Publié le : 30-09-2008
Article paru le 29 septembre 2008
Racisme . Le procès du livre du journaliste « pour incitation à la discrimination » contre les Tutsi du Rwanda paraît bien loin de tourner en sa faveur. Jugement en délibéré.
À la fin de la semaine dernière s’est tenu devant le tribunal correctionnel de Paris le procès faisant suite à la plainte « pour diffamation raciale et incitation à la discrimination raciale » déposée en octobre 2006 par SOS Racisme – en liaison avec Ibuka (Souviens-toi, association fondée par des rescapés du génocide rwandais de 1994) – à l’encontre du livre de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs.
Lancé à grands sons de trompe, fin 2005, cet ouvrage se voulait le point d’orgue dans la campagne négationniste relancée par Paris après que Kigali eut annoncé la création d’une commission d’enquête sur les agissements des militaires français de l’opération Turquoise (juin-juillet 1994). Pour faire contre-feu, tous les arguments furent et restent de mise. Y compris ceux issus du vieux langage sur l’inégalité des races au temps de la colonisation triomphante, de Gobineau à Jules Ferry. En témoignent les quelques citations sélectionnées dans la plainte.
Vous y apprenez que la « culture du mensonge et de la dissimulation » caractérise les Tutsi, faisant de « cette race l’une des plus menteuses qui soit sous le soleil ». Changez le mot Tutsi par le terme juif et vous reconnaîtrez facilement le style de la littérature antisémite diffusée avant-guerre comme sous Pétain par l’extrême droite française. Quitte, au passage, à reprendre la propagande « ethniste » véhiculée par les pires organes du Hutu Power, idéologie qui faisait florès début des années quatre-vingt-dix sous le régime Habyarimana.
Le plus célèbre, Kangura, définissait les femmes tutsi comme des prostituées espionnes de vocation et multipliait les dessins obscènes montrant le général des Casques bleus, Roméo Dallaire, en compagnie d’un nombre variable de ces dernières. Pierre Péan ne recule pas devant le procédé, assurant à son tour que l’officier canadien n’était pas insensible à leurs charmes, ce qui lui permet le rejet en bloc d’un témoignage pourtant de première main…
« Cette plainte revêt pour nous une portée symbolique importante, déclarait en octobre 2006 le président d’Ibuka, François Ngarambe. Nous savons à quel point l’idéologie peut tuer et disons que le racisme ayant inspiré le livre de Péan est celui-là même qui a conduit au génocide. » Comme dans le cas de la Shoah ou des Tsiganes exterminés par le nazisme et son relais pétainiste, la négation du génocide des Tutsi « est un moment du génocide lui-même ».
« J’ai perdu toute ma famille, comme résultat de fantasmes pareils », témoigne Esther Mujawayo devant le tribunal. Si tous les Tutsi sont des menteurs, « cela veut dire que je suis là occupée à vous mentir », ajoute-t-elle, contestant au prévenu le « droit de juger un peuple ». Péan « joue avec des mots qui tuent. Et les mots nous ont déjà tués assez ». Tout un chacun peut écrire sur tout sujet qu’il souhaite, conclut la procureure, Anne de Fontette, mais « on ne peut pas dire n’importe quoi n’importe comment »… Jugement mis en délibéré.
Jean Chatain