Prénom : Curtis
Nom : Mayfield
Date de naissance : 03 Juin 1942 à Chicago, Illinoishttp://music.2803.com/soul/curtis-mayfield-tripping-out/
Mort  le 26 décembre 1999

Biographie de Curtis Mayfield

Les états de service du premier représentant de la soul chicagoanne sont impressionnants. En plus de la trentaine de titres placés sous son nom dans les hit-parades du magazine Billboard entre 1970 et 1997, il faut compter ceux, tout aussi nombreux, que lui doivent les Impressions à l’époque où il était leur leader, ainsi que la longue liste des best-sellers offerts à des artistes comme Jerry Butler, LeRoy Hutson, Aretha Franklin, Gladys Knight, Major Lance ou les Staple Singers qui ont bénéficié à un moment ou à un autre de leur carrière de ses talents de producteur et d’auteur-compositeur. Mais aussi diversifié soit-il, ce palmarès reflète mal le rôle crucial joué par Mayfield en tant qu’auteur dans l’affirmation de la spécificité de la musique soul. Quand Berry Gordy s’évertuait à adapter le rhythm & blues au langage courant de la Pop américaine en « blanchissant » le son des principaux artistes Motown, Diana Ross et les Supremes en tête, Curtis réussissait l’exploit de faire entrer ses protest songs soul dans le courant généraliste de la chanson américaine sans la moindre concession au commercialisme ambiant. La musique populaire tout entière a bénéficié de cette contribution de cultures très diverses au sein de l’univers généraliste Pop.

La spécificité de Mayfield tient autant à la couleur immédiatement reconnaissable de ses enregistrements qu’à la diversité de ses textes. Au plan strictement musical, la fragilité apparente de sa voix haut perchée dissimule une énergie et une puissance de conviction qui font de lui un interprète de tout premier ordre, tandis que sa guitare, accordée en fa dièse à l’exemple des touches noires d’un piano, donne à son jeu une couleur aisément identifiable. Mais c’est plus encore à travers les thèmes abordés dans ses textes qu’il marque sa différence. S’il ne dédaigne pas chanter l’amour, il évite consciencieusement le sentimentalisme facile qui traverse couramment la chanson populaire pour se placer dans une perspective poétique enrichie par sa science du verbe. Ce même usage éclairé de la poésie et du mot crédibilise l’autre grand pan de son répertoire, porteur d’un regard optimiste mais jamais complaisant sur le malaise profond qui traverse une Amérique à deux vitesses, incapable de gérer la cohabitation de ses grandes composantes culturelles autrement que par l’antagonisme racial. A l’opposé d’un James Brown qui exprime son refus du racisme en revendiquent brutalement sa négritude, Mayfield dénonce les dérives de la société américaine tout en prêchant la tolérance comme seul moyen de parvenir à l’idéal de fraternité défini par Martin Luther King. Avant tout autre, il a d’ailleurs choisi de se mettre en phase avec le mouvement de lutte pour les droits civiques en composant des textes comme People Get Ready, On Pushing ou Choice of Colors.

Si le bouillonnement qui accompagne les années soixante justifiait initialement la démarche de Mayfield, il semble que l’histoire ne l’aie pas suivi. A partir du milieu des années 1970, au fur et à mesure que les désillusions succèdent aux espoirs et que l’intégration par l’argent devient le seul moyen pour une partie de la communauté noire de s’associer au rêve américain, le barde de Chicago baisse les bras en se contentant d’adopter son art aux modes ambiantes. Dans l’Amérique de Reagan, l’omniprésence de la drogue, de la misère et du crime dans les ghettos semble donner raison à la violence et à l’individualisme du rap, et Mayfield se retire à Atlanta. C’est dans ce refuge paradoxal que ce combattant de la première heure des démons du Vieux Sud va terminer son existence tragiquement, le drame ayant définitivement pris le pas sur la vision faite d’espoir et d’humanisme du poète trahi par la vie.

Né à Chicago en 1942, Mayfield a grandi au sein d’un milieu extrêmement défavorisé dans les cités de Cabrini-Green – l’un des ghettos les plus sinistrés de la capitale du Midwest. Parallèlement à une scolarité dont l’inadaptation a ses envies lui pèse, Curtis se passionne pour la musique. La mode est aux groupes vocaux et il participe à l’aventure des Alphatones qui cherchent à se faire connaître en chantant pour les passants sur les trottoirs de leur quartier. Pour compléter sa formation, il monte surtout avec trois de ses cousins, les frères Hawkins, un ensemble baptisé les Northern Jubilee Gospel Singers qui se produit le week-end dans les églises du ghetto. Curtis est le guitariste attitré du groupe dont le leader est le très jeune Jerry Butler. La musique religieuse est gratifiante d’un point de vue spirituel, mais elle n’apporte que rarement la gloire et la fortune ; en accueillant de plus en plus de transfuges du gospel, le rhythm & blues est un domaine prometteur que Mayfield et Butler investissent après avoir fait la connaissance dans le Centre Social de Cabrini-Green des Roosters, un ensemble dont les membres originaires du Tennessee ont choisi de tenter leur chance à Chicago. L’entente est immédiate et une version recomposée des Roosters prend le nom des Impressions.

A une époque où Motown n’existe pas encore à Détroit, Chicago est le siège de la première maison de disque noire d’Amérique, Vee-Jay Records, qui lance le groupe en vendant près d’un million d’exemplaire de Far Your Precious Love. Ce succès initial, trop souvent attribué par les disc-jokeys au seul Jerry Butler, est à l’origine de dissensions au sein des Impressions. Et tandis que Butler poursuit seul une carrière brillante chez Vee-Jay, ses condisciples retournent provisoirement dans l’anonymat après avoir vainement tenté de remplacer le baryton de leur ancien leader par la voix frêle de Mayfield. Le tournant des années soixante est particulièrement difficile pour ce dernier, couvert de dettes à un moment où la carrière de son groupe est au point mort. Pour éviter que le fisc ne saisisse son magnétophone, il part en tournée comme guitariste avec Jerry Butler pendant quelques mois, le temps d’aider ce dernier à écrire ses meilleurs succès du moment : He Will Break Your Heart, classé sept semaines en tête des meilleures ventes de R&B à l’automne 1960, Find Another Girl et I’m A Telling You la saison suivante. La renaissance des Impressions et leur entrée chez ABC-Paramount va mettre un terme a cette collaboration. Gypsy Woman, une composition de Curtis, ranime dès 1961 le nom des Impressions qui jouissent d’une popularité extraordinaire tout au long de la décennie grâce à It’s All Right, Keep On Pushing, People Get Ready, We’re a Winner et Choice of Colors, autant de best-sellers remarquables d’intelligence qui mettent en valeur leur version délicate de la soul, éclairée par la sensibilité des textes de Mayfield et les arrangements raffinés de Johnny Pate.

Les activités de Mayfield pendant les années soixante ne se limitent pas à son travail au sein des Impressions. Lorsqu’in n’est en tournée à travers les Etats-Unis, il trouve le temps d’écrire pour d’autres représentants de la soul chicagoanne, parmi lesquels Major Lance (rencontré dans le quartier de Cabrini-Green) à qui il offre The Monkey Time, Walter Jackson qui enregistre sous sa direction Suddenly I’m All Alone et That’s What Mama Said, Genne Chandler pour qui il compose Man’s Temptation et la ballade Rainbow, Billy Butler et surtout son frère Jerry avec lequel Curtis a gardé de solides liens d’amitié et dont il enrichit le répertoire à diverses reprises. En studio, Mayfield devient également le complice du producteur Carl Davis avec lequel il donne un second souffle au prestigieux label Okeh. Cette ouverture vers l’univers des studios lui donne l’idée de fonder en 1966 ses propres labels, Mayfield Records et Windy C, qui portent les couleurs de la soul urbaine à travers l’Amérique noire par le biais d’artistes comme le groupe féminin des Fascinations, ou les Five Stairsteps – un ensemble familial qui préfigure celui des frères Jackson. Lorsque des problèmes de distribution l’amènent à fermer les portes de ses deux premiers labels, Mayfield refuse de renoncer à ses ambitions et se lance dans une nouvelle aventure avec la marque Curtom dont il assure la direction à partir de 1968 avec le soutien de son manager Eddie Thomas. Il en prend lui-même la direction artistique avec Fred Cash et Sam Gooden des Impressions, se faisant assister pour les arrangements par le vétéran Johnny Pate, mais aussi par un jeune pianiste attaché aux studios Chess qui fera bientôt parler de lui comme interprète, Donny Hathaway.

Les débuts de Curtom sont essentiellement consacrés aux Impressions dont la carrière semblait s’enliser chez ABC. La carrière du trio se trouve relancée dès 1968 par la réussite de Fool for You et This Is My Country, suivi quelques mois plus tard de Choice of Colors qui donne au groupe son troisième Numéro Un R&B. Mais surtout, Curtom devient la terre d’asile de son fondateur lorsqu’il décide de se lancer seul dans l’arène de la soul en 1970, tout en continuant dans un premier temps à écrire le répertoire des Impressions. Cette phase de transition démarre avec un album intitulé Curtis qui définit le nouveau « son Mayfield » : des plages logues et élaborées, prétextes à des commentaires sociaux engagés sur une trame instrumentale où se mêlent guitare wah-wah, ligne de basse mordantes et cuivres incisifs, à l’image de (Don’t Worry) If There’s a Hell Below We’re All Going to Go qui prend la troisième place des classements Soul au cours de l’hiver 1970-71, ou de We People Who Are Darker Than Blue et Move On Up qui traduisent une certaine radicalisation des vues militantes de son auteur.

L’état de grâce qui accompagne la publication de ce premier recueil ne semble pas devoir durer, à en juger par les résultats commerciaux légèrement décevants des 33-t suivants : le double album en public Curtis/Live! et Roots dont le single le plus porteur, Get Down, doit se contenter d’une place dans le Top 20 afro-américain en 1971. Mayfield ne s’inquiète pas outre mesure de la situation, convaincu que l’ère du 45-t est passée et qu’il est temps d’imposer sa vision de la soul par le biais du LP, comme le fait depuis quelque mois déjà Isaac Hayes. Tout comme ce dernier qui triomphe en 1971 avec Shaft, Curtis profite de la mode des blaxploitation movies pour asseoir définitivement sa réputation en composant ce qui reste son chef d’œuvre, la BO du film Superfly. Pour ce polar dont le héros est un pourvoyeur de drogue macho, il réalise une vaste fresque sonore qui donne des ghettos noirs une image inquiétante et réaliste, annonciatrice de l’univers sordide des quartiers noirs tel qu’il se développera dix ans plus tard avec l’apparition du crack. Le succès considérable du disque, en tête des classements des meilleurs ventes d’albums dans les catégories Soul et Pop dès la fin de l’été 1972 avec à la clé les best-sellers Freddie’s Dead (Theme from Superfly) (N°2 Soul et N°4 Pop) et Superfly (N°5 Soul et N°8 Pop), va faire de Mayfield l’un des compositeur afro-américains les plus demandé d’Hollywood avec les chansons des bandes originales de Claudine, écrites pour Gladys Knight en 1974, Let’s Do It Again (Remarions-nous) interprétées par les Staple Singers en 1975, Pipe Dreams à nouveau avec Gladys Knight en 1976 et Sparkle qui inaugure la même saison une collaboration fructueuse avec Aretha Franklin, Short Eyes qui le voit renouer lui-même avec le cinéma en 1977, l’année où Mavis Staples interprète à sa demande A Piece of the Action pour le long métrage du même nom réalisé par Sidney Poitier.

Mayfield ne renonce pas à sa propre carrière pour autant, poursuivant sa route avec des fortunes commerciales diverses grâce aux recueils Back to the World (Future Shock en 1973), Sweet Exorcist (Kung Fu en 1974), There’s No Place Like America Today (So in Love en 1975) et Give, Get, Take and Have (Only You Babe en 1976). A partir du milieu de la décennie, l’usure du succès ne fait plus de doute, qui s’explique aussi bien par le manque d’intérêt croissant de la société pour le militantisme noir que par l’investissement de Curtis dans la production d’autres artistes : c’est le cas de Leroy Hutson, son successeur à la tête des Impressions qui s’embarque sous sa tutelle dans une carrière autonome en 1973, des Staple Singers qui reviennent vers lui pour Pass It On en 1976 au lendemain du succès de l’album Let’s Do It Again, de Billy Butler dont le passage de chez Curtom manque de relief, ou encore de l’ancien mannequin Linda Clifford qui donne à Mayfield l’occasion de s’adapter au disco avec le duo Between You Baby and Me en 1979.

La décennie suivante est marquée par une rupture importante dans la vie de Mayfield qui décide en 1980 de quitter avec son studio la scène musicale moribonde de la Windy City pour s’installer en Géorgie où il possédait déjà une maison. L’univers du R&B est alors en pleine mutation avec l’arrivé du hip-hop et Curtis met à profit cette période pour faire le point sur sa vie en attendant des jours meilleurs, enregistrant de rares albums que les compagnies Boardwalk et CRC peinent à commercialiser. L’un des rares moments forts de cette période médiocre est sa participation en 1983 à une tournée organisée avec Sam Gooden, Fred Cash et Jerry Butler à l’occasion des vingt-cinq ans des Impressions. A l’heure où la soul semble opérer un retour à la fin de la décennie, Mayfield sort de son isolement en signant avec le label Ichiban de John Abbey à Atlanta un accord de distribution qui lui permet de rééditer la plupart de ses anciens disques. C’est le moment que choisit la vie pour le frapper de façon tragique. Il se trouve sur scène à Brooklyn le 13 aout 1990 lorsqu’une rampe d’éclairage s’effondre sur lui. Paralysé de la tête au pied, s’exprimant avec la plus grande difficulté, il trouve le moyen d’enregistrer à nouveau (New World Order sur Warner) mais le résultat est uniquement à l’honneur de sa volonté. Tout au long d’une décennie terrible, sa principale source de réconfort aura été la solidarité du show-business, concrétisé par son entrée dans le Rock & Roll Hall of Fame en 1991 avec les Impressions, puis sous son seul nom huit ans plus tard, peu avant sa mort. En 1994, ses admirateurs les plus fidèles – Gladys Knight, Bruce Springsteen, Eric Clapton, Stevie Wonder, Phill Collins… – avaient tenu à lui rendre un hommage appuyé en reprenant ses principales compositions sur un recueil intitulé All Men Are Brothers : A Tribute to Curtis Mayfield.

Biographie tirée de l'ouvrage Encyclopédie du Rhythm & Blues et de la Soul de Sebastian Danchin, éditions Fayard (2002).

 

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