Deux hommes sur une île, quelque part au large de l’Afrique. Ils suent, ils peinent, ils souffrent. Leur corps plante le décor d’une souffrance universelle, celle des prisonniers, pris aux rèts de la brutalité. Ils sont seuls, enchaînés l’un à l’autre par la sentence arbitraire, par l’humiliation qui jour après jour ronge ce qui fait d’eux des êtres humains. Et cependant ils s’accrochent. Moins à l’espoir d’une hypothétique libération qu’à un texte qu’ils ont appris par cœur, une histoire de justice, de dignité, celle d’Antigone qui défie la loi de Créon et entend, à tout prix, donner une sépulture digne à son frère Polynice. Au risque d’en mourir, mais dans l’honneur. Parce qu’il y a plus important encore que la vie.
Au départ, ces deux hommes imaginés par l’auteur sud africain Athol Fugard, en collaboration avec John Kani et Winston Ntshona étaient un Blanc et un Noir, qui, au temps de l’apartheid, transcendaient leur condition et leur couleur de peau pour, ensemble, se répéter Antigone et dépasser leur enfermement.
Depuis 2004, Roland Mahauden, directeur du Théâtre de Poche, multiplie les voyages au Congo où il produit des spectacles, organise des stages, fait jaillir des talents au fond des provinces. Il y découvre que la culture est aussi importante que le pain, que la paix. Que, dans ce pays meurtri par la guerre, taraudé par le ressentiment à l’égard des envahisseurs et des pillards de tout acabit, où l’arbitraire du pouvoir est loin d’être oublié, la parole d’Antigone garde toute son actualité, l’exigence de rébellion contre la tyrannie se conjugue toujours au quotidien.
Des îles-bagnes, où des hommes séparés par la politique, l’ethnie, la morphologie, partagent la même déréliction, il y en a au Congo comme il pourrait y en avoir quelque part au Moyen Orient, en Colombie, au Cambodge…
C’est à Kisangani, la ville martyre, que Mahauden attire Ados Ndombasi, un magnifique comédien de l’Ecurie Maloba, c’est là aussi qu’il a l’idée, audacieuse et géniale, de faire venir un comédien rwandais, Diogène Ntarindwa, qu’il va chercher jusqu’à la frontière, à Goma, pour être sûr qu’il puisse arriver à bon port. A Kisangani, dans les locaux de l’Espace Ngoma, remis en état avec l’aide de la Communauté française de Belgique, Mahauden organise le huis clos entre les deux hommes. Les corps sont malaxés par l’effort et la tension, les voix sont âpres, l’espace fermé est transcendé par l’expression si forte de deux douleurs parallèles.
Le Rwandais et le Congolais s’affrontent, repètent Antigone, s’imprègnent d’une tragédie qui pourrait être la leur. Le résultat est stupéfiant car si les deux hommes sont des comédiens professionnels, leur force vient d’ailleurs, elle éclate, sans artifice, elle puise au plus profond de l’histoire personnelle de chacun.
Présentée à Bruxelles, au Théâtre de Poche, la pièce va voyager en Afrique, dans plusieurs villes du Congo et aussi au Rwanda. Les deux comédiens en haillons, qui n’ont pour tout décor que des châlits infâmes mais dont les corps captent la lumière, joueront la révolte d’Antigone devant la loi injuste. Ils diront le désespoir de l’enfermement, de l’humiliation. Ils montreront aussi que même au fond de l’abîme la dignité est possible, que la fraternité existe, que des hommes debout trouvent toujours un chemin commun à parcourir.
Devant des publics plus familiers de la douleur quotidienne que du théâtre, on se demande déjà quel accueil sera réservé à ce spectacle hors du commun. A Bruxelles, il n’y a aucun doute : « l’île » qui se joue jusqu’au 27 juin au théâtre de Poche, est une création bouleversante…

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 http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2009/06/10/antigone-sur-une-ile-quand-un-comedien-congolais-et-un-comedien-rwandais-se-rencontrent/#respond

Posré par rwandaises.com