Jean de Dieu Mucyo

Le discours faux-fuyant de Paris en réaction aux graves accusations de sa complicité avec des génocidaires rwandais n'a pas apparemment réussi à  calmer les esprits. Le rapport très fouillé de la commission rwandaise (1) qui a rassemblé des faits incriminant à l'endroit de la France a provoqué une onde de choc inattendue au cours de cet été de 2008. Le réseau habituellement chargé de déployer les contre-feux dans ce dossier a été apparemment surpris par l'ampleur du retentissement que ce rapport a obtenu. L'attention qu'il a reçue a suscité une vive frustration chez certains chroniqueurs proches de l'Elysée, et ce pour avoir perdu l'initiative dans leur rôle de manipulateur de l'opinion dans ce dossier. Pour l'hebdo Marianne, le momentum qui s'est créé à la publication de ce rapport n'est pas dû au hasard. Il résulte d'une «habile opération de communication» qu'il attribue (avec une admiration gênée) à l'équipe de Paul Kagame !

La réaction se devait donc d'être cinglante pour tenter de renverser la vapeur et en atténuer l'effet dévastateur. On peut déjà s'attendre à une intensification des écrits de ce genre dans les prochains jours. Le rapport de la Commission Mucyo est frappé d'anathème par des défenseurs zélés de l'Elysée, pour  avoir rendu public une Vérité honteuse que l'on  souhaitait voir définitivement enfouie loin du public français. Certains auraient aimé voir cette réalité déshonorante demeurer enterrée  en Afrique, comme le sont les vestiges du génocide qui jonchent le Rwanda aujourd'hui ! Pour l'Elysée, que les scènes de supplices hantent jours et nuits et blessent encore psychologiquement des rescapés rwandais, cela ne lui cause aucun tort. Mais que ces fantômes de 1994 au Rwanda ressurgissent sur les petits écrans et dans des journaux écrits parisiens, avec une accusation formelle de complicité de génocide à l'endroit de la France, cela est «inacceptable» ! C'est ce malaise dérangeant que l'hebdo Marianne tente de conjurer, à travers un article intitulé «Rwanda, qui est vraiment Paul Kagame ?» (2)

Après une précédente sortie très raciste et anti-Tutsi publiée en février 2008 où Roland Hureaux tentait sournoisement de freiner la popularité de Barack Obama en l'associant aux «détestables» origines pseudo «nilo-hamitiques» de son père  kenyan (3),  l'hebdomadaire Marianne poursuit son front sur la même lancée. A travers un texte publié le 10 Août 2008 et signé  Hubert Martin, la stratégie reste la même, mais la cible change.  Cette fois-ci l'attaque vise directement, la personne de Paul Kagame, l'actuel Président du Rwanda !  Fidèle à l'orientation établie par l'Elysée dans  ce chapitre, l'auteur n'aborde pas le contenu du rapport qui le préoccupe ! Il le rejette entièrement en bloc ! «L'accusation  de complicité de génocide du gouvernement français dans le génocide rwandais est absurde», lance-t-il laconiquement sans aucune autre explication !

Ce raccourci coupe court délibérément à tout questionnement,  si  raisonnable soit-il !  Aucune allusion au fait que ce rapport rwandais s'est basé aussi sur certains faits établis et reconnus par la France elle-même ! Pas de mention des sources de référence fiables qui ont permis d'arriver à certaines conclusions très pertinentes ! Point de signal de certains éléments qui proviennent du rapport de la Commission Quilès auquel le gouvernement français s'en tient jusqu'à présent ! Aucun rapprochement avec certains faits irréfutables qui ont retenu l'attention de plusieurs analystes à travers le monde … bref, d'après l'hebdo Marianne, dans ce rapport de la commission d'enquête rwandaise, tout est «absurde»! C'est ce point de vue qu'il semble nous forcer d'avaler religieusement !  

Dans le «dossier rwandais», la France n'a vraiment  rien à se reprocher ?

Pour soutenir l'innocence de la France dans le dossier rwandais, il faut trouver au moins quelques arguments valables et convaincants. Certes «les instructeurs français n'ont pas appris aux génocidaires le maniement de la machette», mais cet argument n'annule  pas l'accusation de  complicité !  Par ailleurs, il n'y a pas que des  machettes qui ont fait plus d'un million de morts en trois mois ! Il y avait aussi des fusils, des balles, des grenades,  des bombes … achetés notamment grâce à l'argent des contribuables  français !!! (4) L'appui aux génocidaires n'était pas  non plus uniquement limité à l'approvisionnement logistique ! Il était aussi d'ordre politique, diplomatique, militaire et même médiatique. C'est  d'ailleurs  en partie, à cause de l'assurance d'avoir la France à leurs côtés que des extrémistes «Hutu» ont préféré l'option génocidaire à la mise en pratique de l'Accord de Paix d'Arusha qui aurait servi de base à la normalisation de la situation.

Pour appuyer son argumentation peu consistante, l'auteur du texte publié dans les colonnes de  Marianne recourt curieusement  à  un lapsus  de CNN-Afrique au sujet de l'Opération Turquoise, qui aurait laissé entendre qu'il s'agissait d'une opération  américaine ! Cette célèbre chaîne télévisuelle américaine pourrait-elle aujourd'hui soutenir ses propos erronés auxquels Hubert Martin s'appuie ? La réponse est assez évidente ! Si vous vous demandez  pourquoi l'hebdo Marianne admet aisément que dans ses pages on se réfère à une information erronée et  vieille de 14 ans, eh bien  vous avez un exemple typique de manipulation médiatique ! Mais bien entendu il ne s'arrête pas là !  Il poursuit la même manœuvre en référant ses lecteurs au fameux livre et très controversé : «Noires fureurs, blancs menteurs» de Pierre Péan, à qui aucun intellectuel digne n'accorde crédit, et dont certains propos font encore traîner l'auteur  devant des tribunaux !

Hubert Martin utilise aussi un autre stratagème puéril, consistant à faire exactement ce qu'il reproche à sa cible, c'est-à-dire formuler des «accusations véhémentes pour éveiller un sentiment de culpabilité » chez son adversaire ! Ainsi il reprend la thèse selon laquelle Paul Kagame  aurait commandité l'attentat contre l'avion de Juvénal Habyarimana. Pour  fourvoyer ses lecteurs, Il prend soin de les abreuver des mêmes allégations  inondées sur la scène publique par les négationnistes et leurs alliés en vue de détourner l'attention des crimes qui les hantent. Evidemment 14 ans après le génocide, plusieurs lecteurs sont déconnectés du vif des événements de 1994, et ils  risquent de succomber à  cette manipulation. Cette manoeuvre permet aussi de détourner le lecteur du sujet  principal qu'est la présomption de complicité de génocide dont la France fait l'objet. 

Notons en passant que le contexte immédiat de cet attentat évoqué par Marianne est plein de faits qui ne seraient expliqués que par une enquête appropriée et crédible. Plusieurs éléments-clés restent encore à élucider et on ne peut pas s'aventurer à tirer des conclusions. L'on sait par exemple que le lieu de l'écrasement de cet avion  a été immédiatement quadrillé par la garde présidentielle de feu J. Habyarimana  en collaboration avec des militaires français du DAMI ! Au cours de cette opération «top secret», un nettoyage a été effectué soigneusement et entre autres éléments subtilisés figure sa Boîte Noire ! A moins que Hubert Martin nous dise si  le  Lt-Col Grégoire de St-Quintin qui supervisait cette mission du côté français répondait aux ordres de Paul Kagame ! Ou bien que le mystérieux P. Barril dont la présence sur terrain a été confirmée par le concerné lui-même, travaillait de mèche avec le F.P.R ! Si c'est Paul Kagame qui avait commandité cet attentat, pourquoi la garde présidentielle de feu J. Habyarimana  a-t-elle empêché la MINUAR d'accéder au lieu du crash pour y établir un périmètre de sécurité ? (5)

En empruntant la logique de l'auteur  de cet article publié par Marianne, on peut également dire qu'il multiplie les accusations pour tenter de voiler les soupçons qui pèsent lourdement sur la France au sujet de son rôle dans cet attentat qui a coûté la vie aux  anciens présidents du Rwanda et du Burundi ! La célèbre sentance : «calomnier, calomnier,  il en restera toujours quelque chose» de Voltaire qu'il évoque, est parfaitement applicable à  son  propre argumentation. 

A force de faire l'avocat du Diable, l'auteur  adopte aussi le langage connu des génocidaires rwandais en cavale qu'il couvre indirectement sans les nommer ! C'est à peine s'il ne leur donne pas raison ouvertement. En bout de ligne, il semble vouloir pousser ses lecteurs à en tirer eux-mêmes la conclusion, face à un Paul Kagame qu'il accable de qualificatifs qui l'incriminent et le condamnent d'avance sans aucune forme de procès ! A supposer que l'actuel Président du Rwanda soit  coupable des crimes qu'il lui reproche, est-il nécessaire de faire remarquer que cela n'exonérerait pas pour autant la France de sa complicité présumée avec des génocidaires rwandais ?
En effet, il n'y a pas de lien de cause à effet entre l'attentat du 06 avril 1994  et le génocide contre les Tutsi. La mort de l'ancien Président du Rwanda  est une échappatoire de défense qui ne tient plus la route dans aucun procès d'un présumé génocidaire. L'écrasement du Falcon 50 de J. Habyarimana ne constitue ni une justification du génocide contre les Tutsi, ni une circonstance atténuante au crime de génocide ou de complicité de celui-ci ! Étrangement, pour répliquer aux accusations envers la France, l'hebdo Marianne emprunte la même ligne de défense que celle des génocidaires rwandais en cavale ! Quelle  une «curieuse» façon de réfuter la complicité de génocide de la France !      

«On ne plaisante pas avec la Vérité»
 

L'innocence de la France ne pourrait se justifier sans rendre compte de sa présence sur terrain au Rwanda avant, pendant et après le génocide perpétré contre  les Tutsi en 1994. De quelles informations disposaient la France avant le génocide ? Qu'en a-t-elle fait ? Qu'a-t-elle constaté  sur terrain ? Comment  a-t-elle agi dans telles circonstances ? Pourquoi s'est-elle comportée de telle façon ? Qui a posé concrètement tel geste ? Pourquoi n'a-t-elle pas considéré telle information ? A qui revenait la prise de telle décision ?   …  A ce genre de questions et à bien d'autres plus éclairantes, le rapport de la commission Mucyo a livré sa version des faits de façon très détaillée. La présence française au Rwanda a été décryptée minutieusement et elle est décrite avec des détails qui ne seraient aucunement être balayés du simple revers de la main ! 

C'est cette même présence chapeautée par une équipe répondant aux ordres de feu François Mitterrand  qui nécessite plus de lumière aux yeux de plusieurs citoyens français.   Ceux-ci sont préoccupés par le fait que des générations françaises risquent de porter le blâme d'un crime ignoble, auquel une petite équipe de l'ère mitterrandienne devrait répondre !  D'aucuns accusent la mission d'information parlementaire française qui s'est penchée sur ce sujet d'avoir délibérément esquivé certaines zones susceptibles de révéler des faits troublants ! P. Quilès qui  a présidé ces travaux vient d'ailleurs de proposer ouvertement la mise en place d'une nouvelle commission d'enquête indépendante, pour établir de manière incontestable les responsabilités (6), ce qui laisse entendre qu'il reconnaît lui-même le fondement de la remise en question  des conclusions de son rapport. Il était donc grand temps d'accorder  à ce dossier la considération qu'il mérite. Un déni catégorique et intransigeant ne dédouanera pas  facilement la France de la complicité de génocide dont elle est accusée. Hubert Martin conclue son article par une mise en garde : «On ne plaisante pas avec la Vérité»  écrit-il avec une allure de menace à peine déguisée ! Force est de lui donner parfaitement raison à ce sujet. Cependant, cela est surtout valable pour la France et ses citoyens qui ont droit à toute la lumière sur des allégations  graves à l'endroit de leur patrie.

L'ancien Président américain Bill Clinton a regretté publiquement de n'avoir pas agi pour prévenir ou arrêter ce drame qui a consterné le monde entier ; l'ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt s'est incliné devant la mémoire des victimes et il a exprimé humblement son regret et sa sympathie au peuple rwandais. La France quant à elle, en dépit de sa présence quasi permanente sur terrain n'a aucun regret ? Elle prétend en être sortie blanche comme neige  et qu'elle n'a rien à se reprocher et c'est cela que l'hebdo Marianne veut aussi faire croire à son lectorat ! Serait-ce exagéré d'émettre des doutes là-dessus ?

L'auteur de cet article pourrait-il au moins commencer par admettre que la machine génocidaire qui détient le record d'avoir exterminé plus d'un million de vies humaines en une période de seulement trois mois est une pure création de la coopération militaire                      franco-rwandaise établie dans le cadre d'un accord bilatérale ? Au sujet de la mésaventure française au Rwanda qui s'est soldée par cet inimaginable bain de sang de citoyens innocents, seul Bernard Kouchner a jusqu'à maintenant avoué à  demi-mot, que la France a fait des «erreurs» ! Ne cherchez pas à en savoir davantage pour l'instant ! C'est impossible que l'actuel  patron du Quai d'Orsay franchisse une marche supplémentaire et révèle tout ce qu'il sait sur ce drame auquel il a assisté temporairement de ses propres yeux. Les gourous de l'ère mitterrandienne l'en veulent déjà pour ses propos et l'accusent furieusement d'être allé trop loin. Apparemment l'hebdo Marianne et d'autres journaux du même acabit  en ont gros sur le cœur pour les mêmes motivations ! Cela se remarque quand ils ironisent au sujet de l'amitié entre P. Kagame et B. Kouchner. Pour en savoir plus de l'énigmatique «french doctor», il faudrait peut-être attendre ses mémoires posthumes !!! (Si on ne les classifie pas «secret d'État» pour empêcher d'y avoir accès) !   

Face au pire des crimes commis après de longues années de coopération avec le régime de feu J. Habyarimana, l'attitude de Paris aujourd'hui ne peut qu'être remise en question. La présence sur son sol de plusieurs  présumés génocidaires  témoigne de sa  complaisance face à ses encombrants anciens alliés ! Ces personnes sur lesquelles pèse une forte présomption de culpabilité bénéficient encore d'un privilège injustifiable  de ne pas répondre de leurs actes devant la Justice au pays des Droits de l'Homme !

En définitive, dans ce contentieux franco-rwandais, la principale recommandation formulée par la commission Mucyo semble être la plus raisonnable, à savoir : la Justice ! Il est dans l'intérêt de la France que ce soit la Justice qui examine la complicité de génocide présumée dont elle est accusée. C'est à la Justice de valider hors de tout doute raisonnable, son innocence ou sa culpabilité. Une telle grave accusation ne pourra être rejetée indéfiniment à travers les médias seulement. Aujourd'hui, la balle est dans le camp de la France, et c'est à l'administration Sarkozy de jouer.

Références :     (1)  http://www.minijust.gov.rw/news.html
(2)  http://www.marianne2.fr/Rwanda-qui-est-vraiment-Kagame-_a90085.html
(3)  http://www.golias.fr/spip.php?article1922
(4)  http://www.lanuitrwandaise.net/   
Voir l'article intitulé : «Le financement du génocide au Rwanda par la Caisse Centrale de Réassurance : les implications »    par  Martin Marchner
(5) Roméo Dallaire, J'ai serré la main du diable, la faillite de l'humanité au Rwanda,   Editions Libre Expression, décembre 2003-Page 294
(6) http://www.la-croix.com/afp.static/pages/080912143237.gzu128jh.htm