Justice / mardi 23 septembre par Francis Christophe
 
Le journaliste Pierre Péan comparaît à partir de ce mardi devant La 17ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour incitation à la haine raciale suite à la parution, en 2005, de son livre « Noires fureurs, blancs menteurs » sur le génocide au Rwanda. Décryptage.

Pierre Péan et son éditeur Fayard s'apprêtent à passer trois jours (du 23 au 25 octobre) devant La 17 ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour incitation à la haine raciale. En cause : le contenu du livre du journaliste « Noires fureurs, blancs menteurs », paru en novembre 2005. Pierre Péan est renvoyé devant le tribunal pour « complicité de diffamation raciale », dans treize passages de l'ouvrage et « complicité de provocation à la discrimination, à la violence et à la haine raciale à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une ethnie, en l'espèce les Tutsis », dans douze autres passages, selon l'ordonnance de renvoi en date du 3 décembre 2007.

Pour Dominique Sopo, président de SOS Racisme, l'une des parties civiles, le livre « reprend de fait des présupposés de l'idéologie génocidaire qui a conduit au drame des Tutsis ». Dans son ouvrage, l'auteur, défenseur acharné du rôle de l'armée française au Rwanda, n'avait pas hésité à reprendre à son compte des écrits controversés datant de la colonisation belge, accusant la minorité tutsie de recourir systématiquement au « mensonge et à la dissimulation ». Les femmes tutsies y sont également traitées avec bien peu d'égards : selon Péan, elles useraient de leurs charmes pour faire prévaloir leur cause…

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Et Péan sur le bec !
© Baroug

Pour sa défense, le journaliste fait notamment citer deux anciens ministres – Hubert Védrine et Bernard Debré – qui ont toujours défendu tout ce qu'a fait la France au Rwanda. Reste à savoir s'ils trouveront le temps de venir soutenir en public l'auteur… L'autre partie civile, une association de victimes rwandaises du génocide, fait venir des témoins du Rwanda. Jusqu'en début de semaine dernière, leurs demandes de visas, déposées à l'ambassade de Belgique à Kigali (les relations diplomatiques avec la France sont rompues depuis 18 mois) étaient restées sans réponse. Finalement, les visas ont été délivrés. Les débats de la XVIIème chambre pourront donc se tenir.

Hutu Power

Péan soutient dans son livre une thèse sur le drame rwandais proche de celle des tenants du Hutu power, dont les chefs sont jugés par le tribunal pénal international d'Arusha pour crime de génocide. Pour ceux-ci, le meurtre des Tutsi était un réflexe d'auto-défense face à l'agression des troupes FPR Tutsies du général Kagamé, envahissant le Rwanda en provenance de l'Ouganda. L'attentat contre l'avion du président Habyarimana, le soir du 6 avril 1994, immédiatement attribué, sans la moindre enquête, aux partisans de Kagamé, fut le déclencheur des massacres. La composante Tutsi de la population rwandaise, femmes, enfants, vieillards compris étant perçue –et traitée- comme une 5ème colonne, à éliminer, « comme des cafards ».

Cette vision du péril Tutsi, « ethnie minoritaire mais dominatrice » est partagée par nombre de responsables politiques et militaires français de l'ère Mitterrand, qui dès 1990, n'ont pas mégoté leur appui politique et militaire à ceux qui s'opposaient à ce qu'ils n'hésitaient pas à nommer les « khmers noirs », une version africaine des tristement célèbres Khmers rouges, coupables de génocide au Cambodge. Pour eux, Kagamé est une sorte de Pol Pot. qu'il convient de contrer par tous les moyens.

Le sort tragique des Hutus ayant fui dans l'est du Zaïre (l'actuelle République Démocratique du Congo) l'avance du FPR au Rwanda à l'été 1994 et morts par centaines de milliers valant confirmation de leur représentation de Kagamé. Cet exode, où étaient inextricablement mêlés les restes de l'armée rwandaise défaite par le FPR à d'innombrables civils se déroula en effet dans de terribles conditions sanitaires et alimentaires. Les velléités de reconquête du Rwanda proclamée par les chefs du régime déchu ne contribua évidemment pas au bien-être des réfugiés.

L'ami Bruguière

De là naquit la théorie du « double génocide », citée notamment par Dominique de Villepin. Les Tutsi avaient été massacrés au Rwanda par le gouvernement intérimaire, successeur direct d'Habyarimana, et les Hutus victimes des vainqueurs, le régime Kagamé… Un peu léger de mettre sur un pied d'égalité des gens qui n'ont pas fait la même chose. Les uns tuant tout ce qui était considéré comme Tutsi, ou les soutenant, les autres pourchassant des génocidaires affichant leur volonté de « finir le travail ». Le Rwanda actuel est toujours majoritairement peuplé de Hutus, mais la prétendue appartenance ethnique ne figure plus sur les cartes d'identité.

Sur le déclenchement du génocide, qu'il attribue à Kagamé, organisateur, selon lui du tir de missiles contre l'avion d'Habyarimana, Péan dispose d'un allié connu : le juge Bruguiere. L'ordonnance du magistrat et les écrits de Péan sont si semblables qu'on est en droit de s'interroger sur leur degré de collaboration. Pourtant, cette construction n'a nullement convaincu nombre de spécialistes. Une haute instance indépendante française, la Commission de Recours des Réfugiés n'a d'ailleurs pas hésité à la mettre publiquement en doute. Lors de l'audience publique statuant, en 2007, sur le recours d'Agathe Habyarimana, la veuve du président tué dans cet attentat, le rapporteur a considéré que la version Bruguière-Péan était une théorie parmi d'autres, « étayée par des témoignages peu crédibles ». Selon le rapporteur, il était au moins aussi vraisemblable d'attribuer l'attentat à des extrémistes hutus (proches de Mme Agathe) fort mécontents de la tournure des évènements, c'est à dire l'acceptation par le président Habyarimana des accords d'Arusha, prévoyant un partage du pouvoir avec le FPR de M. Kagamé. Ceux-ci disposant de missiles et de l'accès à l'emplacement de tir… Ce qui n'est nullement démontré pour les gens de Kagamé.

source: bakchich.info

Par Françis Christophe