Il n'est pas fréquent qu'une personne mise en examen le mercredi pour "complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste", la plus haute infraction prévue par le code pénal français, donne une conférence de presse le vendredi. Rose Kabuye, soupçonnée par la justice française d'avoir participé, le 6 août 1994, à l'attentat contre l'avion du président Habyarimana, qui a précédé le génocide des Tutsi, est pourtant dans ce cas.

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Edition abonnés Fiche pays : Rwanda

Au surlendemain de son transfert en France, de la notification par le juge d'instruction Marc Trévidic des charges retenues contre elles et de sa mise en examen, Mme Kabuye, chef du protocole de l'actuel président rwandais Paul Kagamé, a, vendredi 21 novembre à Paris, répondu sobrement mais énergiquement aux questions des journalistes sous les dorures d'une salle du Press club.

Non, elle n'a pas choisi de se faire arrêter pour mettre à l'épreuve les autorités françaises, comme l'hypothèse en circule avec insistance : "Personne ne choisit de quitter son pays et sa famille pour être arrêté. J'ai été très surprise d'être arrêtée." Oui, elle se dit "confiante dans le fait que d'ici à (son) départ (…) tout sera éclairci et (son) innocence sera reconnue". Mme Kabuye a joui de sa liberté de parole car, mercredi soir, elle avait finalement été remise en liberté sous contrôle judiciaire conformément aux réquisitions du parquet de Paris. Conformément aussi au souhait ardent, mais non exprimé publiquement, des plus hautes autorités françaises engagées depuis peu dans une politique de réconciliation avec le Rwanda entravée par la procédure judiciaire.

"SABOTER L'INSTRUCTION"

"Nous sommes satisfaits de la façon dont tout cela évolue. Il faut solder les malentendus avec les Rwandais, parce qu'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que l'armée française n'a pas participé au génocide", a confirmé Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, jeudi en déplacement en Ethiopie. A l'opposé, Philippe Meilhac, avocat de la veuve de l'ex-président Habyarimana – visée par une information pour "complicité de génocide" -, se dit "très surpris" par la liberté accordée à Mme Kabuye. L'avocat affirme qu'"on cherche à saboter l'instruction pour des raisons diplomatiques" et s'inquiète d'un "enlisement de la procédure".

Pour l'un des défenseurs de Rose Kabuye, Me Léon-Lef Forster, l'enquête française vise à une "présentation manipulée du génocide" selon laquelle l'attentat de 1994 a provoqué les massacres, alors que "la préparation à la haine des Tutsi (par le régime Habyarimana soutenu par la France) durait depuis des années".

L'identité des auteurs de l'attentat serait-elle secondaire ? Avec sa vigueur d'officier supérieur de l'armée rwandaise, Mme Kabuye a répliqué : "Je ne suis pas enquêtrice, ce n'est pas à moi de trouver qui a tué Habyarimana."
Philippe Bernard