mercredi 26 novembre 2008
Par Vincent Hugeux, Pierre Ganz,
REUTERS/Finbarr O'Reilly
Combattant de la rébellion de Laurent Nkunda, dans le village de Jnomba, le 16 novembre.
Professeur à l'Institut de politique et de gestion du développement de l'Université d'Anvers (Belgique), Filip Reyntjens scrute depuis trois décennies l'Afrique des Grands Lacs. Il décrit les racines du conflit du Nord-Kivu, aux confins orientaux de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre).
Près de quinze ans de guerres, entrecoupées d'accalmies trompeuses: y a-t-il une malédiction congolaise?
Pas de fatalité, mais une combinaison de facteurs, dont deux essentiels. D'abord, l'absence d'Etat. Les fonctions régaliennes d'autorité ne sont pas assumées, ou sont privatisées. En cela, l'armée de la RDC, comme l'armée zaïroise avant elle, reste le miroir de cette déliquescence. Ensuite, la poursuite, sous une forme extraterritoriale, de la guerre civile rwandaise. En 1994, lorsque Paul Kagamé prend le pouvoir à Kigali, deux millions de hutus fuient vers les pays voisins, notamment au Zaïre. Parmi eux, les débris d'un régime défait et les miliciens qui avaient joué le rôle que l'on sait lors du génocide. Confronté aux réfugiés-guerriers qui menacent sa stabilité, le Rwanda exporte alors son conflit interne. Dès 2003, quand Laurent Nkunda refuse, à l'instar d'autres officiers tutsis congolais, son intégration au sein de l'armée nationale, c'est sur les instances du régime Kagamé, désireux de disposer d'un pion au Kivu.
Quel est le véritable dessein de Nkunda?
AFP
Laurent Nkunda, le 10 novembre dernier dans les montagnes du Nord-Kivu.
Lui prétend conquérir Kinshasa. Je doute qu'il en soit capable, et je suppose qu'il le sait. Mais ce chef rebelle veut au moins troquer son image de seigneur de la guerre local contre celle d'acteur politique d'envergure nationale. Notamment en dénonçant les travers -incontestables- du pouvoir de Kinshasa.
La médiation confiée à l'ex-président nigérian Olusegun Obasanjo est-elle vouée à l'échec?
Ce n'est ni la première, ni la dernière. Le sommet RDC-Rwanda du 7 novembre, à Nairobi, était parfaitement inutile. Les accords sont là. Reste à les appliquer concrètement. L'un d'eux date d'un an et dit deux choses: Kinshasa s'engage à neutraliser les miliciens hutus rwandais, et Kigali s'abstiendra en contrepartie d'appuyer Laurent Nkunda.
Le renforcement annoncé de la Mission des Nations unies (Monuc) suffira-t-il à adoucir le calvaire des civils?
Je suis très favorable à cette idée. On envisage un contingent onusien, composé pour l'essentiel de troupes européennes. Nous avons pu mesurer l'impact d'un tel déploiement en 2003 en Ituri (nord-est), avec le dispositif Artémis. Ce n'est pas qu'une question d'effectifs. Ce qui fait la différence, c'est la qualité des troupes et de leur encadrement.
Faut-il craindre une contagion régionale?
Le risque est tout à fait réel. L'Angola est prêt à envoyer des troupes. L'armée rwandaise est présente au Kivu de façon résiduelle et il lui serait très facile d'infiltrer ses hommes. Et les Ougandais restent aux aguets du fait de la menace de mouvements rebelles à cheval sur leur frontière.
En quoi les richesses naturelles du Kivu alimentent-elles la violence armée?
L'attrait d'un tel pactole est primordial. En 1996-1997, durant le conflit qui a porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, l'Ouganda, le Rwanda ou le Zimbabwe ont découvert que l'on peut tirer profit d'une guerre menée au Congo. L'exploitation de ces ressources est devenue, pour les voisins de la RDC, un enjeu supérieur aux seuls impératifs sécuritaires.
Que pèse, au Kivu, le facteur ethnique?
La manipulation de l'ethnicité par tous les acteurs est incontestable; c'est ainsi qu'on mobilise et qu'on forge des alliances. Elle contribue à l'extension des conflits.
La lassitude infinie des civils peut-elle changer la donne?
Oui. Les tutsis congolais l'ont très bien compris. Eux ont le choix entre une loyauté ethnique et transfrontalière, qui mène à l'impasse, et une loyauté locale et nationale. Choix douloureux: certains d'entre eux, et on les comprend, considèrent qu'ils n'ont d'autre protecteur que le Rwanda.