La Lettre de La Nuit rwandaise

 

Novembre 2008

 
 

Naissance de La Lettre d’information de La Nuit rwandaise.

Premier numéro – novembre 2008.

Tout le monde est invité à alimenter cette lettre d’information, qui plus que la revue annuelle, a vocation à coller à l’actualité.

 

La Nuit rwandaise, revue annuelle consacrée à l’implication française dans le dernier génocide du XXème siècle, prépare son numéro 3, pour le quinzième anniversaire du génocide des tutsis du Rwanda, le 7 avril 2009.

 

Cette année encore, et plus que jamais, les débats autour des responsabilités françaises au Rwanda auront fait rage.

Tout d’abord, saluons la publication l’été dernier du rapport Mucyo, résultat d’un important travail réalisé au Rwanda sur les responsabilités françaises.

A l’automne, nous aurons assisté à trois jours de procès, à Paris, pour discuter de l’ouvrage de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs. Poursuivi par Sos racisme pour avoir extensivement disserté sur la « culture du mensonge » des Tutsi, celui-ci sera finalement relaxé par le Tribunal qui « a estimé que la formulation « culture du mensonge et de la dissimulation » aussi brutale qu’elle puisse apparaître, spécialement pour les victimes d’un génocide » n’était pas condamnable. Pour les juges « si l’auteur attribue particulièrement aux Tutsi ce particularisme culturel, il le prête également aux Hutu et plus généralement aux Rwandais » et il n’y aurait donc là rien de critiquable… [page 2]

Simultanément, Hubert Védrine poursuivait pour « happy slapping » le collectif Génocide made in France, sans oser toutefois l’accuser de diffamation… [page 4]

Par contre, la judiciarisation de la question rwandaise est en bonne voie avec la plainte déposée par dix militaires français nommément désignés comme responsables dans le rapport Mucyo. [page 2 et 3]

C’est dans ce contexte que nous préparons la troisième livraison de La Nuit rwandaise, avec vocation de faire le point sur l’ensemble de ces débats, et, comme chaque année, l’état des connaissances sur les responsabilités connues de l’armée et du gouvernement français, ainsi que du Vatican. Egalement prévue pour le quinzième anniversaire du génocide, la publication de la somme de Jacques Morel sur l’implication française, Au secours des assassins. [Lire page 4]

De même, nous entendons republier dans les mois qui viennent le premier livre de Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’Etat. [Lire page 4]

Afin de mener à bien ce travail, nous appelons l’ensemble des chercheurs sur ces difficiles questions à apporter leurs contributions, tout comme nous demandons à tous d’apporter leur soutien, non seulement moral mais financier, pour permettre à ces publications de voir le jour dans les meilleures conditions.

Plus que jamais, la vérité est un combat.

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Le grand retour de Léotard

« (…) c’est le mot faute qui convient. Et s’il y a faute, il doit y avoir sanction ».

En septembre 2008, François Léotard écrivait dans Tribune juive, dénonçant la « thèse honteuse selon laquelle l’armée française aurait été, dans les années 1990, une force « génocidaire » ».

« Ceux des Français qui la soutiennent, faux témoins providentiels, ne font que reprendre mot à mot, sans la précaution habituelle du conditionnel, la démarche rwandaise qui tend à faire oublier l’écrasante responsabilité des dirigeants actuels de Kigali dans le déclenchement des massacres. »

Quinze ans après le génocide, l’ancien ministre de la Défense aurait peut-être mieux fait de mieux peser ses mots. La « précaution habituelle du conditionnel » ne s’applique pas en toutes circonstances. « Faux témoins providentiels » ? Nombreux sont les chercheurs, les citoyens, qui auront mis en cause l’action criminelle de l’armée française, et ce, dès 1994, ou même dès 1993, si l’on se souvient de l’intervention de Jean Carbonare au journal télévisé de France 2 du 24 janvier de cette année-là, suppliant la France de ne pas s’engager plus avant dans le soutien de l’action génocidaire. « Notre pays qui supporte militairement et diplomatiquement ce système [génocidaire] a une responsabilité. » « Nous sommes responsables. » « On peut changer cette situation ». « On peut faire quelque chose, il faut qu’on fasse quelque chose », disait alors Carbonare.

Quant à « l’écrasante responsabilité des dirigeants actuels de Kigali dans le déclenchement des massacres », ceux qui prétendent aujourd’hui défendre l’honneur – et l’innocence – de l’armée française feraient bien d’y réfléchir à deux fois avant de recourir aussi indécemment à cet unique argument. Le FPR serait-il responsable de l’attentat contre Juvénal Habyarimana – ainsi que l’aura prétendu de façon fort peu convaincante le juge Bruguière –, cela n’enlèverait rien aux responsabilités de l’armée et du gouvernement français dans leur soutien inconditionnel au gouvernement intérimaire qui a exécuté le génocide des Tutsi.

Saluons toutefois le fait que « comme ministre d’État, ministre de la Défense », François Léotard « assume entièrement les responsabilités » qui ont été alors les siennes. « Que l’on n’aille pas chercher sur les épaules de tel ou tel militaire des fautes que l’autorité politique a le devoir – si elles existent – de prendre à son compte », dit l’ancien ministre. On peut être d’accord avec lui sur ce point : les responsabilités politiques sont premières. Il n’empêche que la question de l’obéissance aveugle à des instructions criminelles reste discutable. S’il est juste de respecter la hiérarchie des responsabilités, sortir d’une culture de l’impunité impose également d’examiner toutes les responsabilités, aux divers niveaux.

Ainsi le soldat éventuellement responsable de viols ou d’assassinats ne saurait-il se prémunir de toutes poursuites en invoquant les responsabilités, certes premières, de François Mitterrand. De même, Léotard a raison de faire état de ses responsabilités personnelles – qui restent à établir – et ne pourrait d’aucune façon se réfugier derrière le fait qu’il obéissait aux intentions du Président de la République et du premier ministre, Edouard Balladur.

Nous serons également d’accord avec le ministre de la Défense du temps du génocide lorsqu’il dit qu’il « n’aime pas le mot « bavure ». » « Il laisse entendre » qu’il puisse s’agir d’« une maladresse ». « Non. C’est le mot faute qui convient. Et s’il y a faute, il doit y avoir sanction. » C’est également notre point de vue.

Il n’est pas sûr toutefois que l’ancien ministre soit réellement sur le chemin d’une quelconque reconnaissance des « fautes » commises lorsqu’il s’indigne à l’idée que « des excuses » puissent être formulées « pour des fautes qui n’ont pas été commises »

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Les militaires de Turquoise « font confiance à la justice française » …

Le général Lafourcade, qui en 1994 aura commandé l’opération Turquoise, préside aujourd’hui l’association France-Turquoise, et a pris la tête des officiers qui portent plainte pour diffamation contre le rapport Mucyo :

« Les accusations portées sont indignes et inacceptables. Elles visent des hommes qui ont mis fin au génocide, sauvé des milliers de vies et permis d’éviter une catastrophe humanitaire en persuadant trois millions de personnes fuyant au Zaïre de rester au Rwanda. »

Il commence mal. Où donc a-t-il vu que les militaires de Turquoise auraient « persuadé » les millions de personnes fuyant au Zaïre de « rester au Rwanda » ? Cela aurait certainement été une bonne idée. Ce n’était malheureusement pas celle de l’armée française qui diabolisait l’adversaire « tutsi » – soit le FPR, supposé assoiffé de vengeance -, et au contraire accompagnait les efforts du gouvernement génocidaire pour chasser ces millions de personnes au Zaïre… Ce qui sera fait. A l’heure de porter plainte pour « diffamation », il est regrettable que le principal responsable de l’opération Turquoise n’ait rien de plus pressé que d’énoncer une contre-vérité.

« Présents sur le terrain, nous sommes en mesure d’affirmer que ces accusations reposent sur de nombreux faux témoignages et révèlent une instrumentalisation du génocide », affirme le général Lafourcade. Or, depuis des années de nombreux rapports, de l’OUA, de la FIDH, de Human rights watch, d’African rights, de la Commission d’enquête citoyenne ( …), et enfin de la commission Mucyo, ont fait état non seulement de témoignages mais de nombre d’éléments à charge des responsabilités françaises, avant et pendant Turquoise.

On peut s’étonner, face à un tel dossier, que ces militaires prennent le risque de voir apportée la charge de la preuve dans une procédure en diffamation. Un tel procès, s’il pouvait se dérouler dans des conditions normales, devrait bénéficier de l’exposé détaillé de tout ce qui constitue l’écrasante responsabilité française.

« Nous faisons confiance à la Justice française pour donner à notre requête la suite qui conviendra. »

Faut-il que ces militaires aient confiance dans la justice de leur pays, devant laquelle ils tentent de porter plainte, pour n’user d’aucune précaution envers la vérité des faits. Faut-il qu’ils soient assurés de pouvoir imposer une « vérité judiciaire » envers et contre toute vérité historique. Faudra-t-il parler en fait de « contre-vérités judiciaires » ?

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Validation judiciaire des thèses négationnistes de Péan

La France, après avoir engagé son armée dans un des plus grands crimes du XXème siècle, après que son gouvernement et l’ensemble des autorités de la République se soient compromis dans une politique inacceptable, voudrait maintenant enrôler son appareil judiciaire pour couvrir ses crimes ?

C’est ce qu’on peut craindre au vu des termes de la décision de justice qui a prononcé la « relaxe » de Pierre Péan. Pour le tribunal, l’accusé « entend contrer une vérité officielle sur le drame rwandais et dénoncer les stratégies de désinformation, de manipulation et d’instrumentalisation de l’opinion publique par le régime de Paul Kagamé et ses partisans ».

Qu’est-ce qu’une « vérité officielle » ? Le tribunal reprend ici littéralement le point de vue de Péan, suivant lequel tous les travaux historiques produits depuis le génocide correspondraient à une version « officielle ».

Or, c’est précisément le problème, que la France « officielle » se refuse à reconnaître ses responsabilités. Pire encore, la France « officielle » persiste à soutenir des thèses négationnistes, ainsi que le Tribunal aura pu le constater en voyant défiler généraux et ministres pour prendre la défense des thèses de Péan, qui se trouvent être aussi celles du juge Bruguière, dont il se fait l’exégète. Rappelons que ce point de vue, bien plus proche de qu’on pourrait appeler une « vérité officielle », consiste à inverser la charge de la responsabilité, en imputant aux forces anti-génocidaires du FPR… la responsabilité du génocide.

Pour asseoir cette thèse singulière, Pierre Péan n’aura eu d’autre solution que de prêter au FPR une capacité de manipulation de l’information hors du commun – décalquée sur ce que le discours antisémite classique prête au « lobby juif ». C’est pour crédibiliser cette élucubration que l’essayiste pro-gouvernemental invoque la « culture du mensonge », à laquelle on devrait qu’une performance aussi extraordinaire ait été possible. Pour compléter le tableau, Péan recourt au mythe des belles femmes tutsies qui auraient, selon lui, circonvenu ceux qu’il ose qualifier de « blancs menteurs » auxquels on doit le travail d’enquête considérable qui a permis de mettre en cause la responsabilité française de façon, malheureusement, extrêmement documentée.

Le tribunal n’hésite pas à reprendre intégralement la thèse de Péan qui dénonce ainsi les « stratégies de désinformation, de manipulation et d’instrumentalisation de l’opinion publique par le régime de Paul Kagamé et ses partisans ». On peut relever que les juges auront fait ici l’économie du conditionnel…

Ceux qui ont assisté au procès ne pourront que s’étonner de voir le tribunal adopter dans l’énoncé de sa sentence un point de vue diamétralement opposé à celui qu’il laissait entrevoir au long des trois jours d’audience. Ainsi, la lecture attentive de l’ouvrage incriminé, auquel le juge reconnaissait avoir procédé, aurait dû lui interdire de prétendre, comme c’est le cas dans le verdict, que ce livre n’est pas « susceptible de provoquer chez le lecteur un rejet ou une réaction à l’encontre des Tutsis ».

Les Tutsi, menteurs, manipulateurs, instrumentalisant leurs femmes, auraient la responsabilité du génocide des leurs et des massacres, encore plus importants, de Hutu – et il n’y aurait là rien qui soit « susceptible de provoquer chez le lecteur un rejet ou une réaction » à leur encontre ? On pourrait disserter sans fin sur le caractère scandaleux de ce jugement.

Notons simplement que ce qu’il faut appeler la « thèse – officielle – française » bénéficie désormais d’une validation judiciaire. On comprend qu’au vu d’un tel jugement, des militaires mis en cause choisissent de s’en remettre « à la justice de leur pays » pour tenter de s’abriter derrière de telles « vérités judiciaires » qu’il semble que des tribunaux parisiens sont prêts à accorder envers et contre toute évidence.

Après l’examen complaisant auquel aura procédé il y a dix ans la commission Quilès, ce sont maintenant l’ensemble des institutions françaises qui se seront portées au secours du crime génocidaire – et l’on peut parler plus que jamais d’une responsabilité totale de la France dans le dernier génocide du XXème siècle.

Toute honte bue.

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Hubert Védrine

La justice instrumentalisée

Une peine de quatre à six mois d’emprisonnement avec sursis a été requise contre Mariama Keita.

Jugement rendu le 3 décembre

La 24ème chambre du tribunal correctionnel de Paris examine la plainte de Hubert Védrine contre Mariama Keita et Xavier Renou. Ces deux militants du collectif Génocide made in France sont poursuivis pour « happy slapping ». Hubert Védrine, qui envisageait dans un premier temps une plainte pour diffamation, aura préféré user de ce prétexte juridique pour demander réparation à la justice. Hubert Védrine était à l’époque secrétaire général de l’Elysée et est depuis l’inlassable avocat de la politique de François Mitterrand : il justifie intégralement l’action de l’Elysée, y compris lorsque celle-ci aura consisté à encourager et soutenir l’action génocidaire au Rwanda. Soulignons également le fait que la loi invoquée dans cette affaire a été instituée par le législateur pour réprimer la mode des mauvaises blagues consistant à diffuser par téléphone portable les images d’agressions plus ou moins drôles. L’action politique tentant de dénoncer les responsabilités françaises dans le génocide relevait peut-être d’une autre catégorie… Mais c’est à ce titre qu’une peine de prison aura pu être demandée ainsi qu’une lourde amende. Ainsi ce détournement de procédure permettrait de condamner sans prendre le risque d’un vrai débat – tel qu’une plainte en diffamation l’aurait permis. Hubert Védrine n’aurait pas eu ce courage, et la justice complaisante ne se sera pas formalisée outre-mesure d’être ainsi instrumentalisée. Relevons que la judiciarisation du débat procède par les moyens les moins loyaux, dans un contexte apparemment favorable à la défense de l’indéfendable.