MARIE-FRANCE CROS

Mis en ligne le 24/12/2008

La mort du président Lansana Conté a été suivie par une tentative de putsch. Ce dernier semble conduit par des officiers de la jeune génération. Plus sociale ?

Cela faisait si longtemps qu'il était malade, sans que cela affecte sa politique répressive et immobiliste, de prédation et de corruption, que la mort du général Lansana Conté, 74 ans, président de la Guinée-Conakry, lundi soir, a finalement surpris.

Alors que son entourage a retardé l'annonce du décès jusqu'à tard dans la nuit, vraisemblablement pour prendre des dispositions aptes à favoriser le statu quo prévu – pouvoir au président de l'assemblée nationale, qui organise des élections (1) dans les 60 jours – un coup d'Etat était néanmoins en cours mardi. Dans la soirée, le président de l'assemblée assurait que la majorité de l'armée était loyale.

Un discours social

Un communiqué diffusé à la radio sur injonction de soldats, affirmait mardi matin que le gouvernement était dissous et ses membres priés de se rendre dans un camp militaire "en vue d'assurer leur sécurité"; la Constitution était suspendue, comme toute activité politique ou syndicale. Un Conseil national pour la démocratie et le développement, "composé de civils et militaires" et "reflétant l'équilibre ethnique" allait être mis en place pour assumer le pouvoir temporairement et désigner, dans les prochains jours, un nouveau cabinet.

Dans la journée, le gouvernement a refusé sa dissolution.

Le communiqué lu à la radio l'a été par le capitaine Moussa Dadis Camara, qui travaille à l'intendance des armées. Ce poste le met vraisemblablement en contact avec la crise internationale qui frappe durement les Guinéens car le discours du putschiste avait également un ton très social, parlant du "désespoir profond de la population", des détournements de deniers publics", "corruption généralisée", "impunité érigée en méthode de gouvernement", toutes calamités dont "les membres de l'actuel gouvernement sont en grande partie responsables".

Atouts

C'est un constat exact. La Guinée-Conakry n'a connu jusqu'ici que deux régimes, tous deux autocratiques : celui de Sékou Touré – l'homme qui dit "non" à de Gaulle, se tourna vers Moscou et embourba le pays dans d'importants retards de développement – et celui du général Lansana Conté, qui fit la même chose sans adopter le discours socialiste de son prédécesseur. Lansana Conté avait pris le pouvoir en 1984, à la mort de Sékou Touré.

Malgré d'importants atouts – bonne proportion de terres agricoles pour un pays d'Afrique de l'ouest; ressources minières (bauxite, minerai de fer, diamants, or); bon nombre de diplômés et de personnel technique – la Guinée, qui devrait être aujourd'hui un des pays les plus riches de la région est parmi les plus pauvres du monde.

C'est que le régime Lansana Conté s'est distingué par une absence de politique de développement, les décisions politiques étant façonnées sur base de loyautés personnelles et protection d'équilibres ethnico-régionaux et destinées à maintenir les intérêts matériels de la famille et des proches du chef de l'Etat, dont la vieille garde des officiers.

Les tentatives de soulèvement populaire pour secouer cette sclérose ont été réprimées dans le sang (l'armée guinéenne a même tiré sur des manifestations d'écoliers). Lorsqu'en janvier 2007, la révolte sociale a semblé pouvoir l'emporter, le président Lansana Conté a accepté de partager le pouvoir avec un Premier ministre.

Cela s'est cependant révélé de la poudre aux yeux, les Premiers ministres étant sans cesse remplacés, leurs programmes guère suivis ou durant trop peu de temps. Au total, seules des réformes n'affectant pas la structure de prédation ont été adoptées.

La Guinée se trouve aujourd'hui à un tournant de son histoire : ira-t-elle vers une nouvelle réédition de la dictature non éclairée ou vers une ouverture à des réformes indispensables ? La condamnation du coup d'Etat par l'Union africaine et la France, mardi, pourrait n'avoir qu'un impact réduit sur ce pays de facto marginalisé par son long semi-isolement du reste du continent. Tout dépendra de l'armée : favorisée par le régime, sa base est néanmoins, depuis quelques mois, frappée elle aussi par la crise.

(1) Les dernières ont été l'objet de fraudes importantes.

© La Libre Belgique 2008