(La Libre 30/10/2008)

Le ministre belge des Affaires étrangères se rend à Kigali pour voir Paul Kagame. Il demande l’envoi d’une force militaire européenne au Kivu. Avec des troupes belges.
entretien

Karel De Gucht livre son analyse de la situation dans l’Est de la Répubique démocratique du Congo.

Que peut faire la Belgique pour éviter l'embrasement général dans l'Est de la RDC ?

J’ai l’intention d’aller voir le président rwandais Paul Kagame. Je pars à Kigali d’ici la fin de la semaine pour discuter de la situation dans l’Est du Congo. Le seul qui peut stopper Nkunda, c’est Kagame.

Vous voulez dire que seul Kagame a la puissance militaire pour arrêter Laurent Nkunda ?

Non ! Je pense que Kagame a suffisamment d’emprise et d’influence sur les protagonistes de la crise pour les calmer. Et leur demander de cesser les hostilités.

Pour bien comprendre : il y a une crise au Congo, mais vous vous rendez au Rwanda ?

J’ai eu, mardi, le nouveau ministre congolais des Affaires étrangères au téléphone. Je sais qu’il a immédiatement informé le Président de la République. Nous avons des contacts avec Kinhasa et la RDC ne s’oppose pas à ce que je rencontre Kagame.

Est-ce que les Rwandais sont impliqués dans les troubles sur le territoire congolais ?

Des Congolais font passer des messages en ce sens, mais nous n’avons absolument aucune preuve de cela. Et la Monuc non plus. Nous ne pensons pas que les Rwandais soient impliqués. Maintenant, il est indéniable que Kagame a une emprise sur Laurent Nkunda. Condi Rice et Javier Solana m’ont promis d’intervenir auprès de Kagame. Voilà pour le volet diplomatique.

Cette crise illustre-t-elle l'inefficacité de l'armée congolaise ?

Le commandement de la Monuc a présenté sa démission et a indiqué que l’armée congolaise était inexistante. On a un vrai problème militaire, puisque la Monuc est censée aider une armée congolaise défaillante Je le dis depuis des années. Je pense donc qu’une action militaire européenne a du sens. Elle doit être calibrée et ne doit pas se substituer à la Monuc. L’action militaire doit être ciblée et de courte durée afin de remettre de l’ordre dans cette région entre Goma et Rutshuru. Il faut ouvrir des corridors humanitaires et faire respecter un cessez-le-feu. Je pense que c’est possible si les Européens se mettent d’accord entre eux.

Combien d'hommes faudra-t-il pour cette mission ?

Deux à trois mille soldats bien équipés. Ce n’est pas une action qu’on peut monter d’un jour à l’autre. Il faut d’abord voir quels sont les pays européens prêts à participer. Et tout le monde, dont la Belgique, est déjà engagé ailleurs. Déployer une mission pareille dans un tel désert logistique, ce n’est pas évident. A Goma, il n’y a même pas de piste d’atterrissage pour les Antonov. On devra transiter par le Burundi et le Rwanda. Reste qu’une telle opération militaire n’a de sens que si elle est suivie d’un accord politique.

Plaidez-vous pour que la Belgique s'engage militairement au sein de cette force européenne ?

Je ne suis pas un expert militaire, et je ne suis pas responsable de l’armée belge. On est en Afghanistan, au Liban, au Kosovo et au Tchad. Mais, de deux choses l’une, si nous sommes convaincus qu’il faut une action militaire européenne et que nous nous faisons l’avocat de cette opération, on ne peut pas dire qu’on ne participera pas ! Ce n’est pas sérieux : je ne peux pas appeler tous mes collègues et leur demander d’aller au Congo, et puis leur dire que nous n’y allons pas parce que c’est une ancienne colonie et qu’on a le rapport de la commission Rwanda, etc. Alors il faut chercher d’autres avocats pour cette action militaire. C’est une décision politique que le gouvernement belge doit prendre.

Quels autres Etats membres européens imaginez-vous prendre part à cette opération aux côtés de la Belgique ?

J’ai contacté plusieurs collègues européens : ils attendent encore pour prendre position officiellement. J’en suis à sonder leur volonté, mais je n’ai pas reçu de réponse négative. Il faut une colonne vertébrale de quelques pays qui prennent le leadership, et d’autres pays européens qui viennent ensuite les rejoindre. Il faudra plusieurs pays pour cette opération car il faudra sortir des casernes, être bien équipé. Il faut des moyens de transport modernes, de la logistique: c’est d’une grosse opération que nous parlons. Mais si l’Europe est sérieuse avec le rôle politique qu’elle veut jouer, c’est ce genre d’action qu’elle doit être capable de mener.

Le Kivu est une des régions où il y a le plus de Casques bleus au monde. Et on constate aujourd'hui leur impuissance…

Oui. Mais je me garde bien de critiquer ceux qui sont surplace. L’Europe s’est risquée deux fois surplace – avec Artemis et avec l’Eufor. Ici, la Monuc doit travailler avec une armée congolaise défaillante : ce n’est pas évident. Cela dit, je ne pense pas que la Monuc puisse lâcher l’aéroport de Goma. C’est crucial.
martin buxant et vincent rocour

Mis en ligne le 30/10/2008

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