré sur les ondes françaises que le Rapport : « ne contient que des contrevérités » en assénant qu’ « il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes. ». Pour lui les autorités rwandaises sous le coup d’une action judiciaire en France veulent tout simplement mettre « le compteur à zéro » et croit-il : « elles jouent avec l’histoire et cela n’est pas conforme à la vérité historique ».
Pourtant on aurait tort de ne pas prendre au sérieux ce Rapport qui met, avec une telle dextérité et précision, officiellement une ancienne grande puissance coloniale face à ses responsabilités.
La France a du mal à assumer son histoire et sa mémoire. Arrogante ou oublieuse, l’amnésie qui la caractérise risque de lui jouer un mauvais tour. La Fille aînée de l’Eglise, l’Hexagone, centre névralgique des Lumières, Terre des Droits de l’Homme, est aussi ce pays où l’Etat s’est montré barbare tout en se voilant d’une extraordinaire hypocrisie. Double face ! Pour rappel, après avoir aboli l’esclavage, la France de Napoléon rétablit la traite négrière. On était alors loin de « l’or de Paris », le Maître venait de souiller les outils et les symboles de la Liberté de la Fraternité et de l’Egalité et c’est le Frère Toussaint Louverture qui prit les armes pour faire triompher les principes des Lumières en libérant Haïti. Vaincue et occupée par Hitler, la France humiliée fait appel aux Nègres et aux Arabes d’Afrique. Ils ont sacrifié leur jeunesse, versé leur sang et défendu au premier rang la France, la mère patrie. On leur promit la Liberté à Brazzaville en janvier 44.
Leurs seules récompenses après avoir tant de sacrifices héroïques, furent les massacres inouïs de Thiaroye (Sénégal), de 45.000 Algériens à Sétif et Guelma en 1945, de Madagascar. Les forces françaises, ont organisé en outre un formidable massacre collectif en pays Bamileke au Cameroun. Sur cette terre d’Afrique, enfants, vieillards et jeunes, dans leur case seront nettoyés au napalm. Bilan : entre trois cents et quatre cents mille morts. Ailleurs, des individus seront assassinés par l’Etat français, Félix Moumié est empoisonné par un faux journaliste franco-suisse et Vrai agent français de la DGSE du nom de William Bechtel à Genève ; son procès sera bâclé et le meurtrier, cet officier sera libéré et le cercueil de Moumié sera profané. Sa femme pleure ! Il y aura l’assassinat d’Olympio au Togo, et tant d’autres encore sans compter les coups d’Etat ici et là pour placer des « amis ». Tout ça est l’œuvre civilisatrice de cette France officielle et de ses « soldats de la plus grande France » comme disait de Gaulle.
Quoi qu’il en soit et comme le dit M. de Villepin : « il y a bien un devoir de mémoire et une exigence de vérité. ». De Villepin défend la France : « Faut-il faire le procès du pays et de son armée qui a pris le risque d’aller au Rwanda pour sauver des milliers de vies ? ». Mais pour le Rwanda, de tous les acteurs étrangers (Belgique, USA, ONU…) qui ont directement ou indirectement permis l’accomplissement du génocide, la France porte la plus grosse responsabilité. En effet, nombre d’études antérieures et le travail de la Commission ont montré que l’ « action française diffère fondamentalement par son ampleur et dans sa nature. ». La France aurait, dans les domaines politique, diplomatique, médiatique, judiciaire et militaire, participé activement au génocide rwandais de 1994. Si la Belgique, les Etats-Unis d’Amérique et les Nations Unies ont reconnu avoir échoué à prévenir le génocide et présenté leurs excuses au Rwanda, la France n’a pas jugé nécessaire de le faire.
En réalité, les Français se rendent compte qu’il leur faut faire face aujourd’hui à une accusation insupportable. Sont-ils seulement en mesure de se défendre ? Certes, les Présidents Sarkozy et Kagamé se sont vus récemment à Lisbonne et le ministre français des Affaires étrangères et européennes Bernard Kouchner a effectué un voyage à Kigali, ce qui laisse supposer un probable réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda. Mais peut-on ou doit-on encore déshonorer les morts ?
D’où l’intérêt de ce Rapport qui doit être lu par les Africains – qu’on a prétendu civiliser – mais aussi par le monde entier. Il s’agit de comprendre comment l’inacceptable est arrivé, d’écrire l’histoire et de faire un vrai travail de mémoire pour que demain un autre Rwanda ne se reproduise plus sur cette terre des Hommes. Cet exercice est aujourd’hui nécessaire car l’on ne peut comprendre que les vies cruellement fauchées, et dans l’indifférence générale, de près d’1 million de personnes soient passées par pertes et profits. Ce n’est que justice que de demander justice pour ce génocide des Tutsi du Rwanda un certain avril 1994 !
L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, auteur d’un roman sur ce génocide (« Murambi, le livre des ossements »), confiera à ContinentPremier : « Au Rwanda, la France a parié cyniquement sur notre habituelle résignation au pire et elle a perdu. C’est aujourd’hui l’un des plus petits pays du continent qui s’attaque, faits à l’appui, à son honneur et à celui de son armée. Et faute de pouvoir répondre, elle se mure dans un silence embarrassé. C’est un tournant. »
Au-delà du Rwanda, c’est toute l’Afrique et les démocrates du monde entier qui devront exiger la vérité sur un demi-siècle de Francafrique.
∑ La Loi organique n° 05/2005 du 14/04 /2005 a créé la Commission en lui donnant un mandat de six mois renouvelables par Arrêté présidentiel. L’article 5 de la Loi définit la mission générale : dégager le rôle qu’a joué l’Etat français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994.
Par El Hadji Gorgui Wade NDOYE, ContinentPremier.Com