Tout en revisitant les Conventions de Genève qui ont fêté leurs 60 ans le 12 août dernier, l’ancien délégué régional du Comité international de la Croix-Rouge évoque aussi la convention sur la protection des personnes déplacées…

Par Patricia Ngo Ngouem (Quotidien Mutations)
Phillipe Gaillard donne son point de vue sur les émeutes de février 2008, ainsi que sur la convention sur la protection des personnes déplacées.
Phillipe Gaillard donne son point de vue sur les émeutes de février 2008, ainsi que sur la convention sur la protection des personnes déplacées.
Phillipe Gaillard donne son point de vue sur les émeutes de février 2008, ainsi que sur la convention sur la protection des personnes déplacées.
Les pays africains signent en novembre prochain à Kampala (Ouganda), la Convention de l’Union africaine (Ua) protégeant les personnes déplacées. Quelle symbolique revêt cet événement ?

Je pense qu’il y a là un signe politique très fort. Ça veut dire que les Africains, au niveau de l’Ua qui est quand même une institution importante sur le continent, prennent conscience de la gravité du problème et surtout, manifestent par cette convention qui sera signée par les chefs d’Etat, leur volonté de prendre les choses en main. N’oublions pas qu’il y a 26 millions de personnes déplacées dans le monde, dont la moitié en Afrique. Treize millions de personnes déplacées sur le continent dans des conditions misérables la plupart du temps, certaines déplacées depuis 10, voire 20 ans notamment dans le nord de l’Ouganda, personne n’en parle mais c’est dramatique.

Peut-on dire que les questions humanitaires ont changé, 60 ans après l’adoption des Conventions de Genève du 12 août 1949 ?

Je pense qu’on connaît beaucoup mieux le droit international humanitaire (Dih) et les Conventions de Genève aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Par ailleurs, j’ai quand même un grand doute car si aujourd’hui on proposait aux Etats de signer les mêmes Conventions de Genève, je ne suis pas sûr qu’ils seraient d’accord pour le faire.

Pour quelles raisons ?

Parce que je pense que nous sommes devenus beaucoup plus cyniques et sauvages que l’on ne l’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui me fait dire cela, c’est ce que je vois autour de moi : l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigeria dernièrement, la Somalie, le comportement des jeunes dans nos villes européennes. Donc, c’est inquiétant.

N’est-il pas nécessaire dans ce cas, de rajuster les Conventions de Genève compte tenu des évolutions des conflits depuis l’adoption de ces accords, ce sont les civils qui paient le lourd tribut dans les conflits alors que c’était l’inverse lors de la bataille de Solferino en 1849 où les morts se comptaient uniquement dans les rangs des belligérants…

On trouve tout dans les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels pour la protection des civils. C’est très clair. Un civil doit être respecté parce que ce n’est pas un porteur d’armes. De la même façon qu’un militaire blessé qui ne peut plus se battre, doit être respecté parce que ce n’est plus un porteur d’arme, un militaire fait prisonnier parce qu’il n’est plus en état de se battre. C’est la différence entre le combattant et le non combattant. Et dans les Conventions de Genève, on trouve tout cela. Le seul problème, c’est la mise en œuvre, le respect du droit.

Vous dites donc que les Conventions de Genève gardent leur force 60 ans après, alors même que le contexte a changé puisque les conflits armés opposent aujourd’hui les forces armées régulières et des groupes rebelles et non plus les Etats…

On pourrait affiner certaines choses. Dans les Conventions de Genève de 1949 par exemple, on précise la solde quotidienne que doit recevoir un officier fait prisonnier. Imaginons que ce soit de 20 Fcfa. Maintenant, si vous voulez modifier les Conventions pour leur proposer plutôt 100 Fcfa, je n’ai aucun problème avec ça. Mais, les Conventions de Genève sont plus d’actualité que jamais dans l’esprit. Le Dih s’applique aussi à ces conflits (opposant les forces régulières aux milices ou groupes rebelles, Ndlr) qu’on qualifie d’asymétriques. C’est clair que ce sont des contextes où c’est beaucoup plus difficile de mettre en œuvre le droit, d’avoir une interlocution, c’est-à-dire un dialogue avec les parties aux conflits. Lorsque vous avez deux Etats qui se font la guerre, vous pouvez allez voir le ministre de la Défense d’un côté comme de l’autre. Dans les conflits actuels, le dialogue avec « la partie faible » est beaucoup plus difficile. Il y a des contextes où l’on arrive à le faire et d’autres où on n’y arrive pas. En Afghanistan, on a un dialogue régulier avec les autorités afghanes, avec celles de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique nord), en particulier les autorités américaines et nous avons un dialogue beaucoup plus nourri avec les Talibans. Et tout le monde le sait, y compris les ennemis des Talibans qui sont plutôt contents que nous ayons ce dialogue avec les Talibans parce que lorsque ceux-ci capturent un de leurs hommes, la seule institution qui soit capable d’aller rappeler aux Talibans que la vie d’un prisonnier c’est quelque chose de sacré, c’est nous (le Comité international de la Croix-Rouge, Cicr,).

La Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (Cndhl) a clairement reconnu qu’il y a eu des violations lors des émeutes de février 2008 ; pourtant, aucun passage n’a été mentionné à ce propos dans son rapport 2007-2008 rendu public le 12 août dernier. Quel commentaire faites-vous de cette ommission ?

J’étais à la présentation de M. Chemuta Divine Banda (le président de la Cndhl, Ndlr) et je suis resté jusqu’à la fin de toutes les questions qui ont été posées par les journalistes. J’ai perçu qu’il y avait un certain agacement du côté des journalistes devant le travail qu’essaye de faire les membres de la Cndhl. Prenons les choses de manière positive. C’est déjà bien qu’il y ait une commission des droits de l’Homme, ça n’existe pas dans tous les pays du monde. C’est vrai que la page émeutes de la faim 2008 est un peu courte. J’ai mon point de vue là-dessus parce que suite aux émeutes de 2008, le ministre de la Justice, M. Amadou Ali, avait pris l’initiative de nous inviter formellement à visiter les 1.743 personnes qui avaient été arrêtées ; ce que nous avons fait. Nous avons parlé avec ces prisonniers et trois à quatre semaines plus tard, j’ai remis au Minjustice, en mains propres, notre rapport sur le traitement qu’avaient reçu les personnes arrêtées pendant les émeutes.

Quels constats faisiez-vous dans ce rapport ?

C’est un rapport confidentiel et la seule autorité à l’avoir reçu, c’est le Minjustice. Qu’est-ce qu’il a fait de ce rapport, est-ce qu’il l’a partagé avec ses collègues de la Défense ou de la présidence de la République, je ne sais pas.

Les 60 ans des Conventions de Genèvre coïncident cette année avec les 145 ans d’existence du Cicr. Près d’un siècle et demi après, qu’est-ce qui a véritablement changé sur le plan humanitaire ?

Le Dih est aujourd’hui global, c’est-à-dire qu’il y a un accord global des 194 nations qui constituent la communauté internationale sur le seul traité sérieux applicable en cas de conflits armés que sont les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. C’est quand même un beau consensus. Avant ce qu’on peut appeler le Dih moderne, il y a eu, dans toutes les civilisations – qu’elles soient musulmanes, chrétiennes, bouddhistes ou animistes – des préoccupations humanitaires. Il y a même eu des traités qui ont été signés. Dans les années 1820 par exemple, le libérateur Simon Bolivar (général et homme politique vénézuélien, Ndlr) déclare la guerre totale aux Espagnols qu’ils considèrent comme des colons. Trois ans après, les Espagnols et Simon Bolivar se mettent d’accord pour signer un traité humanitaire qui s’appelle le traité d’humanisation de la guerre. Et Simon Bolivar dira à ses troupes : « Même si nos ennemis le violent, il est très important que nous, nous respections le traité humanitaire que nous avons signé avec eux pour que l’honneur de l’indépendance ne soit pas tâché de sang ». Ce qui n’était déjà pas mal. En fin 1993, on avait organisé un séminaire au Rwanda avec des professeurs, des anthropologues et des sociologues sur le comportement des combattants des royaumes du Rwanda et du Burundi avant l’époque de la colonisation. Je me souviens qu’un anthropologue nous avait répondu qu’on tuait en général tous les combattants mâles afin de décorer, avec leurs organes génitaux, le tambour du roi vainqueur et qu’on gardait les femmes vivantes parce que les femmes, c’est toujours utile. C’est terrible, mais c’était déjà quelque chose.

Source: Quotidien Mutations

http://www.bonaberi.com/ar,philippe_gaillard_les_hommes_sont_plus_sauvages_aujourd_hui_,6795.html

Posté par rwandaises.com