khaadafiL’actualité en Afrique, sur le plan politique est assurément la question du gouvernement de l’Union africaine. Les derniers sommets des chefs d’Etat tenus, ces derniers jours à Addis Abéba et à Syrte, ont débattu autour de ce projet. Mais, semble-t-il, les débats ont été houleux entre les fédéralistes qui veulent tout de suite ce gouvernement panafricain et les souverainistes qui demandent une mise en place graduelle, autrement dit d’aller vers ce projet par étape.
S’il n’y a pas un consensus sincère, nous risquons de voir, dans un avenir proche, l’Union africaine voler en éclats, ou alors être divisée en deux camps ; comme jadis, du temps des pères fondateurs, avec, à l’époque, le camp des progressistes aligné derrière Moscou et celui des modérés allié de l’Occident.
Il faut cependant se garder de mettre la charrue avant les bœufs d’une part et prendre à bras le corps le règlement des préalables constitués de contraintes et d’embûches sur la voie du gouvernement de l’Union et comme finalité, l’érection d’un Etat fédéral.

L’EVALUATION DES EXPERIENCES PASSEES OU ACTUELLES
L’Afrique connaît ou a connu l’expérience d’Etats fédérés. Le Nigéria est l’exemple type d’un Etat fédéral africain, avec certainement ses réussites, mais à n’en pas douter beaucoup de problèmes liés à la question ethnique, à la religion ou à la répartition équitable des richesses de l’Etat fédéral. Depuis son existence, ce pays connaît en effet des soubresauts de toutes sortes. On se rappelle la guerre de sécession de l’Etat du Biafra. Aujourd’hui, ce pays vit des tensions extrêmement graves de façon sporadique. Récemment, il y a eu des accrochages entre communautés religieuses musulmane et chrétienne, malheureusement avec beaucoup de morts et des dégâts matériels. Sans compter que jusqu’à présent, on assiste à des prises d’otages dans les zones pétrolifères, toujours dans ce pays. Tous ces soubresauts ont comme fondement la question de la Nation. Est-ce qu’il y a en réalité une Nation dans ce pays ? La question de la Nation demeure entière dans beaucoup de pays africains. Et cette question mérite d’être réglée. Elle constitue le principal obstacle sur le chemin de la mise en place d’un Etat fédéral moderne en Afrique.
Sans aller plus loin, l’expérience de la confédération sénégambienne, prouve s’il en est besoin et éloquemment que l’Union est difficile à réaliser en Afrique.
Sur cette lancée, il est bon de rappeler que l’Uma (l’Union du Maghreb arabe) organisation sous-régionale nord africaine est en hibernation depuis des années. Alors, faut-il faire dans la fuite en avant, en voulant coûte que coûte l’effectivité de ce gouvernement de l’Union ? Ou faut-il tirer les leçons des expériences après les avoir évaluées ? Incontestablement, il faut nécessairement faire le bilan de ces expériences en question.

LE PROJET DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE
Doit-on parler de l’Afrique ou des «Afrique»? En ce qui concerne la démocratie, l’Afrique est plurielle compte tenu des cadences constatées d’un pays à l’autre vers l’instauration d’un système démocratique. Le continent marque le pas, quant au modèle de gouvernance à envisager. Le système démocratique est universel, il faut en convenir. Il ne peut exister deux modèles. Il y a le gouvernement du peuple, par le peuple. Malheureusement, le chemin est long et semé d’embûches. Une chose est de mettre en place des institutions à caractère démocratique, mais faudrait-il des hommes imbus de culture et de valeurs démocratiques pour en animer le fonctionnement, pour rendre effectif la démocratie. De ce point de vue, un problème de leadership se pose. Par exemple, un homme comme le guide libyen est disqualifié. Kadhafi ne croit pas au modèle démocratique universel, qu’il taxe d’un modèle qui est imposé au continent par l’Occident. N’est-ce pas lui qui, devant, les représentants du peuple sénégalais (les députés) a demandé que le Président actuel soit élu Président à vie ? Cet homme est un antidémocrate, à la limite, c’est un impérialiste qui, devant ses pairs, a une attitude condescendante. Il ne peut pas incarner le leadership pour une convergence vers la création d’un Etat fédéral, en passant par un gouvernement de l’Union.
Cependant, tout n’est pas noir, il y a des lueurs d’espoirs, si petites soient-elles. En effet, ils ne sont pas nombreux, mais il existe sur le continent africain des pays qui se sont résolument engagés et ont opté pour le système démocratique. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, les points de vue vers un gouvernement de l’Union sont divergents.

LES DIFFERENTES POSITIONS VERS UN ETAT FEDERAL
La question de l’Etat fédéral en Afrique n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Déjà, au lendemain des Indépendances, au début des années 60, le problème a été posé. Les pères fondateurs des Etats africains ont eu à débattre de la question, à l’époque. Des intellectuels comme le professeur Cheikh Anta Diop ont eu à réfléchir à ce propos. L’éminent égyptologue avait très tôt tracé un canevas de ce que devrait être un Etat fédéral et ses réflexions ont été consignées dans son livre essai traitant de la question.
Il y a une quarantaine d’années déjà que les fondements d’un Etat fédéral ont été débattus, qui firent apparaître à l’époque des positions divergentes sur la question. Comme aujourd’hui, deux positions s’étaient dégagées au sein de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), remplacée actuellement par l’Union africaine. D’ailleurs, avec les mêmes positions qu’aujourd’hui, à quelques nuances près. Il y avait effectivement d’une part, les gradualistes qui préconisaient l’Union par cercles concentriques, en passant par les organisations sous-régionales. Le Président Senghor adhérait à cette position. Et d’autre part, ceux qui voulaient l’accélération de la mise en place d’un Etat fédéral. Le Président Nkrumah pouvait être classé comme partisan de cette voie. Ceci, pour simplement dire que ceux qui font preuve de zèle aujourd’hui en s’autoproclamant les chantres d’un gouvernement de l’Union ne peuvent se prévaloir comme les initiateurs d’un acte fondateur dans ce sens. Leur précipitation est on ne peut plus suspecte. Un leadership visionnaire doit être porteur de projet réaliste auquel il croit fondamentalement. C’est en cela que les masses pourront être mobilisées et participer au dit projet avec enthousiasme et détermination. Le contraire ne serait que de l’aventurisme et constituerait, au contraire, un danger pour le futur du continent.
C’est dire en définitive que les tenants de la position qui voudrait la création d’un gouvernement de l’Union «ici et maintenant» sont des néo-panafricanistes. Ils sont nombreux parmi eux, qui se sont alignés par crainte des foudres du guide libyen dont les capacités de nuisance ne sont plus à démontrer. En revanche, leurs vis-à-vis, les gradualistes semblent emprunter le chemin de la sagesse, même si parmi eux, on peut dénombrer certains qui s’accrochent à leur souveraineté réductrice.

DE LA METHODOLOGIE VERS L’EMERGENCE D’UN ETAT FEDERAL
Il serait à la limite suicidaire de vouloir mettre en place un gouvernement de l’Union, sans au préalable régler en amont les questionnements soulevés plus haut, et en éludant la méthodologie à adopter.
Sur le plan politique, le projet démocratique est loin d’être achevé. Certains pays sont sur une voie résolue vers la démocratie, d’autres ne sont démocratiques que de nom. Des régimes autocratiques et autoritaires existent sur le continent. Voilà un problème fondamental à régler à priori, avant de s’engager autour du projet d’un gouvernement de l’Union ou d’un Etat fédéral. Les questions linguistiques et ethniques ne sont pas pour autant réglées et à ce propos, le feu couve en certains endroits du continent. Au Rwanda, la plaie béante de 1994, causée par le génocide n’est pas entièrement cicatrisée. Le Soudan est en guerre, avec des soubassements ethniques au Darfour etc.
Au plan économique, comme cela se fait au niveau des organisations économiques sous-régionales, il faut nécessairement passer par des critères de convergence, ne serait-ce que pour une harmonisation des politiques économiques. Et c’est un travail qui ne peut se faire à court terme, il faut du temps, car c’est tout un processus à boucler.
Au demeurant, il faut le dire, la problématique d’un gouvernement de l’Union ou d’un Etat fédéral, est pertinente. Nous sommes à l’ère des grands ensembles et comme le disait si bien le professeur Cheikh Anta Diop, les Etats nains ne peuvent prospérer. L’histoire lui a donné raison.
Sur le plan politique, c’est dans l’unité que l’Afrique se ferait mieux entendre par le reste du monde, avec par exemple, une seule voix, un seul siège aux Nations Unies.
Au plan économique, le marché serait unique et plus grand avec toutes les opportunités qu’il pourrait offrir. L’agrégation des ressources humaines, financières, économiques, du sol et du sous-sol donnerait à l’Afrique beaucoup plus de poids sur l’échiquier international. Elle pourrait devenir une grande puissance respectée et les conditions de lutter contre le sous-développement et la pauvreté seraient enfin réunies. C’est dire encore une fois que la problématique de l’unité du continent est on ne peut plus pertinente et cela, tout le monde en convient.
Cependant, il faut éviter la précipitation, l’activisme et la démagogie. Il est bon et plus sage d’adopter une méthodologie consensuelle, avec un cahier des charges ou des termes de référence, à la limite avec chronogramme et un deadline pour l’érection d’un gouvernement de l’Union et ultérieurement d’un Etat fédéral. Mais, il faut d’abord trancher le débat en cours entre les gradualistes et les partisans d’un gouvernement de l’Union dans l’immédiat.
Cependant, la sagesse et la responsabilité recommandent d’aller vers un gouvernement de l’Union par étape. Pensons d’abord au renforcement des organisations sous-régionales comme l’Uma, la Cedeao, le Cemac, le Sadc, etc.
L’Union africaine pourrait mettre en place une haute autorité chargée de la coordination de ces organisations sous-régionales et du suivi, éventuellement d’un cahier des charges et enfin du respect du chronogramme vers le gouvernement de l’Union.
Ce qui est inacceptable, c’est qu’un homme ou un groupe d’hommes sans conviction, veuille se servir de ce gouvernement de l’Union pour assouvir des intérêts personnels. Ce sont des néo-panafricanistes qui s’agitent sans conviction.
Serigne Ousmane Beye – Membre du réseau des universitaires Ps
beyeouse@ucad.sn

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