Synthèse de nos éditoriaux sur le rôle de la France
Si les accusations de complicité de génocide lancées contre la France par le Président Rwandais sont fausses et calomnieuses, il conviendrait que notre Ministre de la Défense et les personnes visées par les accusations, répondent de manière satisfaisante à un certain nombre de questions, et ne se contentent pas de démentis ou de quelques indignations médiatiques.
Si la France n'est pas coupable, alors :
pourquoi est-ce dans les locaux de l'ambassade de France au Rwanda, et en présence de l'ambassadeur Jean-Philippe Marlaud, que s'est formé le gouvernement intérimaire rwandais en charge d'exécuter le génocide ?
pourquoi François Mitterrand, Alain, Juppé et Bruno Delaye (responsable de la cellule africaine de L'Elysée) ont-ils reçu, le 27 avril 1994 à Paris, 20 jours après le début du génocide, une délégation rwandaise formée, notamment, de Jérome Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire rwandais (supervisant le génocide) sans jamais dénoncer les agissements de celui-ci ?
pourquoi la France, dès le début du génocide, a-t-elle évacué vers Paris, le 9 avril 1994, l'une des têtes pensantes du génocide, Madame Agathe Habyarimana ? Pourquoi, à son arrivée en France, a-t-elle reçu une grebe de fleurs, un appartement en dotation et 200 000 francs pour frais de bouche ? (L'Inavouable, Les Arènes, 2004, de Patrick de Saint-Exupéry, page 259).
pourquoi le lundi 19 janvier 2004, Madame Agathe Habyarimana, la veuve de l'ancien président du Rwanda, dont la mort avait marqué le début du génocide rwandais en avril 1994, était-elle présente à la cérémonie des vœux de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui s'est tenue à Paris ? (voir notre article : Francophonie et petits meurtres entre amis ) ;
pourquoi le 17 juillet 1994, l'état-major tactique français a-t-il organisé l'évacuation vers le Zaïre du gouvernement génocidaire rwandais ? (L'Inavouable, Les Arènes, 2004, de Patrick de Saint-Exupéry, page 260) ;
est-il vrai, comme l'affirme l'ONG Human Rights Watch, que la France continuait à former les miliciens Hutu extrémistes dans un camp militaire français situé en République Centrafricaine, longtemps après la défaite du clan génocidaire et la fin du génocide (en octobre 1994) ? (Rapport HRW, Rwanda/Zaire, Réarmement dans l'impunité. Le soutien international aux perpetrateurs du génocide rwandais, mai 1995, p.9-10) ;
est-il vrai que Paul Barril (ancien responsable du GIGN et conseiller du Président Juvénal Habyarimana) ait été l'intermédiaire dans l'achat de deux missiles sol-air, entre novembre 1993 et février 1994, pour le compte du Hutu Power ? (voir l'article de Patrick de Saint-Exupéry du 31 mars 1998 paru dans Le Figaro). Ces missiles n'auraient-ils pas pu servir à abattre l'avion du Président rwandais Habyarimana ? (Voir aussi, L'Inavouable de Patrick de Saint-Exupéry, page 256 ; Aucun Temoin ne doit survivre, Human Rights Watch, FIDH, 1999, page 774 ; La Nuit Rwandaise, Jean-Paul Gouteux, L'Esprit frappeur, 2002, page 281) ;
que faisait Paul Barril au Rwanda au moment de cet attentat ? Est-il vrai qu'il travaillait pour le compte du régime génocidaire et que son contrat, pour un montant de 1 200 000 dollars US s'intitulait "Opération Insecticide" ? (alors que la Radio des Mille Colline appelait à l'extermination des cafards Tutsi !) Est-il resté à Kigali pendant le génocide ?
pourquoi Paul Barril, n'a-t-il pas été interrogé par la mission d'information de 1998 présidée par Paul Quilès et portant sur le génocide rwandais !
quelles furent les raisons du suicide de Francois de Grossouvre le 7 avril 1994, le lendemain de l'attentat (à l'aide de missiles sol-air) contre l'avion du Président rwandais ? Paul Barril n'était-il pas un proche de cet homme clef de L'Elysée et au centre des traffics d'armes de la République Française ?
quelle crédibilité accorder au rapport du juge Jean-Louis Bruguière qui établirait que le général Paul Kagamé, ex-chef rebelle et actuel chef de l'Etat rwandais, serait le principal commanditaire de l'attentat, avec dix autres officiers supérieurs du FPR, alors que Paul Barril se vante d'être un vieil ami du juge (Le Monde, 9 mars 2004, "L'enquête sur l'attentat qui fit basculer le Rwanda dans le génocide", par Stephen Smith ; Le Temps -Lausanne- 21 novembre 2001 ; La Nuit Rwandaise, Jean-Paul Gouteux, L'Esprit frappeur, 2002, page 287) ? Les conclusions de ce rapport ne sont-elles pas en contradiction avec les documents (datant de 1994) des services de renseignement americains qui viennent d'être declassifiés et qui retiennent la responsabilité des extrémistes hutu dans l'attentat ? (Voir l'article de Jim Lobe, "Rwanda-US : Papers Imply Hutu Hard-Liners Downed President's Plane, 6 April 2004, IPS News, le 7 avril 2004 dans L'Idiot ; "Les Etats-Unis avaient identifié les coupables, selon un rapport", AFP, dans L'Intelligent, 8 avril 2004, le 13 avril 2004 dans L'Idiot) ;
est-il vrai, comme l'affirme l'ONG Survie, que la France continuait à appuyer militairement les miliciens Hutu extrémistes réfugiés dans les camps du Zaïre en 1995 ? (Billets d'Afrique, juillet 1995 : le 9 juin 1995 trois Mirages et quatre appareils de transport aérien seraient partis d'Orléans vers le Zaïre pour soutenir cette offensive) ;
la France ne continue-t-elle pas de soutenir ces anciennes milices, alors que celles-ci viennent d'annoncer une offensive prochaine contre le régime de Kagame ? (Voir : "Rebels prepare to attack Rwanda – officials", 15 avril 2004 dans Independent Online South Africa, AP ; le 19 avril 2004 dans L'Idiot) ;
pourquoi la France a-t-elle proposé en 1995, au Président Kagame, la fin des hostilités contre le nouveau régime en échange d'une amnistie générale et contre l'assurance de ne plus être accusée par le Rwanda d'avoir soutenu l'ancien régime génocidaire ? ("Faire de Kagame le Roi", Colette Braeckman, Le Soir, 9 novembre 1995, Belgique) ;
pourquoi l'Opération Turquoise, présentée par la France comme une opération humanitaire visant à stopper le génocide (23 juin-21 août 1994) a-t-elle été dirigée par des officiers Francais proches du Hutu Power, comme le colonel Thauzin, ancien conseiller militaire du Président Habyarimana ? (La Nuit Rwandaise. Page 1994) ;
pourquoi la France a-t-elle refusé de brouiller les émissions de la Radio des Mille Collines (principal organe de propagande anti-Tutsi) alors que l'émetteur se trouvait dans la zone sous son contrôle au moment de l'Opération Turquoise et que cela était techniquement facile ?
pourquoi la France, par la voix de Bernard Kouchner, ainsi que le gouvernement génocidaire, réclamaient-ils un cessez-le-feu entre les rebelles du FPR (tentant de mettre un terme aux massacres) et les extrémistes Hutu en mai 1994, juste avant l'Opération Turquoise ? (Le Monde, 20 mai 1994, Bernard Kouchner ; La Nuit Rwandaise, pages 356-357) ; le principal but de cette Opération n'était-il pas de freiner l'avancée du FPR anglophone plutôt que de mettre un terme aux massacres ?
pourquoi Alain Juppé, comme François Mitterrand (lors de son discours de Biarritz du 8 novembre 1994), et Dominique de Villepin aujourd'hui, utilisent-ils régulièrement le terme de "génocides" au pluriel ? Ne souhaitent-ils pas accréditer l'idée d'un double génocide entre deux ethnies et deux camps qui seraient tout autant responsables ? (Voir L'Inavouable écrit par l'auteur en réponse à ce pluriel utilisé par Dominique de Villepin en septembre 2003 lors d'un interview sur RFI ; voir aussi page 414 de La Nuit Rwandaise) ;
pourquoi Le Monde, Marianne, Le Courrier International et Africa International ont-ils également défendu cette thèse du double génocide ? (Marianne ira même jusqu'à nier l'existence d'un génocide des Tutsi pour imputer les massacres aux victimes, "Les Tutsi ont provoque le génocide pour se rendre maître du pays" peut-on lire dans Marianne, du 20 au 26 mars 2000 ; voir notre Article intitulé "Le Monde au service du Hutu Power") ;
pourquoi Le Monde a-t-il attendu le 2 juillet 1994 (trios mois après le début du génocide) pour utiliser le terme de génocide afin de décrire ce qui se passait au Rwanda ? (Voir : Isabelle Gaudin, "Les crises rwandaises depuis 1959 vues à travers La Croix, l'Humanité, Le Monde", Mémoire de maîtrise, Université Paris I Sorbonne, novembre 1996 ; voir également : "Le Monde, un contre-pouvoir ?", de Jean-Paul Gouteux, L'Esprit Frappeur, 1996) ;
pourquoi des nombreux intellectuels et journalistes Français avaient-ils des préjugés anti-Tutsi très marqués avant et au moment du génocide, comme Alexandre Adler, Jean-Marie Colombani et Stephen Smith ? (Voir notre Article "Le Monde au service du Hutu Power" ; voir également : Billets d'Afrique de l'ONG Survie, numéro 18, janvier 1995 ; numéro 41, décembre 1996 ; numéro 56, mars 1998) ; n'est-il pas étonnant que ces intellectuels et journalistes soient connus pour leurs liens avec les services secrets français ?
n'est-il pas symptomatique d'une certaine connivence coupable entre les élites politiques et intellectuelles, que l'Université de la Sorbonne ait laissé la directrice du Magazine Africa International, Marie-Roger Biloa (une intime de l'ancien Président rwandais, Juvénal Habyarimana) organiser un colloque révisionniste sur le génocide rwandais avec d'anciens membres du gouvernement rwandais génocidaire ? (Colloque du 6 avril 2004 :"Rwanda : dix ans plus tard, qu'avons nous appris ? Comment réinventer l'avenir"). ;
pourquoi dès 1990 la France a-t-elle appuyé (avec l'aide de plusieurs centaines de soldats français) les forces gouvernementales rwandaises du Président Habyarimana, pour repousser et tenter d'éliminer le Front Patriotique Rwandais ? (Voir "Aucun Témoin ne doit survivre", page 75) ;
pourquoi un an avant le déclenchement du génocide (en février 1993) le ministre français de la coopération, Marcel Debarge, a-t-il conseillé au Président Habyarimana la constitution d'un "front commun" contre le FPR ? (Voir "Aucun Témoin ne doit survivre", page 136 ; La Nuit Rwandaise, Jean-Paul Gouteux, L'Esprit Frappeur, 2002, page 214) ;
est-il vrai, comme le suggère Gérard Prunier (analyste et historien du Rwanda, proche du Ministère de la défense français), que le Président Habyarimana ait aidé la France dans des affaires illégales en faisant, peut-être, parvenir des armes dans des pays placés sous embargo ? (Voir "Aucun Témoin ne doit survivre", page 142 ; La Nuit Rwandaise, Jean-Paul Gouteux, L'Esprit Frappeur, 2002, page 176-7) ; (voir également L'Express, 12 février 1998, Vincent Hugeux : "Mais il est une autre piste moins anodine : la dette contractée envers Kigali pour son rôle de transitaire docile lors de livraisons secrètes d'armements destinées à l'Afrique du Sud de l'apartheid. D'autant que la commande aurait porté non pas sur des missiles, comme on le murmurait alors, mais sur de l'équipement nucléaire") ;
pourquoi la France, a-t-elle tout fait pour priver le Rwanda de l'après génocide de l'aide financière de l'Union Européenne ? ("L'Union Européenne avait prévu des crédits spéciaux se chiffrant à près de 200 millions de dollars américains pour le Rwanda, mais les Français mirent leur veto pour empêcher le déblocage de ces fonds jusqu'à la fin de 1994 et la somme ne put être débloquée qu'en partie", Millwood, Etude 4 numéro 34, cité dans La Nuit Rwandaise, Jean-Paul Gouteux, L'Esprit Frappeur, 2002, page 430) ;
n'est-il pas troublant que dans son numéro de décembre 1990 le journal Kangura (principal organe de presse écrite du génocide) publiait à la fois ses "Dix Commandements des Hutus" (véritable manifeste en faveur du génocide à venir) et un portrait de Mitterrand avec la légende suivante : "Un véritable ami du Rwanda. C'est dans le malheur que les véritables amis se decouvrent." ? (Chrétien, Rwanda Les médias, page 141 ; Prunier, The Rwanda Crisis, page 163) ;
est-il vrai, comme le prétend la Commission d'enquête citoyenne (sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994), que la Banque nationale du Rwanda, « trésor de guerre des organisateurs du génocide », ait pu tirer des sommes importantes sur la Banque de France et la BNP Paris (2 737 119,65 FF en six prélèvements du 30 juin au 1er août pour la Banque de France, 30 488 140,35 FF en sept prélèvements du 14 au 23 juin 1994 pour la BNP) tout au long du génocide ? Si cela est vrai, comment la Banque de France a pu procurer des moyens financiers (dont 1 500 000 FF le 1er août, alors que le Gouvernement responsable du génocide et sa banque ont quitté le Rwanda depuis un mois) aux auteurs d'un génocide en cours ? Comment l'autorité de tutelle de la place financière de Paris a pu ne pas demander de couper les liens financiers avec les autorités génocidaires ? Comment la BNP a pu ignorer la portée de ces prélèvements ? (Voir Survie, Commission d'enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et son Communiqué de presse du 24 mars 2004 : La Commission d'enquête citoyenne (CEC) a examiné des documents recueillis à Kigali par le sénateur belge Pierre Galand, qu'elle a longuement auditionné) ;
que penser des déclarations de Philippe Jehanne, correspondant de la DGSE au cabinet du ministre de la coopération Michel Roussin, confiant le 19 mai 1994 à l'historien Gérard Prunier, en plein génocide rwandais : « Nous livrons des munitions aux FAR [les Forces armées rwandaises génocidaires] en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si vous me citez dans la presse. » (Voir Gérard Prunier, « Rwanda : le génocide », p. 332, note 136) ;
est-il vrai que le 25 mai 1994, le deuxième secrétaire de l'ambassade du Rwanda au Caire ait adressé au GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais résponsable du génocide) un message annonçant une livraison de 35 tonnes d'armes (munitions et grenades) pour un montant de 765 000 dollars lors d'une transaction faite à Paris ? (Voir Michel Muller, Trafic d'armes via Paris, L'Humanité, 31/05/1994) ;
que penser de l'information suivante parue dans The Economist en juin 1994 : « En mai, […] les Français laissèrent débarquer une cargaison d'armes à Goma, au Zaïre. Tandis que l'odeur des cadavres entassés dans une fosse commune à la frontière envahissait l'aéroport, les armes destinées aux meurtriers étaient entassées sur la piste. Le consul de France à Goma dit qu'il n'était pas en mesure d'intervenir : il s'agissait de l'application d'un contrat privé, passé avant l'interdiction des armes au Rwanda. » (Voir Courrier International du 7 juillet 1994) ;
que penser du rapport d'enquête de Human Rights Watch ( 1995 ; Rwanda/Zaïre, Réarmement dans l'impunité. Soutien international aux auteurs du génocide rwandais) dans lequel on peut lire :
« Human Rights Watch a appris par le personnel de l'aéroport [de Goma] et par quelques hommes d'affaires locaux que cinq livraisons arrivées en mai et juin [1994 – après le 17 mai, date du vote par l'ONU de l'embargo sur les armes, et plus de 6 semaines après le déclenchement du génocide] comprenaient de l'artillerie, des mitrailleuses, des fusils d'assaut et des munitions fournis par le gouvernement français 1. Ces armes ont traversé la frontière jusqu'au Rwanda, transportées par les membres de l'armée zaïroise et livrées aux FAR à Gisenyi. Le consul français alors à Goma, Jean-Claude Urbano, a justifié les cinq livraisons en disant qu'elles honoraient les contrats de fourniture négociés avec le gouvernement rwandais avant l'imposition de l'embargo. » p. 7 ; Interviews avec le personnel de l'aéroport, les hommes d'affaires locaux et les équipages des avions cargo. […] Les dates précises de deux de ces expéditions sont connues : les 25 et 27 mai 1994. « Le consul français a fait mention de plusieurs autres livraisons d'armes qui sont arrivées à l'aéroport de Goma, destinées aux FAR, dans la période de mai-juillet 1994 et qui provenaient de sources autres que le gouvernement français. […] Il a dit aussi qu'il ne connaissait pas qui avait founi les armes ou avait facilité leur acheminement, mais "qu'il se pourrait" qu'elles proviennent des trafiquants d'armes français. » p. 8 ; « Pendant toute la durée de l'opération Turquoise, les FAR ont continué à recevoir des armes dans la zone contrôlée par les Français, via l'aéroport de Goma. Les soldats zaïrois qui se trouvaient alors à Goma ont aidé à la livraison de ces armes à travers la frontière. » p. 8 ; « Des sociétés de chargement apparemment privées, enregistrées ou basées au Zaïre, […] opèrent sous contrat avec des hauts fonctionnaires du gouvernement zaïrois et des officiers de haut rang des Forces armées zaïroises (FAZ), généralement alliés au président Mobutu, pour le transport d'armes provenant de certains endroits d'Europe ou d'Afrique et destinées aux alliés régionaux du Zaïre, comme l'ancien gouvernement du Rwanda et l'UNITA. […] Des pilotes établissent de faux plans de vol [… et] de faux manifestes. […] Dans au moins deux cas, vérifiés par Human Rights Watch, des avions portant en grand des étiquettes des ONG ont livré alternativement des articles humanitaires et des armes à l'aéroport de Goma en mai et juin 1994. » p. 10-11.
Guillaume de Rouville Mai 2004
Publié par L'Idiot Du Village